Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

LES BANDITS CORSES

Tiodoru POLI (1796-1827)

 

Vous pouvez écouter sur cette page un extrait de la chanson "Les bandits d'honneur" interprétée par Antoine CIOSI

 

L'histoire de Tiodoru (théodore) Poli a été racontée par Gustave Flaubert dans ses Carnets de voyages. Lors de sa visite de la Corse en 1840 et plus précisément, lors de son passage à Vico le 07 octobre, il y apprend les exploits du bandit qu'il qualifie de "noble coeur et de héros".

Tiodoru (Théodore) Poli est originaire de La Chiaja, non loin de Guagno où il est né en 1797. C'est un brave paysan sans histoires qui laboure sa terre jusqu'à ce qu'un matin de février 1820, le brigadier Petit de la Gendarmerie de Guagno, qu'il croyait être son ami, vient lui passer les menottes devant tout le village parce que, réfractaire au service militaire obligatoire, Théodore, frappé par la conscription, avait laissé passé la date à laquelle il devait se présenter au bureau de recrutement d'Ajaccio.

Profondément humilié, ayant le sentiment d'avoir été ridiculisé, Poli n'a plus qu'une idée en tête: se venger; et le 14 février, il s'évade de la prison d'Ajaccio afin de rejoindre Guagno où quelques heures plus tard, il tue d'une balle dans la tête le gendarme qui lui avait fait subir un tel affront. Ce jour là Théodore Poli, devenu déserteur et  meurtrier, entre à son tour dans la légende des bandits Corses en déclarant une guerre ouverte à la Gendarmerie.

Intelliigent, doué d'un courage malfaisant, Théodore, protecteur des femmes, ne respectait que Dieu et ne reconnaissait qu'une seule justice, la sienne.

 

En 1820, à la tête de quelques dizaines d'hommes dont François Antoine Pellegrini dit "Bruscu", les frères Multedo, Jean Cristinacce et Jean Casanova il est proclamé chef de bande et surnommé « le roi de la montagne ».

En juillet 1822, en compagnie de Gallochio, Gambini et Sarrochi, la bande s'empare de la récolte de blé d'un paysan de Rusio après avoir pillé sa maison. Le lendemain, à Piedigriggio, les bandits séquestrent le curé et sa nièce, dévalisent sa maison puis se retirent en lui enjoignant de quitter la commune.

La bande de Poli, qui a établi des liens avec d'autres bandes, comme celle de Gallocchio, dicte à présent ses lois et inspire la terreur n'hésitant pas à attaquer plusieurs gendarmeries (Antisanti, Orezza, Evisa, Rusio) pour se procurer vêtements, armes et munitions.

Le 19 octobre 1822, accompagné de cinq autres contumax, Théodore Poli habillé en gendarme, investit la gendarmerie de Casaglione pour procurer à sa bande les chaussures qui lui manquent. Tous les gendarmes sont à l'extérieur ; un seul se trouve à la caserne ; des coups de feu sont tirés ; le gendarme est abattu. Le maire qui a entendu la fusillade intervient accompagné de quelques habitants courageux. Les bandits surpris par cette riposte inattendue s'enfuient mais un des leurs est tué.

Pour faire vivre une troupe de plus en plus importante, Poli fonde "la République des bandits" en faisant voter le 1er février 1823 la constitution d'Aïtone qui lui donne droit de vie et mort sur tous et frappe le clergé de la province d'un impôt proportionnel. Notaires et percepteurs sont également mis à contribution.

Cibles préférées du bandit, les curés sont souvent mis à contribution.

En avril 1823, les curés des villages de Poggiolo et Orto, sommés par Théodore et sa bande de leur de remettre une forte somme d'argent, ne s'exécutent pas et reçoivent chacun une lettre dans laquelle ils sont menacés de mort. L'abbé Gaffory, curé de Castifao, l'abbé Colonna, curé de Casaglione, l'abbé Leca, curé de Pastricciola, sont également rançonnés.

En 1824, deux voltigeurs qui escortent un convoi de vivres entre Vico et Orto, sont la cible de Théodore qui abat l'un d'eux ainsi qu'un paysan qu'il reconnaîtra trop tard comme étant son neveu.

Le 16 juillet 1925, Poli, accompagné de Gaffory, arrête sur la route un dénommé Filippi de Rosazia auquel il reproche de l'avoir espionné. Après lui avoir ordonné de dire sa prière, il le fusille à bout portant.

 

Mais Poli n'est pas un bandit ordinaire : il croit avoir une mission à remplir et politise son combat en se déclarant adepte du carbonarisme; on sait qu'il initie ses compagnons en tenant des réunions secrètes dans la forêt. Le hors-la-loi se veut aussi justicier : il aide les pauvres,rançonne les riches et crée l'impôt ecclésiastique avec menaces de représailles contre ceux qui ne s'exécutent pas. 

