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Un
arrêté du Consulat du 8 Floréal an X (28 avril 1802) ordonne la
construction d'un lazaret sur l'île de Mezzu Mare aux Sanguinaires ; mais
les travaux, réalisés selon les plans de l'Architecte de la ville, M.Petrucci, ne seront commencés que trois ans plus tard. L'inauguration
a lieu en août 1807 et le 1er septembre, la première gondole des
pêcheurs de corail de retour des Côtes africaines qui purgeaient
auparavant leur quarantaine à Marseille, Livourne ou Gênes, accostait à
l'île de Mezzu Mare pour y passer sa quarantaine d'observation. Cette
année la, 24 gondoles passeront leur quarantaine au lazaret des
Sanguinaires. Les pêcheurs en quarantaine devaient payer entièrement
leurs frais de séjour. Une redevance de 6 francs ainsi que le paiement du
gardiennage, leur était imposé Ils vivaient dans leur barque ou sous des
tentes.
Le
lazaret, conçu uniquement pour les pêcheurs de corail, se présentait
comme une enceinte murée en forme de pentagone d'un pourtour de 380
mètres. Dans cette enceinte, une porte donnait accès au large ; dès que
les corailleurs arrivaient, ils tiraient leur gondoles sur une rampe, à
l'intérieur du lazaret, où elles étaient mises sur cales. Une centaine
d'embarcations pouvaient y être admises. |
A
l'intérieur de cet espace clos, se trouvaient un parloir, le logement du
gardien, le bureau de police sanitaire, celui de l'officier de santé,
huit maisonnettes réservées aux personnes atteintes d'une maladie
contagieuse et le cimetière.
Le 07
août 1822, en raison de l'état de délabrement du lazaret de Mezzu Mare,
le gouvernement juge sa remise en état trop coûteuse et décide
d'envoyer les corailleurs corse à Livourne pour y purger leur
quarantaine. Le lazaret des Sanguinaires devient alors inutile et il est
définitivement abandonné malgré les protestation des Ajacciens.
En
juillet 1835, l'arrivée du cholera Morbus, venu d'Orient, touche d'abord
Toulon avant de s'étendre rapidement. Devant le danger de voir
l'épidémie franchir la mer, on se souvient du lazaret des Sanguinaires
désaffecté depuis quinze ans et malgré son état de délabrement avancé, la
remise en état des lieux est ordonnée et le 08 août 1835, le préfet
peut annoncer que le lazaret de Mezzu Mare est de nouveau prêt à recevoir les
voyageurs soumis à la quarantaine. Au même moment, l'Italie, puis
l'Algérie sont à leur tour touchées par le choléra et le lazaret des
Sanguinaires doit aussi accueillir les bateaux en provenance de ces pays.
Après la
disparition de l'épidémie en Méditerranée, le lazaret des Sanguinaires
est de nouveau abandonné et le 13 septembre 1852, il est finalement
remis au domaine.
Mais à
une époque où les épidémies sont fréquentes, il parait inconcevable qu'une
île comme la Corse soit privée d'un lazaret. L'importance de son trafic
maritime, sa position géographique éloignée du continent et sa forte
démographie justifient pourtant sa construction.
En 1837, les services
sanitaires de la ville demandent le remplacement du lazaret construit en
1807 sur l'île de Mezzu mare aux Sanguinaires, trop éloigné de
la ville et difficilement accessible par gros temps.
En
janvier 1839, le préfet Jourdan du Var, soutenant le projet de
l'intendance Sanitaire d'Ajaccio, renouvelle auprès du Ministre des
Travaux Publics, de l'Agriculture et du Commerce, la demande d'édifier
un lazaret à Aspretto, un endroit moins éloigné et plus facile d'accès.
Cinq
projets de construction ont été nécessaires avant que le sixième
ne soit enfin validé par le conseil des bâtiments civils et que le
ministre ne donne son approbation le 25 août 1843.
Dirigés par l'architecte
de la ville Vincent Lottero,
les travaux traînent en longueur et en 1845 ils sont finalement
interrompus faute de crédits et d'une
mauvaise gestion. Lottero est alors remplacé par Cotin et
le 31 mai 1847 sont provisoirement réceptionnés.
C'est
seulement en août 1848, après la réception définitive des travaux qui
auront duré cinq ans, que l'agent de la Santé Sanitaire,
Jean-Baptiste Ilari (auparavant gardien du lazaret des Sanguinaires)
s'installe au lazaret d'Aspretto.
