Xavier Rocchini est né à Muratello, près de Porto-Vecchio, en 1864.
C'est un paisible fils de laboureur qui a appris à lire et à écrire et que rien
ne prédispose au crime.
La querelle entre les Rocchini et les Tafani,
une famille voisine autrefois alliée, marque le début de sa
spirale criminelle à l'âge de 19 ans. Xavier
Rocchini est devenu bandit à cause de la
mort d'un chien, celui des Tafani.
Giovan-Francesco Rocchini soupçonné d'être l'auteur de
ce crime est assassiné au cours d'un guet-apens. La
rumeur désigne les Tafani comme étant les auteurs de ce
meurtre. Les Rocchini en appellent vainement à la
justice légale avant d'être à leur tour accusés. Par
vengeance, le 08 septembre 1883, Xavier, le
plus jeune des fils Rocchini tue Simon Tafani, 19 ans aussi,
de deux balles dans le dos avant de prendre
le maquis.
Puis les
meurtres s'enchaînent. C'est une haine
inextinguible contre l'ennemi des Rocchini,
la ferme volonté d'exterminer cette race des
Tafani, et d'assurer au père, aux frères, à
tous ces Rocchini tombés dans des
embuscades, le doux sommeil des morts qu'on
a vengés.
Protégé par quelques
membres de sa
famille et les amis qui lui fournissent vivres
et munitions, l'hiver, Rocchini parcoure les
plaines, se risque aux abords des
villages, couche dans des grottes,
reçoit quelquefois l'hospitalité d'un
brave paysan lorsque au cours de ses longues
errances il lui arrive de rencontrer les
gendarmes.
En compagnie de ses complices, Pietro Giovanni (un autre bandit notoire qui sera
assassiné le 16 novembre 1899) et Pietro Nicolai, dit Baritone, (qui sera condamné au bagne à
perpétuité), c'est une série de meurtres qui s'enchaînent.
Le 1er juin 1885, c'est l'assassinat du gendarme Lavigne;
le 08 juin 1887, l'assassinat du gendarme Arcençon; le 12 février 1888, l'assassinat des frères Carducci. Ces bandits règnent sur la région, en répandant terreurs et
menaces, tuant froidement et se moquant de l'autorité.
Mais le plus horrible crime de
Rocchini procède de la folie lorsqu'il abat froidement
à bout portant d'un coup de fusil dans le ventre le 04 janvier 1886 Jeannette Milanini,
sa propre cousine, une jeune fille de 15 ans qui se refusait à lui.
Voici les faits tel qu'il furent entendus par la cour d'assise de Bastia et rapportés dans
le journal Le petit Parisien du 07 sptembre 1888 :
A la belle saison, il grimpait dans la montagne à l'air frais, tantôt ici et tantôt la,
ne s'attardant jamais plus d'une nuit au même endroit.Un jour, au hasard de sa marche
vagabonde, il rencontra une jeune fille, une enfant de seize ans, qui faisait brouter ses chèvres. Elle était,
ont dit les témoins, jolie et douce, avec des cheveux blonds tombant sur ses yeux noirs et, dans sa petite
tête d'oiseau, une fermeté inébranlable, la mâle résolution d'un homme dans un corps tout frêle de gamine.
On l'appelait Julie, qui, dans le patois corse, se dit si gentiment «
Ghju ». (en corse,
diminutif de Ghjulia).
Le bandit la vit, l'aima, et, de ce jour, dédaigneux de toute prudence, bravant les
gendarmes qui allaient découvrir sa retraite et qui finiraient bien par l'atteindre, il ne quitta plus la
montagne, suivant la jeune fille pas à pas, rôdant autour de sa cabane, la guettant à tous les sentiers, lui déclarant son amour dont elle ne voulait pas, lui
adressant des prières qui l’irritaient et des menaces qui la faisaient rire.
Autour d'elle, cependant, on s'inquiétait.
O Ghju! o Ghju ! lui disaient ses compagnes, cela va mal finir…
Ghju ne voulait rien entendre et continuait à conduire ses chèvres, toute seule, dans les
ravins perdus.
Un jour, cependant, elle rentra à la maison un peu pâle. Le bandit s’était une fois encore
présenté à elle. Il lui avait parlé, il lui avait dit:
« Songes-y bien! si tu ne veux pas être à moi, je te tuerai! ».
L'enfant était sans famille, n'ayant pour se défendre que sa mère, déjà vieille,
presque infirme ; elle lui dit sa rencontre avec le bandit, et doucement, avec son sang-froid de petite
femme elle ajouta : "Mariez-moi, ma mère, s'il me poursuit encore, j'aurai quelqu'un pour me détendre, et
s'il me tue, j'aurai quelqu'un pour me venger".