 

Aux actifs de Poli, on raconte l'assassinat en pleine rue de Bastia, du bourreau chargé de l'exécution de son complice "le poète" Mascaroni et la délivrance de ce dernier au moment où les gendarmes le conduisent pour son exécution sur la place Saint Nicolas, l'assaut de la gendarmerie de Bastia pour s'y procurer des bottes dont ses hommes ont cruellement besoin, l'anéantissement d'une bande de voleurs Sardes qui la nuit venue, terrorisent et pillent la population de Bonifacio.

En novembre 1822, pour tenter de mettre fin à la bande des contumaces que l'on estime forte de plus de 800 individus, l'état crée le bataillon de voltigeurs Corses, une sorte de milice dans laquelle s'engagent de nombreux insulaires. Cependant, en plus des exactions commises, cette "armée" (composée aussi de certains insulaires désireux d'accomplir une vengeance personnelle) ne remportera que peu de succès.

 

Ce fut la trahison qui orienta un bataillon des voltigeurs corses du coté d'Ambiegna, vers la cache où se réfugiaient Théodore, son frère Borghellu et deux de ses compères, Mascaroni et Piconi, ce matin du 05 février 1827.

Poli, semble-t-il malade, s'était réfugié dans une cabane de berger située le long du Liamone. Le berger avertit les voltigeurs. Trois d'entre eux, Colonna, Fornari et Graziani, partirent aussitôt. Sur place, une fusillade s'ensuivit. Graziani fut blessé au bras mais Colonna et Fornari ripostèrent et le bandit mortellement blessé, expira. Son cadavre chargé sur un mulet, fut conduit dans la petite église de Vico où il disparu pendant la nuit sans ce que l'on ne sache jamais ce qu'il était devenu.

Dans une autre version on raconte que sa dépouille fut exposée dans l'église Saint Roch d'Ajaccio afin que la population soit informée de sa mort.

Ainsi s'acheva la vie tumultueuse et ensanglantée de Tiodoru Poli qui avait gardé le maquis pendant plus de 7 années et qui avait été condamné plus d'une vingtaine de fois à la peine capitale. La guerre des contumaces était terminée, du moins le croyait-on à ce moment là.

 


 

Récit de la destruction de Théodore Poli paru dans le "Journal du Département de la Corse" du 10 février 1827.

Le contumax Théodore Poli, de Guagno, le bandit le plus adroit, le plus actif et le plus déterminé, de ceux qui depuis longtemps ont désolé l’arrondissement d’ Ajaccio, n’existe plus. Ce malfaiteur, après avoir été blesse grièvement, le 5 de ce mois par le voltigeur Marc Antoine Fornari, a été tué par le Sieur Antoine Colonna, de la commune d’Appriciani, qui servait de guide à ce militaire et au voltigeur Charles Michel Graziani, aussi de la 3ème compagnie, lesquels étaient en campagne depuis douze jours pour rechercher Théodore. Ces deux voltigeurs ont été blessés, mais non dangereusement. C'est au lieu dit Mortola, territoire d’Ambiegna, sur la rive gauche et près du Liamone, que l’action a eu lieu. Théodore était, dit-t-on, en compagnie de son frère Mathieu, bandit également déterminé, qui parait avoir pris la fuite aussitôt qu’il vit tomber celui-ci. Il parait aussi que Théodore, fatigué des marches et contre marches qu'il avait dû faire pour échapper aux brigades de gendarmerie d’Ajaccio et d’Appietto, qui l'avaient poursuivi pendant plusieurs jours ; et d’ailleurs tourmenté par la fièvre, avait passé la nuit dans une cabane an lieu ou il fut rencontré par les voltigeurs et le Sieur Colonna, et non loin duquel les gendarmes avaient perdu ses traces.

La mort de Théodore Poli réalisera la promesse que M. le capitaine Marinetti et M. le lieutenant Vico avaient faite, lors de la revue d’inspection, en janvier dernier, de détruire enfin ce bandit, célèbre par les nombreux meurtres et vols à main armée qu’il a commis pendant près de huit années consécutives. M. le Préfet a rendu compte au Ministre de l’intérieur, d’une événement ainsi important pour la sûreté publique d’une partie de l’arrondissement d’Ajaccio, dont Théodore était devenu la terreur. M le Maréchal decamp, commandant la subdivision militaire s'est empressé de même d'en faire son rapport à M. le Lieutenant général, commandant la division. Des gratifications extraordinaires ont été sollicitées en faveur des voltigeurs Fornari et Graziani et du Sieur Colonna. Il a été demandé, en outre, que ce dernier fut admis immédiatement dans la 3ème compagnie de Voltigeur corses qui ne pourra que recevoir avec satisfaction dans ses rangs un brave de plus. L’exemple donné par cette compagnie ne pourra, nous en sommes certains d’avance, qu’accroître le zèle et le dévouement des autres compagnies du même corps stationnées dans les pays désolés par des contumax, et qui ne comptent parmi elles, pas moins d'intrépides militaires que celle que nous venons de citer. Nous aurons soin de faire connaître à nos lecteurs les nouveaux détails qui pourront nous parvenir sur l'affaire en question.