Les
premiers "pensionnaires" arrivent pourtant 20 mai 1847
alors que les travaux ne sont pas encore terminés. Il s'agit
de 70 étrangers naufragés du brick "Mabruka" qui s'est échoué à Tizzano.
Ils sont originaires d'Alger et arrivent d'un pèlerinage à la Mecque ;
Ils sont vêtus d'habits qui suscitent beaucoup de curiosité. En fait,
ces étrangers ont déjà purgé leur quarantaine sur la plage de Tizzano et
ils ne sont au Lazaret que parce que Sartène ne disposait d'aucun
établissement susceptible de les accueillir.
Après
leur départ, faute de meubles, le lazaret devait rester sans utilité
jusqu'en novembre 1848, date à laquelle le choléra fait de nouveau son
apparition en France,
d'abord à Dunkerque, puis dans le reste du pays.
Le 1er
septembre 1849, le
paquebot-poste "Le Bastia" apporte une mauvaise nouvelle : 19 cas de
choléra se sont déclarés à Marseille. Le navire est aussitôt soumis à une
quarantaine d'observation de trois jours. Après cet
épisode d'alerte, le lazaret d'Aspretto retombe à nouveau dan l'oubli.
Malgré la tentative du préfet, en octobre 1850, d'obtenir de l'État sa
remise en activité, il se dégrade rapidement et en 1852, on doit procéder
à la restauration de la toiture.
Le 22
juillet 1854, le cholera morbus apparaît dans le midi de la France
tandis que le
paquebot-poste "l'Industriee", chargé de la correspondance entre
Marseille et la Corse, arrive à Ajaccio avec 85 passagers à son bord ;
parmi eux, plusieurs militaires. Tous sont aussitôt mis en quarantaine au
lazaret pour une durée prévue de cinq jours qui sera réduite à
trois jours en raison des conditions
épouvantables qu'ils subissent comme une "séquestration" dans un bâtiment
presque abandonné, sans lits, sans couvertures, sans chaises, sans
tables ; les six latrines ne disposent d'aucun écoulement et produisent
des odeurs insupportables ; la nourriture ainsi que les produits de
première nécessité leur sont vendus à des prix exorbitants.
Le 28
juillet, les premiers cas de choléra se déclarent à Bastia et de
nombreuses victimes sont à déplorer. L'année suivante, après quelques
mois d'accalmie, le choléra revint d'abord dans l'extrême sud de l'Île
par la Sardaigne, puis à nouveau à Bastia.
En
Sardaigne, le cholera se développe avec une telle intensité que sa
population commence à émigrer vers la Corse.
Dans la
nuit du 7 aoùt 1855, le paquebot-poste, en provenance de Porto Torres
arrive à Ajaccio avec patente brute. A son bord, 103 passagers. Tous sont
transférés au lazaret d'Aspretto pour y
purger une quarantaine d'observation ; mais la crainte se confirme : deux passagers souffrants sont bien atteints du choléra. Ils
succomberont le 8 août et sont inhumés sur place dans le petit
cimetière du lazaret avec
toute les précautions nécessaires.
Le 9 août
de nouveaux décès sont à déplorer.
Le 21
août, la
petite Felicità décède son tour. Contre le mur du chemin de ronde du
lazaret, une pierre tombale porte aujourd'hui son nom.
Le séjour
des Sardes au lazaret fut un véritable calvaire. Les 103 personnes se
trouvaient enfermées et entassées dans un établissement qui ne pouvait
en recevoir qu'une soixantaine au maximum. Cette promiscuité et le
manque de commodités ne pouvait qu'augmenter les risques de
contamination..
Il est
difficile d'évaluer le nombre total de personnes ayant séjourné au
lazaret au cours de cette période ; et malgré les précautions qui furent
prises, l'épidémie s'était développée en ville et sévit jusqu'à la fin
de l'année, faisant des centaines de victimes à travers toute la Corse
et va s'acharner particulièrement sur le pénitencier de Saint-Antoine
où vingt-sept détenus de quatorze à dix-neuf et trente-trois employés
vont être emportés en trois mois..
Le
lazaret va ensuite connaître un répit pendant une dizaine d'années..
A
l'été 1860, à l'occasion de la visite de l'Empereur Napoléon III,
la ville d'Ajaccio entreprend de grands travaux et le lazaret va servir
temporairement de
logement aux forçats affectés à la construction de la route des
collines d'Aspretto.
