LES PRISONS DE CORTI
Construite par Vincentello d'Istria en 1420, la
citadelle de Corti coiffe un rocher isolé au bord d'un
précipice qui domine la vallée du Tavignanu. Il était donc facile et commode pour les génois de
précipiter les prisonniers dans le vide pour s'en débarrasser.
Au XVIème siècle, les prisons de Corti étaient synonyme
de conditions terribles de détention. Les hivers y
étaient froides et humides et en été la chaleur y était suffocante.
En 1888, le Docteur A Bournet, chargé par le
Ministre de l'intérieur d'une mission scientifique,
visite les prisons et les pénitenciers de Corse. Il raconte :
[...] Quant à la prison de Corte,
elle n'a point sa pareille dans aucune ville de France.
Il faut remonter aux cachots du moyen âge pour trouver
des lieux de détention plus sombres et plus infects.
Je connaissais avant d'aller à Corte cette déclaration
franche de M. Daunassans, préfet de la Corse, au Conseil
général. Je la croyais exagérée. Elle n'exprime que la
réalité des faits. Devant un spectacle si lamentable, on
est vraiment honteux pour la Corse et pour notre
Administration pénitentiaire. M. Herbette a-t-il visité
ce réduit infect décoré du nom de maison d'arrêt ? A-t-il entendu cette déclaration lugubre d'un haut
fonctionnaire? "Six mois de prison subis à Corte,
dans des conditions ordinaires, valent une condamnation
à mort." Et cette autre de l'un de ses plus
intelligents subordonnés en Corse ? "Les ménageries,
les cages où sont enfermées les fauves sont plus
humainement installées...
Quand on a franchi la
grille au-dessus de laquelle est inscrit le vers du
Dante « ante ate ogni speranza o voi ch'entrate
» on descend une vingtaine de marches, et on se
trouve dans une véritable fosse, humide, obscure, dont
l'air infect ne se renouvelle qu'à travers les soupiraux
installés sur la rue, un lieu malsain où les égouts
obstrués corrompent tout l'air ambiant. Quoi d'étonnant
alors qu'il y ait eu 41 malades en 1885, 46 en 1886, et
23 au 6 septembre 1887, que la carie dentaire, la fièvre
intermittente, la diarrhée, les céphalées, la dyspepsie,
l'anémie, soient d'une extrême fréquence ? Le maximum de
présence est 50 hommes et 7 femmes. Le mouvement pour
l'année 1886 a été de 524 hommes et 50 femmes : 9 hommes
et 1 femme en mars, 103 hommes et 7 femmes en septembre.
Celui de 1887 a été jusqu'au 1er septembre de 356 hommes
et 34 femmes. Le 6 septembre étaient présents seulement
10 hommes et 5 femmes.
La prison de Corte n'a pas de préau. Il suit de là que
prévenus et condamnés sont parqués comme des fauves. Le
quartier des femmes est un lieu malsain où il y a tout
au plus place pour la moitié des malheureuses qu'on y
entasse. Quand j'y pénétrai, elles étaient cinq (l'une
d'elles allaitait un enfant de 8 mois) vivant dans un
air vicié, entre quatre murs d'où l'eau ruisselle, sous
l'affaissement irrégulier des poutres moisies.
Une espèce de brasero ou de réchaud jette, pendant l'
hiver, dans chaque quartier, une vapeur lourde qui
aggrave les miasmes pestilentiels dont ces nouveaux
plombs de Venise sont le réceptacle. Là aussi vivent
confinés le gardien-chef, sa femme et ses quatre enfants
: six personnes dans une seule pièce, véritable cellule,
au rez-de-chaussée. On doit regretter que M. Millerand
n'ait pas visité la prison de Corte, ni constaté la
situation déplorable du gardien chef. La 45ème
circonscription pénitentiaire méritait une place à part
dans son Rapport au nom de la commission du budget.
Ces faits d'ailleurs sont connus . Chaque année le
Préfet de la Corse les révèle au Conseil général.
Malheureusement les assemblées représentatives de la
Corse sont serviles ou tracassières, travaillées par les
intérêts de clan et de personne. A chaque session le
Conseil général s'émeut ; mais cette émotion fait bien
vite place à la politique. [...]
Construit
à la fin du XVIème siècle, le Palazzo della Signoria,
qui deviendra plus tard le Palazzu Naziunale
était la résidence de Pascal Paoli et abritait lors de
la révolution de Corse au XVIIIème siècle, le conseil
d'état et provisoirement l'université.
Siège de
l'autorité publique, le palais a servi aussi de prison,
d'abord dans les combles puis au rez-de-chaussée.
