Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

LES BANDITS CORSES

ETTORI Jean Simon

 

Vous pouvez écouter sur cette page un extrait de la chanson "Les bandits d'honneur" interprétée par Antoine CIOSI

 

Jean-Simon Ettori, surnommé "scicca" est né à Moca Croce.

Jusqu'à l'âge de trente ans, il vit comme un honnête paysan dans sa vallée du Taravo. Il est marié, père de deux enfants et pour lui, l'existence s'écoule paisible mais difficile.

Le malheur, ainsi qu'il le dira lui même plus tard, fond sur lui un jour de l'année 1900. Pour une sombre histoire de dette vieille de plus de vingt ans, dans laquelle il n'a aucune part, il intervient pour régler un différent avec un certain Lenzi de Pila Canale. Accompagné de deux amis, Charles Ettori et Tafanelli, il rencontre donc dans son bar à Pila Canale le dénommé Lenzi auquel il vient remettre la somme demandée moyennant la signature d'un reçu.

Les choses s'enveniment, le ton monte, des coups de feu sont échangés. Charles Ettori atteint mortellement un client du bar qui avait pris part au conflit, Simon Ettori blesse accidentellement derrière le comptoir, la fille de Lenzi qui tentait de s'interposer, Tafanelli, qui n'est pas armé, ne tire pas. Charles Ettori est arrêté à Moca-Croce et Tafanelli se constitue prisonnier. En 1907, la cour d'assise de Bastia condamne Charles Ettori aux travaux forcés à perpétuité et Bernardin Tafanelli à 10 ans de réclusion. Devant un verdict aussi sévère Simon Ettori préfère rester au maquis.

En 1910, condamné à mort par contumace après avoir commis 2 autres meurtres, dont celui d'un gendarme, il décide de quitter la Corse pour le Venezuela, pays dans lequel il vit pendant un an de petits métiers avant de se décider à retourner dans son village pour régler radicalement un différent avec un cousin qui venait de voler un boeuf à sa femme pour le vendre.

A la noël de 1920, il abat un paysan de son village natal qui renseignait les gendarmes sur ses déplacements dans l'espoir de toucher la prime attachée à sa capture.

Après ce 4ème et dernier meurtre, Simon Ettori mène entre Moca-Croce et le maquis une existence tranquille avec ses trois femmes et ses 7 enfants, exerçant le métier de cordonnier, faisant respecter la justice en jouant les conciliateurs, haïssant les déserteurs et méprisant les bandits!

Le 11 janvier 1932 à 15 heures, après 26 ans de maquis (déjà condamné deux fois à mort par contumace), sur les conseils de son frère et après de longues négociations avec les autorités, le doyen des bandits corses âgé de 56 ans décide de se constituer prisonnier à Mocacroce devant le procureur de la République Giudicelli accompagné du contrôleur Général de la sûreté Duclaux et du commissaire Natali.

L'avocat César Campinchi qui  a choisi de le défendre plaidera l'acquittement et Jean Simon Ettori sera acquitté par la cour d'assise de la Haute Corse le 7 juillet 1932.

 

La reddition de Jean Simon Ettori et sa comparution aux assises.

 

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COUR D’ASSISES DE LA CORSE- Affaire ETTORI

PRÉSIDENCE DE M. LE CONSEILLER AJACCIO

Audience du 07 juillet 1932

( Extrait du BASTIA JOURNAL du vendredi 8 juillet 1932 )

 

La cour d’Assises juge aujourd’hui le dernier des bandits d’honneur du maquis Corse. Ettori Jean-Simon, est impliqué dans deux affaires criminelles.

L’audience est présidée par M. le Conseiller Ajaccio, assisté de M. le Conseiller Farinole et de M. le Juge Mondoloni.