Et la pauvre vieille mère, toute tremblante, descendit à Porto-Vecchio chercher un mari
pour sa fille.
Le bruit se répandit bientôt dans la montagne que la petite
Ghju allait épouser un forgeron
du pays, un gars solide, qui saurait bien la garder des bandits.Quelques jours après, Rocchini reparut devant
elle. Il lui posa cette question :
- Es-tu décidée ?
Il avait, dit l'acte d'accusation, les yeux hors de la tète, le visage en feu, la voix
sifflante; mais Ghju n'avait pas peur, et c'est de son même air résolu qu'elle répondit :
- Je suis décidée
- Tu ne veux pas être à moi?
- Jamais!
Alors, le bandit recula de quelques pas et, armant son fusil :
- C'est bien, dit-il, tu vas mourir !
- Ah ! tu aurais ce courage ?
L'autre, pour toute réponse, épaula; par deux, fois il fit feu. La petite
Ghju tomba tout de son long sur
l'herbe rouge, et comme elle respirait encore, comme la vie se cramponnait à ce joli corps si jeune, la bandit s'approcha d'elle et, d'un
coup de pistolet dans l'oreille, il l'acheva.
Craint et haï, Xavier Rocchini sera
finalement arrêté par la gendarmerie, à la suite d'une dénonciation, dans une
buvette de Cauro, le 09 septembre 1887, en compagnie de
son lieutenant Pierre Nicolaî, dit Barritone. Il
assistait impassible à une partie de cartes entre quatre
joueurs. Il opposa une légère résistance aux gendarmes,
mais en présence de l'attitude du brigadier qui lui
avait appliqué le canon de son revolver sur la nuque, il
se laissa ligoter avec les menottes et conduire à la
salle de sûreté.
Il fut trouvé porteur d'un stylet, qu'il gardait hors de
sa gaine dans la manche de sa veste.
Rocchini était à Cauro depuis
l'avant-veille, il devait se rendre chez un de ses
parents à Tolla. On prétend que l'indication de sa
présence à Cauro serait due à un de ses parents.
Le lendemain de son arrestation,
il fut transféré à la maison d'arrêt d'Ajaccio. Il y
resta jusqu'au 22 septembre, date à laquelle il fut
transféré à Sartène, où devait se faire l'instruction
des différents crimes, dont il était accusé. Pendant les
dix jours qu'il passa à Ajaccio, il fut tranquille; il
avait l'air de ne pas se rendre un compte exact de sa
situation. L'instruction fut longue; elle dura huit
mois.
Le 6 juin de l'année 1888,
Rocchini et son compagnon Nicolai, dit Baritone, sont
traduits devant la Cour d'assises de la Corse. Baritone
est condamné aux travaux forcés à perpétuité et Rocchini
est enfermé dans la cellule des condamnés à mort, les
entraves aux pieds. Agé seulement de 23 ans,
celui que l'on surnommait désormais l'Animale avait
tenu le maquis pendant quatre ans.
Après sa condamnation à la peine
capitale, Rocchini reste à la maison d'arrêt de Bastia,
jusqu'au 28 août, date à laquelle il est embarqué et
écroué à la maison d'arrêt d'Ajaccio et aussitôt revêtu
d'une camisole de force.
Dans la nuit du 3 au 4 septembre
vers 3 heures 30, Rocchini est embarqué sur un petit
bateau le Progrès, appartenant à M. Lanzi,
à destination de propriano où il arrive à 8 heures. Une
diligence attend au haut du quai. Le condamné débarque à
9 heures précises ; il marche très alertement entre les
gendarmes jusqu'à la voiture qui s'ébranle aussitôt, au
milieu d'une foule immense mais silencieuse. Des
gendarmes à cheval l'escortent au grand trot.
Vers onze heures et demie du matin, la voiture arrive au
grand galop dans la rue principale de Sartène, et de là
se dirige vers la caserne de gendarmerie. Le condamné
demande au brigadier Peretti, qui se trouvait à ses
côtés ; pourquoi toutes ces troupes, pourquoi ces
gendarmes ? C'est le 111"° de ligne, lui répondit-on,
qui permute avec le 112ème et les gendarmes passent une
grande revue. Rocchini paraît rassuré ; il monte, très
alertement, les trois étages conduisant à la Chambre de
sûreté. On lui sert aussitôt à déjeuner ; il mange de
très bon appétit et fume une pipe.
Vers cinq heures du soir le
fourgon de Deibler arrive ; la foule qu'on peut évaluer
à deux mille personnes court au devant. Elle accompagne
Deibler et ses aides escortés par un fort piquet de
gendarmes jusqu'à l'Hôtel de France, et elle se retire
tranquillement après avoir contenté sa curiosité. La
place Porta, toutes les rues de Sartène sont pleines de
monde, les cafés regorgent de consommateurs.
