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					 Chaque village de Corse a son 
						Saint protecteur. Je me souviens des fêtes patronales 
						qui représentaient hier encore un évènement exceptionnel 
						pour tous les habitants. C'était un rendez-vous qu'il ne 
						fallait surtout pas manquer. Ce jour là, familles, 
						parents amis, toutes les communautés voisines allaient 
						se déplacer... 
						
						Depuis quelques jours, on 
						s'affaire aux préparatifs pour essayer de faire mieux 
						que l'année précédente et l'expérience aidant, pour 
						essayer de faire même mieux que le village voisin. 
						
						L'église à fait l'objet d'un grand 
						ménage, les chaises ont été rangées dans un alignement 
						impeccable, des bouquets de fleurs des champs ont été 
						cueillis ce matin et l'autel est recouvert d'une nappe 
						blanche repassée par des mains expertes. 
						  
						
						Dans les maisons, on se prépare à 
						recevoir; on lave, on astique, on range avec soin, on 
						fait l'inventaire des provisions. Grand-père va faire un 
						tour in palmentu (à la cave), il y 
						décroche le jambon conservé pour l'occasion et choisit un 
						vin di sottu scala pour accompagner le 
						cabri qu'il a tué hier 
						
						Il serait impensable que nos 
						parents les plus proches ne viennent pas dîner. Et puis il y a les 
						amis qui vont passer nous saluer, i furesteri 
						(les étrangers) auxquels nous devons témoigner 
						notre hospitalité. 
						
						Voilà, le grand jour est arrivé. 
						Ce matin, les hommes, rasés de près portent le costume 
						qu'ils réservent uniquement pour les grandes occasions 
						(fêtes, mariages, enterrements), les femmes ont quitté 
						leur blouse noire ou grise pour une belle robe qu'elles 
						portent avec fierté et les enfants, empruntés dans leurs 
						habits neufs, n'osent plus faire un geste de peur de se 
						salir. A pied, à dos d'âne ou de mulet, les habitants 
						des villages voisins arrivent lentement.  
						 
						
						
						Sur la place de l'église les hommes du village, fiers 
						sous leurs chapeaux noirs, les accueillent 
						chaleureusement en chiquant de l'erba a tabaccu
						ou en fumant la longue pipe de bruyère. En 
						attendant l'heure de la messe, les discussions 
						s'animent, on échange les nouvelles, on s'inquiète de ne 
						pas voir u tale (un tel), on philosophe, 
						comme savent le faire si bien les gens de nos montagnes. A l'heure de la messe, les hommes 
						sont peu nombreux dans l'église. Ils restent sur la 
						place et tout en continuant à discuter, leurs voix 
						s'atténuent. Ils ne s'interrompront le moment venu, que 
						pour porter, chacun leur tour, le Saint en procession 
						tout autour du village comme le veut la tradition. 
						
						Après l'office, u patrone di 
						a casa (le patron de la maison), après s'être 
						attardé sur la place du village, rentrera chez lui avec, 
						bien souvent, un invité de la dernière heure qui sera 
						accueilli dans le salottu (salle), une 
						pièce remplie de beaux meubles et de portraits de 
						personnages à l'allure sévère, accrochés aux murs, un 
						endroit réservé aux grands jours, où l'on ne pénétrait 
						que rarement. 
						
						Le repas, servi par la maîtresse 
						de maison assistée d'une de ses filles, verra les 
						plats se succéder et le vin couler sans retenue dans une 
						ambiance que je ne retrouverai plus jamais.  
						 
						Après ce repas bien arrosé, en des 
						temps plus lointains que je n'ai pas connu, avait lieu 
						le traditionnel tire au coq. Le jeu consistait à lâcher 
						le coq sur une grande esplanade en rase campagne. 
						Certains, ceux qui en voyaient deux, avaient perdu 
						d'avance. Le plus adroit, c'est à dire celui dont 
						l'esprit était le plus claire, avait une chance 
						d'inviter les perdants à manger du coq au vin la semaine 
						suivante.  
								
						Au cours de l'après midi, a lieu 
						le traditionnel jeu de boules, tandis que les plus 
						assoiffés, attablés au comptoir formé d'une planche 
						posée sur deux tréteaux, jouent à mora (la 
						mourre), ce jeu qui consiste à former avec les doigts 
						lancés face à face, le nombre crié. Après ces 
						échauffements, voici qu'un groupe entonne une 
						paghjella. La voix puissante et grave, la main 
						en forme de conque portée à l'oreille, les chanteurs 
						improvisent une histoire à laquelle chacun à son tour, 
						donne la réplique en ajoutant son épisode. Ces instants 
						de pure poésie parfois, qui pouvaient durer des heures, 
						se terminaient lorsque l'imagination était tarie ou par 
						épuisement. 
						  
						
						
					 Le soir tombe lentement, le 
						village s'éclaire sous les guirlandes de lumière qui 
						courent un peu partout, les premiers accords de musique 
						résonnent. Jadis, les musiciens utilisaient des 
						instruments comme la cetera, la caramusa, la cialambella, 
						les chjoche, la ghjerbula, le fischjarolu, u viulinu. 
						Mais l'instrument traditionnel des bals de village, reste 
						aujourd'hui encore l'accordéon.Sur la place improvisée en piste 
						de danse, jeunes et vieux s'élancent tandis que les 
						jeunes filles sont étroitement surveillées par leurs 
						parents ou par leurs frères. 
						
								
								Autrefois, la danse où l'on 
						se serrait l'un contre l'autre n'existait pas. On 
						dansait la tarentella, la manfarina, 
						la moresca,  la polka, la mazurka, la 
						contredance. Plus tard, on dansera la valse et le tango. 
								 
						Dans la fraîcheur de la nuit, la 
						fête s'achève, la place est presque vide, les musiciens 
						fatigués rangent leurs instruments. Attablés au 
						comptoirs, quelques inconditionnels ne s'en iront que 
						lorsque les coups de fusils annonçant la clôture de la 
						fête retentiront aux premières lueurs de l'aube.  |