M. l’Avocat Général Orsatelli soutient l’accusation.

M. de Corsi est au banc de la défense.

M. Le Greffier Pieraggi donne lecture de l’arrêt de renvoi et de l’acte d’accusation de chacune des deux affaires.

 

ACTES D’ACCUSATION

Lenzi Antoine, aubergiste à Pila Canale avait assigné devant le Juge de Paix de Petretto-Bicchisano, le nommé Casalta Toussaint de la commune d’Argiusta-Morricio, en payement d’une somme de quarante francs qui lui était due depuis environ deux ans. Casalta nia la dette. Lenzi l’établit. Une sentence du 5 février 1906 fit droit à la demande de Lenzi tout en accordant à Casalta un délai d’un mois pour se Libérer. Cette décision eut pour effet d’irriter profondément Casalta Toussaint, et plus particulièrement encore sa femme Casalta Marie qui avait la réputation de dominer son mari et qui avait suivi de près les péripéties de cette affaire. Dans la soirée du 3 mars 1906, Lenzi Antoine, sa femme et ses deux filles Marie-Françoise et Joséphine se tenaient réunis, autour du feu, dans la salle d’auberge au rez-de-chaussée de leur maison d’habitation qui est située sur la route départementale, à l’intérieur du village, et à une certaine distance des maisons environnantes. Les frères Toussaint et Dominique Casablanca passaient la soirée avec la famille Lenzi. Vers neuf heures, un étranger armé d’un fusil se présenta sur le seuil de la porte d’entrée et après avoir appris que Lenzi habitait bien cette maison, s'éloigna pour revenir quelques instants après, accompagné de deux autres individus également munis de fusils.

Ils entrèrent sans frapper ayant armé leurs fusils et prirent place à une table. Ils demandèrent du vin, des cigares, et en offrirent à Lenzi, et aux frères Casabianca. Ils leurs demandèrent des renseignements sur leur situation de famille, les coutumes du pays, les habitudes des gendarmes, firent même quelques tours divertissants avec des cartes à jouer, puis vers onze heures ils prirent congé de leurs hôtes en leur serrant la main. Lenzi Antoine, monta se coucher au premier étage.

Les autres restèrent dans la salle du rez-de-chaussée. Un quart d’heure s'était à peine écoulé que les trois inconnus étaient de retour. Deux d'entre eux pénétrèrent dans la maison, l'autre se tint devant la porte restée ouverte. Le chef de la bande demanda aussitôt à la dame Lenzi où était son mari, et exigea que celui-ci revint pour lui donner une signature.

Dès que Lenzi, à moitié vêtu, reparut, il lui demanda quelle somme pouvait lui devoir Toussaint Casalta : « Cinquante francs en capital et frais » déclare Lenzi. L'étranger tira de sa poche un porte-monnaie et un papier qu’il présenta à son interlocuteur : « signez ceci » dit-il, et vous serez payé sur le champ. Lenzi prit le papier, lut la formule de quittance déjà écrite et l'ayant datée et signée, la rendit. L'étranger la soumit à l'examen de son camarade qui donna son approbation, puis la replaça dans sa poche. Il dit alors à Lenzi : « Maintenant je vais vous payer ». Il enjoignit aussitôt à Toussaint Casablanca de sortir les mains de la poche, et abattant son arme il en déchargea les deux canons sur le malheureux Lenzi. Au même instant son compagnon faisait feu par deux fois sur Casablanca Dominique.

Les trois bandits disparurent aussitôt. Lenzi Antoine, qui avait vainement tenté de les poursuivre, avait été atteint par deux projectiles de gros calibre. Le premier occasionnant une blessure mortelle avait pénétré à la région abdominale supérieure et perforé l'estomac. Le deuxième avait traversé de part en part la cuisse droite à sa partie supérieure sur un trajet d’avant en arrière. Lenzi expirait huit heures après avoir été blessé.

Casablanca Dominique eut toute la figure et la région antérieure du cou et du thorax criblée de petits plombs qui pénétrèrent profondément dans les chairs. Il a survécu, mais ses blessures ont entraîné pour lui une cécité complète.

D'autre part, Lenzi Marie-Françoise, qui se trouvait placée derrière son père au moment où celui-ci était blessé, a été atteinte par une balle à la région plantaire du pied gauche et a dû subir l'amputation au petit orteil. Sa sœur Joséphine Lenzi a été blessée au front et au bras gauche par des petits plombs provenant de l'arme qui avait servi à blesser Casabianca Dominique.

Bien que les auteurs de ce drame sanglant ne fussent pas connus le signalement qui en fut donné s’appliquait exactement aux nommés Ettori Simon, Ettori Charles, et Taffanelli Bernardin, tous trois de Moca-Croce. Dès le lendemain, 4 mars, Ettori Charles fut arrêté et Taffanelli s'est constitué prisonnier le 12 juin suivant. Ettori Simon est encore en fuite.

