Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

CONTES ET LEGENDES DE CORSE

LA LEGENDE DE MARIE (L'anima)

 

 

C'était un soir de novembre. Après trois ans de guerre, le soldat fatigué par une longue marche revenait en permission dans son pays. Il laissa ses pas le guider vers la place du village illuminée où des gens dansaient au son de l'accordéon.

Il se dirigea vers le bar confectionné d'une planche posée sur deux tréteaux et commanda une absinthe.

Tout en la savourant, il remarqua une jeune fille à l'autre bout de la piste. Elle se tenait immobile sous la lumière blafarde d'un lampadaire, elle était belle et elle avait l'air triste.

Au bout d'un long moment leurs regards se croisèrent. Il esquissa un sourire qu'elle lui rendit aussitôt.

 

Alors, prenant son courage à deux mains, il traversa la foule pour la rejoindre. Timidement, ils se parlèrent:

Elle se prénommait Marie, il se nommait Thomas... puis il l'invita à danser.

Tandis qu'il la serrait maintenant dans ses bras, la nuit emportait au loin sa fatigue et la guerre. Elle était devenue son refuge et faisait naître en lui des sentiments qu'il avait oublié.

Ils dansaient ainsi, blottis l'un contre l'autre quand il eut soudain une sensation étrange qui le mit de plus en plus mal à l'aise. Sa joue, posée contre celle de Marie, lui communiquait une froideur inhabituelle. Elle avait les mains froides et de ses yeux des larmes coulaient. Il n'osa pas lui demander la raison de cette tristesse et sans un mot, avec tendresse, il recouvrit les épaules de la jeune fille de sa veste qu'il avait ôté.

Sur la place, quelques attardés prenaient un dernier verre. La fête était finie et il lui proposa de la raccompagner. D'abord, elle refusa, mais il insista et sur la route éclairée par la lune ils s'en allèrent jusqu'au bout du village où était sa maison.

Sur le pas de la porte, il lui dit qu'il voulait la revoir mais elle lui répondit que c'était impossible; il eut beau insister ce fut peine perdue. Elle voulut lui rendre sa veste mais il la pria de la garder et promit de venir la récupérer le lendemain. Sur un dernier signe de la main, Marie disparut.

Thomas, désespéré, anxieux, attendit un lendemain qui lui parut fort long. Quand il fut une heure raisonnable, il retourna à l'autre bout du village et sonna  fébrilement à la porte de la maison derrière laquelle Marie avait disparu. Une vieille dame toute habillée de noir lui ouvrit; "comme elle ressemble à Marie !" pensa-t-il. Il s'excusa auprès de la vieille dame et lui dit qu'il voulait voir Marie car il lui avait prêté sa veste hier au soir au bal du village et voulait la récupérer.

La vieille dame le regarda étonnée, le pria d'entrer, le conduisit dans la salle où elle l'invita à s'asseoir. Elle lui demanda de décrire Marie; il en fit une si précise description qu'elle lui tendit d'une main tremblant un cadre qui contenait une photo jaunie.

Il reconnu immédiatement la jeune fille qu'il avait serré dans ses bras la veille. "C'est Marie, dit la vieille dame en étouffant ses sanglots, c'était ma fille mais elle est morte, cela fera bientôt treize ans !".

Thomas fut ébranlé par cette brutale révélation Un mélange d'incompréhension et de colère lui nouèrent l'estomac. Non, c'était impossible, il n'avait pas rêvé...

Soudain, il se souvint de cette sensation de mal-être, de cette  impression de froideur quand il avait posé sa joue contre celle de Marie et une crainte indéfinissable le submergea. Devant son désarroi, la vieille dame lui prit doucement la main: "venez, lui dit-elle, nous allons voir Marie".

Quand ils arrivèrent au cimetière, il y avait sur la tombe de Marie une veste soigneusement pliée. 

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 30 janvier 2021