 

Récit de la destruction de Théodore Poli paru dans le "Journal du Département de la Corse" . Rectificatif du 17 février 1827.

D’après les nouveaux renseignements qui nous sont parvenus sur la destruction du fameux bandit Théodoro Poli, nous devons rectifier, comme il suit, l’article inséré à ce sujet, dans notre dernière feuille du 10 de ce mois.

Depuis l’admission assez récente , du capitaine Marinelli dans le bataillon des voltigeurs Corses, la troisième compagnie qu’il commande et qui occupe la partie septentrionale de l’arrondissement d’Ajaccio, a pris une direction plus active, mieux combinée. Cet officier s’est mis lui-même en campagne et a partagé les fatigues et les dangers de ses soldats. Informé d’abord de l’état du pays, relativement aux contumax, par son lieutenant M. Vico et par ses rapports avec la Gendarmerie, il a été bientôt sur la trace des bandits qui depuis longtemps désolent cette contrée. Ainsi, le 28 octobre dernier, accompagné d’un fort détachement , il a surpris les deux frères Poli dans une grotte sur les montagnes de Guagno ; mais, après un échange de coups de fusil sans effet, quoique tirés d'assez près, et malgré les bonnes dispositions prises, Théodoro et son frère échappèrent encore cette fois. Dans cette rencontre, le Capitaine Marinetti fit feu sur Théodoro qui venait de tirer sur lui, le voltigeur Orsoni reçut une balle dans son Schakos.

 

Les poursuites dirigées particulièrement contre ces deux malfaiteurs devenus les plus terribles de l’île conservèrent la même activité, les renseignements secrets furent mieux recherchés et mis a profit, les marche et les embuscades n'eurent plus d’interruption, la 3ème compagnie des voltigeurs corses ne resta plus en repos : la revue d'inspection, l’expédition sur Otta ont seules retardé la fin de Théodoro. Dans cette revue passée â Ajaccio , les officiers des 3ème et 4ème compagnies, les sous-officiers et les voltigeurs eux-mêmes promirent de rendre, avant peu, des services notables.

Cette promesse d’un bon esprit de corps a déterminé deux anciens voltigeurs de la troisième compagnie Fornari et Graziani et le dernier admis le Sieur Colonna d’Appriciani, à s'offrir pour aller, d’après les derniers avis reçus, surprendre les deux frères Poli dans leur nouveau refuge. Partis depuis douze jours, rodant aux environs d’Ambiegna, ils parvinrent, dans la matinée du 5 de ce mois, à découvrir d’un peu loin les deux bandits près des cabanes de Mortola, Ils voient que l'un marche vers le Liamone pour observer sans doute le pays, et que l’autre, Théodoro, entre dans une cabane. Alors les trois voltigeurs, bravant la chance d'un combat à mort avec deux adversaires bien armés, d’un courage et d'une adresse peu ordinaire, se glissent au travers des makis, sont aperçus par un chien de berger dont l’aboiement met Théodoro sur ses gardes et prennent la course vers la cabane d’où le bandit s’élance, en tirant son premier coup de fusil sur Graziani qui n’est pas atteint ; Théodoro fuit eu chargeant sou arme à double canon ; mais pressé et insulté par ses agresseurs, il leur fait face, tire sur Colonna qu’il manque encore ; il est manqué à son tour par Colonna et par Graziani : celui-ci est blessé à la main par le troisième coup de fusil de Théodoro; Fornari, qui avait eu assez de sang froid pour ne pas trop se presser, tire en fin le dernier et blesse mortellement le redoutable adversaire qui tombe, mais qui se relève un instant pour amer son pistolet et le décharge sur Fornari qui est blessé par deux balles à la cuisse et à la jambe gauches : Théodore expire presque eu même temps à coté de son fusil et son pistolet à la main. Cette mort est d’un brave, pourquoi n'est-elle pas d’un brave homme ? Elle donne au moins de l'éclat à la bravoure des trois voltigeurs Corses qui n’oubliaient pas que le frère de Théodore devait entendre les coups de fusil et qu’il pouvait survenir pendant la lutte ; et, même s’il était survenu même après, il n’aurait plus eu affaire qu’avec Colonna qui est resté seul intact et gardant ses deux compagnons blessés. Le frère de Théodoro n'a pas reparu.

Ainsi s'est terminée la carrière de ce bandit, âge de 30 ans, déserteur du dépôt de recrutement de 1819, coupable de plusieurs meurtres et extorsions, vivant de tributs imposés et payés secrètement, et qui s'est intitulé pendant huit ans, Le Commandant de la campagne...

 

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 01 août 2023