Après avoir nié toute participation aux crimes commis, Ettori Charles a reconnu avoir tiré de l'extérieur, et au hasard, un seul coup de fusil dans la salle Lenzi D’autre part, Taffanelli reconnait s’être tenu sur la route, pendant que. ses compagnons avaient pénétré à l’intérieur de la maison.

La procédure a établi que les accusés ont agi pour le compte des conjoints Casalta Marie. C’est elle qui a déterminé son neveu Ettori Simon à se rendre à Pila Canale et lui a remis la quittance qu’elle avait fait rédiger par anticipation et que Simon devait faire signer par l’infortuné Lenzi Antoine.

 

Le 8 février 1916, vers 9 heures, le brigadier de gendarmerie Andreucci et le gendarme Dussert, tous deux à la brigade qui résidait à Tivarello, arrivèrent au cours d’une tournée de service, près d’une bergerie située au lieu dit « Saparello » territoire de la commune de Bonifacio, et habitée par Vesperini Antoine-Marie et sa famille. Ayant vu ce dernier en train de causer près d’un rocher, à une trentaine de mètres de sa cabane avec un étranger qui paraissait devoir appartenir à une classe mobilisable, le brigadier de gendarmerie s’approcha d’eux suivi du gendarme Dussert et interrogea l’inconnu sur son identité et sur sa situation au point de vue militaire. L’individu déclara se nommer Giacometti Charles-François et avoir été renvoyé dans ses foyers, mais le livret militaire qu’il détenait et sur lequel figurait le nom susdit ne contenait aucun visa, de libération et ne paraissait nullement s’appliquer à lui. Aussi le brigadier de gendarmerie l’invita-t-il à le suivre jusqu’à Tivarello pour y contrôler ses dires et vérifier son identité.

L’étranger fit alors deux pas en arrière en mettant la main droite dans la poche de sa veste. Le brigadier se jetant aussitôt sur lui, le saisit à bras le corps pendant que de son côté le gendarme Dussert saisissait de la main droite par le canon, un revolver Browning que le malfaiteur avait exhibé et dirigeait vers la tempe du brigadier. Mais Dussert ne réussit qu’à dévier les trois coups que l’étranger tira successivement avec son arme ; le premier coup atteignit assez grièvement à la tête le brigadier qui tomba inanimé ; le second coup blessa légèrement à la tête aussi Vesperini Marc- Marie, fils de Vesperini Antoine-Marie et soldat permissionnaire, au moment où il accourait pour porter aide aux gendarmes ; la troisième balle se perdit dans le gazon.

Après une courte mais terrible lutte, le gendarme Dussert réussit à s’emparer du revolver de l’inconnu qui alors chercha son salut dans la fuite précipitée. Le gendarme Dussert, essaya d’abord de tirer sur lui avec le révolver qu’il lui avait arraché, mais cette arme s’était enrayée après les trois coups tirés par le bandit ; saisissant alors sa carabine, il fit feu trois fois sur le fuyard sans l’atteindre ou, en tous cas, sans le blesser, assez gravement pour arrêter sa course.

L’inconnu n’était autre que le bandit Ettori Jean-Simon, âgé de quarante-deux ans, de Moca-Croce, qui est insoumis et qui a été condamné par contumace à la peine de mort, par arrêt de la Cour d’Assises de la Corse, en date du 3 juin 1913 pour une tentative d’assassinat par lui commise à Pila-Canale, le 3 juin 1913. Son nom est du reste gravé, à la pointe sur la plaque du revolver en question et son signalement correspond tout fait à celui de l’auteur du crime dont il s’agit.

Le livret militaire que détenait Ettori a été soustrait frauduleusement, il y a quatre ou cinq ans au nommé Giacometti Charles-François d’Urbalacone qui dû après la disparition de son livret, s’en faire délivrer un duplicata par l'autorité militaire.

 

INTERROGATOIRE

M. le Président, au début de son interrogatoire indique que l’accusé a été condamné, en 1921, par le Tribunal de Sartème, à deux ans de prison pour violences sur des gendarmes.

Ettori vivait en 1906 en concubinage avec deux femmes ; on le représente comme un homme sans moralité. Il a gardé le maquis durant vingt-huit ans ; pendant tout ce temps il semble n’avoir nullement joué le rôle odieux des Spada et des Bartoli. On l’a appelé « bandit d’honneur » quoique ces deux mots n’aillent guère ensemble.