Au
début du mois d'août 1865, la rumeur concernant le retour du choléra à
Marseille s'amplifie. Cette fois, il s'agissait du choléra morbus indien et
dés le 2 septembre, une quarantaine d'observation est imposée à tous les
navires en provenance du continent français. Les passagers sont enfermés
au lazaret d'Ajaccio dans des pièces entièrement vides et livrés à
eux-mêmes ; Ce fut l'intervention du préfet qui permit d'améliorer
sensiblement leur situation.
A Bastia,
les autorités sanitaires doivent entasser les passagers au Forcone
dans des conditions précaires et
même louer d'autres maisons aux alentours de ce lazaret provisoire en
attendant que la pandémie recule en ce mois d'octobre.1865.
En
juillet 1866, le cholera sévit de nouveau sur le continent français
et le lazaret d'Aspretto accueille les passagers du paquebot "le
Progrès" qui y sont logés pendant 40 jours.
Le 16
août, ce sont les passagers de "l'Insulaire" qui subissent une
quarantaine dans des conditions intolérables.
A la
suite des nombreuses plaintes adressées au Préfet par les
quarantenaires, le gardien Ilari, devenu trop vieux pour remplir
ses fonctions est remplacé par un garde de santé auxiliaire et le
lazaret, enfin convenablement meublé est occupé sans interruption jusqu'au 30
octobre 1866, date de la fin de l'épidémie.
Le 17
octobre 1866, le nouveau directeur de la Santé, Justin Santy,
prend ses fonctions dans un lazaret qu'il qualifia de prison sans matériel.
Son caractère rigide va se heurter rapidement à une hostilité générale. Mal
aimé des Corses et ne les aimant pas, il subira son affectation comme un
exil, jusqu'à sa mise à la retraite en mai 1883. Il avait cependant
contribué grandement à la sauvegarde du lazaret et en y ayant effectué
d'importants travaux il en avait fait un modèle d'organisation
disciplinaire et matérielle.
En 1884,
le cholera sévit à nouveau dans le midi. En juin, l'épidémie touche
Toulon et la municipalité va pousser la population à émigrer. De nombreux
insulaires quittent alors Toulon pour Marseille afin de prendre un
bateau pour la Corse. Des milliers de Corses sont au cours de cette
période, rapatriés en plusieurs rotations par les navires de la Cie
Morelli qui va en profiter pour augmenter fortement le prix de la traversée.
En trois
mois, plus de 20.000 personnes purgeront leur quarantaine à Ajaccio et
à Bastia, seules villes autorisées à débarquer des voyageurs et des
marchandises.
Le
premier bateau mis en quarantaine arriva à Ajaccio à la fin du mois de
juin avec 98 passagers qui sont aussitôt entassés au lazaret qui ne
peut en contenir que 60.
Faute de
place, le 26 juin, les 16 passagers d'un bateau en provenance de Nice ne
sont pas admis à débarquer et doivent effectuer leur quarantaine
d'observation à bord, dans la rade d'Ajaccio.
En
juillet, un décès dû au cholera survient sur le "Comte Bacciocchi"
de la Cie Morelli lors de la traversée Marseille Ajaccio. L'homme
décédé est jeté à la mer et les 113 passagers doivent purger leur
quarantaine à bord avant de pouvoir débarquer.
Devant
l'afflux incessant de passagers, des tentes ont été installées autour du
lazaret et sur la plage d'Aspretto ; mais malgré ces dispositions, un
grand nombre d'entre eux sont contraint de purger leur quarantaine à
bord. Ainsi en l'espace de trois mois (de juillet à septembre) plus de
7.000 passagers purgent leur quarantaine dans le lazaret et sous des
tentes.
A Bastia,
la situation est beaucoup plus tendue. Après avoir installé les
premiers passagers aux Minelli la ville doit interdire tout
débarquement et une zone de mouillage est assignée aux bateaux en
quarantaine.
Entre
temps, le conseil sanitaire de Bastia nomme une commission pour
trouver un nouvel emplacement au lazaret provisoire. Son choix se porte
sur la presqu'île de Finocchiarola, un lieu pourtant malsain,
sans eau, sans ombre et très exposé aux vents et aux tempêtes. Des
tentes y sont installées et les premiers passagers au nombre de 51
débarquent du paquebot "le Persévérant" à la mi-juillet 1884.
Ils garderont de leur insupportable "détention" un souvenir cuisant.
Le 14
juillet 1884, "la Vannina" fait passer le nombre de
quarantenaires à 620 sur la petite presqu'île. Faute de places sous les
tentes, les passagers sont contraints de dormir par terre à la belle
étoile et sans couverture. Il faudra attendre la fin du mois de juillet,
après qu'une violente tempête de vent ait balayé toutes les tentes, pour
que les autorités prennent conscience qu'un lazaret provisoire à
Finocchiarola n'est définitivement pas possible.