Le 4 septembre 1888
à deux heures du matin, le bourreau et ses
aides procèdent au milieu d'un silence glacial
au montage de l'échafaud sur la place Porta à Sartène. Malgré l'heure matinale, plus de
2000
personnes sont présentes pour assister à l'exécution
officiée par le célèbre bourreau Louis Deibler (*) venu
spécialement de Paris.
En raison des menaces proférées
cotre lui (Monsieur l'assassin patenté, vous pouvez y
aller à Sartène, mais, per Cristinadoria, vous
n'en reviendrez pas - Signé : un parent de
Rocchini), l'exécuteur, arrivé incognito à Ajaccio avec
ses deux aides, a été placé sous haute protection et ne
quitte pas le navire
durant son séjour. La berline transportant les bois de
justice a été ensuite embarquée à bord du navire
Le Bocognano à
destination de Propriano et a bénéficie jusqu'à Sartène
des mêmes protection que l'on a prises pour Rocchini.
Leur besogne terminée, Deibler et ses aides
quitteront précipitamment la Corse.
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Annonce de l'exécution
de Rocchini parue dans l'édition du petit
parisien le 03 septembre 1888. |
|
L'exécution de Rocchini ( Récit
du Docteur Adolphe Kocher). |
Lors de l'arrestation de
Xavier Rocchini, on n'a plus exécuté de bandits en
Corse depuis trente ans.
Son procès, présenté initialement devant le tribunal de Sartène pour
l'instruction du dossier, va se dérouler à Bastia où le bandit sera jugé et condamné à mort. Selon la procédure,
mais aussi pour l'exemple, la sentence devra être exécutée en place publique. Pour éviter le long trajet,
au demeurant très risqué, de Bastia à Sartène, le condamné est acheminé par bateau, en compagnie d'un
transport de troupes, à Ajaccio d'abord, puis vers Propriano ensuite par une embarcation de la compagnie
Lanzi spécialement affrétée pour cette mission. De Propriano à Sartène, en plus
des brigades de gendarmerie locale, la troupe de ligne du 111ème régiment à été requise et disposée tout au
long du parcours.
Voici, racontés par Le petit parisien dans son édition du 07 septembre 1888, tous les détails
de cette exécution :
Rocchini a été exécuté hier matin sur la place
Porta, à Sartène.
Il était depuis la veille enfermé à la caserne de
gendarmerie. Quatre gendarmes le gardaient.
L'abbé Moneglia, aumônier de la prison, était venu le
voir et, sans l'avertir du sort qui l'attendait, lui
avait demandé s'il voulait s'entretenir avec lui
quelques instants.
-
On va donc me couper le cou ?! s'écria Rocchini avec
terreur et en pleurant.
L'abbé Moneglia le calma du mieux qu'il put, en lui
disant que rien n'était encore certain.
Le condamné demanda alors à l'aumônier de recevoir sa
confession.
A quatre heures, le docteur militaire
Kocher se rendit
à
la caserne do gendarmerie pour voir Rocchini. Celui-ci
dormait encore. Il avait passé la nuit à fumer, causant
avec les gendarmes des crimes qu'il avait commis ; il les
avoua tous, excepté celui d'avoir participé à l'assassinat
d'un gendarme nommé Arcençon, en ajoutant : "Que la
sentence qui me frappe soit exécutée ce matin si je mens
". L'aumônier Moneglia arriva à quatre heures et quart. Rocchini, qui venait de s'éveiller, se leva en
sursaut en le voyant; le prêtre l'exhorta au repentir et Rocchini se mit à genoux.
A quatre heures cinquante, tous les magistrat suivis du
greffier, se rendirent à la prison.
Le Procureur général dit à Rocchini : "
Vous avez été
condamné à mort à Bastia ; la Cour de Cassation a rejeté
votre pourvoi ; le Président de la République a refusé de
vous faire grâce ; la Justice suivra son cours ce matin ". Rocchini, pâle, fut pris d'un tremblement. "
Ayez du
courage ! ", lui dit le Procureur-général.
Puis ce magistrat lui demanda s'il avait des révélations
à faire.
Rocchini répondit affirmativement et resta seul avec le
Procureur-général.
Interrogé, il avoua les crimes qui ont motivé sa
condamnation, nia encore avoir participé à l'assassinat
du gendarme Arcençon et reconnut sa complicité dans le
meurtre des frères Cartucci.
Son attitude était suppliante ; il implora grâce, les
mains jointes, et demanda qu'on adressât un télégramme
au Président de la République. A cinq heures et quart,
un bruit se fit entendre dans le couloir ; le bourreau arrivait.
Rocchini demanda de nouveau au Procureur de télégraphier
à M. Carnot et exprima le désir de rester un instant
seul avec l'aumônier, ce qui lui fut accordé ; il pria et
se résigna à son sort.