M. le Président examine ensuite le drame de 1906. L’accusé fournit sa propre version.

Dans la deuxième affaire, tentative de meurtre sur des agents de la force publique, les gendarmes lui demandèrent ses pièces d’identité. Ils constatèrent qu’elles étaient irrégulières. Ettori prit alors une attitude menaçante. Les gendarmes, essayèrent de le désarmer. Ettori déchargea son arme et l’un des gendarmes fut blessé ainsi qu’un militaire venu leur prêter main forte.

 

LES TEMOINS

Lenzi Marie confirme ses précédentes déclarations ; son père n’a au aucun geste malheureux, aucun geste de menace à l’encontre d’Ettori. La malheureuse victime n’a nullement violenté, ni provoqué l’accusé.

Andreucci Laurent, brigadier de gendarmerie en retraite, retrace la scène du 8 février 1916. Il ne peut affirmer si c’est bien Ettori son agresseur de jadis ; il ne le reconnaît pas.

Vesperini Marc-Marie ne peut pas non plus reconnaître l’accusé.

M. l’Avocat Général Orsatelli renonce à l’accusation en ce qui concerne la deuxième affaire.

M. le Greffier Pieraggi donne lectures des dépositions des témoins défaillants.

 

LE REQUISITOIRE

M. l’Avocat Général Orsatelli prononce un remarquable réquisitoire. Au début il indique la conduite d’Ettori avant et après le crime qui lui est reproché.

Il s’attache à démontrer le caractère négatif des vertus prêtées à l’accusé. "Bandit d'honneur", s’exclame l’homorable organe du Ministère Public, quelle dérision et quel non sens. M. l’Avocat Général fait le récit du drame ; il combat la version qui est donnée par Ettoni. ll indique ensuite les motifs de la prescription. L’accusé d’ajourd’hui ne peut en bénéficier et il ne doit pas être absous alors qu’il y a plus de vingt ans ses complices ont été sévèrement condamnés. La justice est une, on ne doit pas, à cause du temps écoulé, fermer les yeux sur le principal auteur d’un crime odieux. Ce serait donnel une prime au banditisme. M. l’Avocat Général réclame une sévère condamnation.

 

LA PLAIDOIRIE

Me de Corsi, en se levant au banc de la défense, fait l’éloge de son éminent confrère Me Campinchi. Ce maître de l'éloquence judiciaire n’a pu quitter Paris et sa belle voix ne s’élève pas aujourd’hui dans l’enceinte de notre Cour d’Assises. Me de Corsi indique les liens d’amitié qui, depuis longtemps, depuis le jeune âge des études au quartier latin, l'unissent à Me Campinchi.

Me de Corsi fait ensuite remarquer qu’Ettori garde le maquis depuis vingt six ans. Jamais il n’a fait parler de lui car ses mœurs étaient demeurées pures ; il n’avait ni maîtresses à entretenir, ni entreprise à commanditer, mi homme politique à soutenir. Ettori a vécu au maquis, presque jamais il n’a couché sous un toit.

Ettori aurait pu attendre le 3 juin 1933 ; il aurait à cette date bénéficié de la prescription. S’il s’est constitué prisonnier c’est uniquement sur les instances du Parquet d’Ajaccio.

Me de Corsi s’élève contre certaines campagnes de presse qui, lors de l’expédition punitive entreprise contre les bandits, ont tenté de jeter le discrédit sur la Corse.

L’éminent défenseur retrace l’histoire d’Ettori et indique les services qu’il a rendus à la cause de la justice. Il termine en sollicitant l’acquittement de son client.

 

M. l’Avocat Génénal, dans une remarquable réplique, justifie l’expédition entreprise contre le banditisme et indique les résultats heureux qu’elle a entraînés. Me de Corsi rend justice à M. le Général Gouverneur dont le rôle dans cette expédition a été des plus brillants et des plus heureux. A son insu, malheureusement, des abus ont été commis. Le défenseur, sans abandonner sa demande principale d’acquittement, prie M. le Président de la Cour de poser au jury la question de provocation.

 

LE VERDICT

Le verdict du jury étant négatif,  Ettori est acquitté.

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 24 octobre 2024