Le 25
octobre 1884, on annonce la fin des quarantaines et le retour à la
normale des relations entre la Corse et le Continent.
Par miracle,
malgré un cordon sanitaire qui n'a jamais été vraiment respecté, on n'eut
à déplorer, en dehors de trois morts à Finocchiarola que quelques décès,
dont trois victimes du choléra aux environs de l'usine de Toga. Aucun
autre cas de cholera n'a été enregistré au cours de cette période
d'afflux massif bien que de nombreuses personnes aient été atteintes de
la terrible maladie.
Malgré
une reprise du cholera à l'été 1885, puis à l'été 1910 du choléra
asiatique venu de Russie, la Corse est heureusement épargnée.
Le
lazaret d'Ajaccio retrouve son calme. Il sert quelque temps, au cours
de l'automne 1895, de café-restaurant que le concierge Lucciani a
ouvert sans autorisation pour, dit-il, rompre la solitude des lieux.
En 1919,
le service sanitaire est définitivement supprimé, le lazaret est mis en
vente et acheté en 1920 par Jules François Istria.
En 1945
pourtant, quelques jours après la fin de la guerre, le lazaret d'Aspretto
va servir une dernière fois : Une épidémie particulièrement dangereuse se
déclare à Ajaccio. Le 12 mai, un enfant meurt de la peste bubonique
à l'hôpital de la ville et quelques jours plus tard, une voisine qui
s'était occupée de l'enfant décède à son tour de la même maladie. La
ville entière est aussitôt mise en quarantaine ; tous les établissements
sont fermés ; les transports sont interrompus et toute la population
est soumise à une vaccination massive anti-pesteuse. Le château
Bacciochi est transformé en lieu de quarantaine pour les habitants
suspects. Les malades sont soignés dans les hôpitaux civils et
militaire. Le lazaret d'Aspretto accueille pour sa part une trentaine de
malades dans l'ancienne partie administrative du bâtiment.
Le
dernier cas de peste est signalé le 24 juillet 1945. Le
lazaret, après avoir assuré tant bien que mal sa mission thérapeutique
et médicale, cesse définitivement de fonctionner en tant que tel.
Après
l'avoir acheté en 1920, Jules Istria avait aussitôt transformé les
cellules de lazaret en petites appartements destinés à la location.
Des
Sardes s'y installent, formant bientôt une petite communauté
d'ouvriers, de pêcheurs et d'artisans. Ils transforment la cour en
jardinets et en potagers. Dans les années 50, un esprit "village"
règne au Lazaret qui reste un lieu clos replié sur lui-même et qui
compte jusqu'à 18 familles.
En 1956,
on y installe enfin l'électricité et en 1959, l'ancien bâtiment
administratif est aménagé à son tour. Un bar en occupera une grande
partie : Le "Bar des amis", puis "chez Charlot", de renommée douteuse et
très connu des Ajacciens.
Dans les années 1970, le lazaret dans un état de délabrement avancé, ne compte plus
qu'une quarantaine d'habitants qui ne bénéficieront de l'eau courante
qu'en 1982 .
De 1986 à
1995, une seule locataire occupe encore les lieux en compagnie de
quelques marginaux qui s'étaient installés clandestinement dans les
locaux abandonnés.
Le
vandalisme, le saccage et les intempéries auront raison du lazaret qui
deviendra un lieu abandonné.
Après un projet de réhabilitation en résidence hôtelière qui ne verra
jamais vu le jour, le lazaret est acheté à l'état de ruine, le 23 décembre 1996
par François Ollandini, pionnier du développement touristique en Corse,
mais également mécène et amateur d’art et de philosophie, qui décide de
le reconvertir en centre culturel et en musée (musée Marc Petit).
Le Lazaret a été
rénové selon les techniques de l'époque : au mortier, à l'enduit et à la
chaux. Les anciennes tuiles ont été récupérées et réutilisées, les
menuiseries fabriquées à l'identique, les murs badigeonnés de jaune vif
comme à son origine (le jaune était la couleur du "pavillon de
quarantaine" qu'on hissait à bord des navires et aux lazarets pour
signaler que toute approche était interdite)..
Le lazaret a été inauguré en 1999.
Les propriétaires de ce
monument historique, François et Marie Jeanne, son épouse, en ont fait
don à la municipalité d'Ajaccio le 15 juin 2020.
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