HITLER AUX INVALIDES
Par
Jean AUSSEDAT
Devant le grand
tombeau, Hitler était muet ;
Sur ses traits fatigués, on voyait le reflet
Des mille sentiments qui se pressaient en lui ;
S'il avait été seul il se serait enfui.
Car la peur dominait, et la timidité
Pour celui qui dormait dans l'immortalité.
Mais, il était germain, son orgueil l'emporta
Et c'est le verbe haut qu'avec fièvre il parla :
"Eh oui, Napoléon, nous voici face à face ;
Je suis ton digne émule et j'ai suivi ta trace.
Je saurai, mieux que toi, diviniser la guerre,
Par le fer, par le feu, je soumettrai la terre.
Tu as vaincu la
Prusse et j'ai vaincu la France.
Ton génie t'a trahi mais pour moi j'ai la chance
;
Et le monde à mes pieds, réduit en esclavage,
Oubliera ta grandeur en me rendant hommage ;
Ton éclat n'aura plus qu'un reflet dérisoire
Quand j'aurai surclassé ta puissance et ta gloire."
Hitler se tut
soudain, il crut dans la pénombre
Entendre marteler le grand couvercle sombre.
Des mots inattendue et chuchotés tout bas
Résonnaient dans son cœur comme un funèbre glas.
Et la voix d'outre-tombe arrivait caverneuse
Dissipant tout à coup sa morgue vaniteuse :
"Prend garde,
disait-elle, évite à temps l'écueil
Qui naît dans le remous d'un téméraire orgueil.
On meurt désespéré d'avoir trop voulu vivre.
Et si le sang versé un instant vous enivre,
On en ressent bientôt un effrayant remords
Qui fait haïr la vie et souhaiter la mort.
Crois-moi, laisse
cela, qui n'est qu'une façade,
Un tourbillon aveugle, artificiel et fade.
Jadis je fus puissant, regarde où cela mène,
Souviens-toi d'Austerlitz et pense à Sainte-Hélène ;
L'exil dans l'amertume et enfin le tombeau ;
Non, cela n'est pas grand et cela n'est pas beau."
Et la voix sanglota
dans un dernier soupir :
"Quel cauchemar affreux ! Sainte-Hélène et mourir !"
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