A cinq heures vingt minutes, il livra ses mains à
l’exécuteur et à ses aides, qui lui ligotèrent les bras
le long du corps et entaillèrent largement le col de sa
chemise.
A cinq heures et demie, le condamné fut mis dans le
fourgon.
Des gendarmes à cheval précédaient et suivaient le
convoi.
Le condamné est arrivé sur la place
Porta dans une
attitude humble, mais courageuse ; en descendant de
voiture, ses jambes pliaient. Il s'est mis à genoux et a
demandé pardon à Dieu et à la société. L'aumônier lui a
donné son crucifix à baiser.
Les premières lueurs du jour éclairaient la guillotine.
Des femmes qui étaient venues assister
à l'exécution
poussèrent quelques cris en voyant le condamné marcher
au supplice.
A cinq heures trente-cinq minutes, Rocchini avait vécu.
L'exécution a été opérée avec une certaine lenteur.
Le supplicié a eu sur la planche de fortes contractions
nerveuses.
Plusieurs personnes sanglotaient et criaient
: « Grâce ».
La tête, prise dans le baquet par un des aides du
bourreau, lui a échappé des mains et est tombée à terre.
Une foule énorme stationnait sur la
place, dans les rues, aux fenêtres, sur les terrasses,
et même sur le clocher de 1’église.
Aucun incident ne s'est produit.
Dans les groupes, on s'entretenait
de l'exécution et l'avis général était que la
décapitation de Rocchini aurait certainement pour
conséquence d'arrêter plus d'une main criminelle.
Le cadavre du supplicié a été
transporté au cimetière sur une charrette.
Le docteur Kocher, assisté des médecins Casabianca et Feretti, a procédé un examen de la tête et a constaté
que la section avait été nette et partait du ras du
menton au niveau de la dernière vertèbre ; les yeux
étaient largement dilatés.
Il parait que la mère de Rocchini a réclamé le corps de
son fils.
A sept heures, l'échafaud était démonté et replacé dans
un fourgon.
Le bourreau et ses aides sont aussitôt partis pour
Propriano, escortés par un piquet de soldats et par la gendarmerie. Ils s'embarqueront aujourd'hui pour
Marseille.
(*) LOUIS DEIBLER
Descendant d'une antique lignée
allemande de bourreaux de
père en fils, Louis Anoine Stanislas Deibler (1823-1904), jeune homme robuste mais boiteux, a très tôt commencé à
assister son père Josef Anton Deubler (1789-1874).
Louis Deibler est le père
d'Anatole (1863-1939) qui le rejoindra en 1890 et qui, à
sa mort, deviendra son successeur (Anatole Deibler sera
notamment l'exécuteur de Spada).
Louis Deibler ne s'enthousiasmait pas à
l'idée de se rendre en Corse pour y trancher le cou du
bandit Rocchini. D'abord parce qu'il devait financer
lui-même (c'était la règle) un déplacement coûteux.
Ensuite, parce que sitôt arrivé à Marseille pour y
embarquer "LOUISON", le surnom donné à sa
guillotine, il reçoit un billet anonyme lui promettant
la mort s'il met un pied en Corse.
Protestations, négociations : on
lui permet finalement de rejoindre Sartène depuis Bastia
par voie de mer pour échapper à une traversée par les
routes de Corse jugée trop dangereuse. Sa surprise sera
considérable en arrivant à Sartène sous une escorte de
plusieurs dizaine de gendarmes : Venue de toute la
région une foule nombreuse qui ne lui montre aucune
hostilité, se presse pour assister à l'exécution. Un
apéritif de bienvenue lui est même offert pour
l'occasion.
Deibler ne s'attardera pas pour
autant. Sitôt Rocchini guillotiné, il prendra la
direction du port de Propriano, à l'abri de son
"fourgon" et quittera la Corse quelques heures olus
tard.
En 1897, un incident se produit :
la maladresse d'un aide fait que Louis est aspergé de
sang en plein visage. Dès l'exécution suivante, Louis
Deibler demande de l'eau pour nettoyer le sang dont il
est recouvert. Cette fois, il s'agit d'une
hallucination. Louis Deibler vient de subir sa première
crise d'hématophobie et celles-ci deviendront de plus en
plus fréquentes. De plus en plus mal à l'aise, croyant
voir du sang partout, il bascule lentement dans la
folie. Le
28 décembre 1898, il remet sa démission, qui est acceptée. Il sera
néanmoins forcé d'aller décapiter Joseph Vacher à
Bourg-en-Bresse le 31 décembre 1898.
Installé chez son fils
Anatole, devenu son successeur, il meurt d'un cancer de
la gorge le 6 septembre 1904. Il est inhumé au cimetière de
Boulogne.
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