Le rez-de-chaussée était
réservé aux prisons et comprenait deux geôles : La
première geôle recevait les prisonniers de droit commun,
la seconde était réservée aux prisonniers difficiles ou dangereux.
A l'étage, une grande pièce, "il salotto",
était réservée aux audiences et servait également de tribunal.
En 1753, Corte devient la capitale de la Corse
et en 1759, Paoli installe son gouvernement au Palazzu della
signoria (qui deviendra le Palazzu
naziunale) après l'avoir fait remettre en état et meubler.
Au rez-de-chaussée, il y fait aménager une chapelle privée
et une cuisine. Deux ans plus tard, il fera poser des
vitres sur les quinze fenêtres qui n'étaient jusqu'alors
protégée que par des toiles blanches. Des barreaux seront
posés sur les ouvertures des prisons du Publico Palazzo.
En 1764, la prison était transférée au
château de la citadelle où six cachots sont construits.
Le 21 mai 1769, Corte est occupé par
les troupes Françaises et l'administration s'installe au Palazzu qui est pour
les besoins surélevé d'un étage.
En 1773, U Palazzu Naziunale, retrouvait ses fonctions de détention.
En 1796, un plancher s'effondre pendant le règlement de
la solde des volontaires faisant plusieurs morts et une
centaine de blessés.
En 1799, la prison est de nouveau transférée dans la citadelle.
A la chute de l'Empire, les locaux sont réorganisés et en 1817,
le rez-de-chaussée retrouve ses fonctions de prison.
Sous le consulat et le premier Empire, le palazzu devenu
Casa di città, abrite l'administration et la mairie.
En 1813, le tribunal qui occupait l'entresol, doit être évacué.
En 1837, pour respecter en partie le
vœu du Babbu qui aurait voulu y installer l'université, on ouvre dans les locaux
du Palazzu l'école Pascal Paoli mais dans les caves, les cellules son
toujours occupées par des détenus. Cette étrange cohabitation ne cessera qu'au
début du XXème siècle lorsque la prison sera transférée au lieu dit "Purette"
où les conditions de détentions sont déplorables. Les prisonniers dorment sur
des paillasses infestées par la vermine et de nombreux cas de gale sont signalés.
En 1847, de profondes crevassent apparaissent sur les
murs de la batisse.
En 1887, les pluies provoquent des infiltrations et
l'eau monte d'un mètre dans certaines cellules.
Le révolutionnaire politique Louis Augute Blanqui dit "l'enfermé"
(il aura passé les trois quarts de son existence en
prison), qui y fut incarcéré à partir de décembre 1857 jusqu'en 1859, après
être également passé par les prisons de Sartène et
Bastia, se souvenait de ces caves où la lumière passait
avec peine par un étroit soupirail et où "la fosse
d'aisance recevait tout l'air vicié et en renvoyait un
autre, méphitique ; Dix détenus étouffaient dans
ce sépulcre, certains pour des crimes capitaux, mais
aussi parfois des enfants ...". Blanqui souligne
également la promiscuité du cachot des femmes qui
n'était séparé de celui des hommes que par une simple
grille ; et il s'étonnait d'avantage encore de voir les
étages et le rez-de-chaussée servir d'école.
A l'expiration
de son temps, il fut déporté en Afrique par l'Empire.
Peu de mois après, l'amnistie de 1859 lui permit de
rentrer en France ; mais il n'eut qu'un court répit.
Arrêté en 1861, sous l'inculpation d'être le chef d'une
société secrète, il fut condamné à quatre ans de prison.
Heureusement, bien que gardé à vue dans l'hôpital où on
avait été forcé de le transporter en raison de son état
de santé, il put s'évader et éviter une nouvelle
déportation probable à la fin de son temps. Réfugié à
Bruxelles, où il vivait d'un très petit revenu, il fit,
paraît-il, plusieurs voyages secrets à Paris, et il eut
la chance d'échapper à la police impériale. Enfin il put
rentrer au 4 Septembre.
On a encore présent à la mémoire
son rôle si actif pendant le siège par les Prussiens. On
se rappelle surtout son journal si éloquent, la Patrie
en danger. Désespéré de voir ses efforts de parole et de
plume restés sans résultat, il songea à un coup de main
et organisa le mouvement du 31 octobre. On sait comment
ce mouvement, un instant près d'aboutir, avorta
finalement. Arrêté, la Commune demanda quelques mois
plus tard, dirent les journaux du temps, son échange
contre les otages ; mais ce fut en vain, et, traduit
enfin devant le sixième conseil de guerre, il se vit
condamner, le 29 avril 1872, à la détention perpétuelle
et fut envoyé à Clairvaux.
Le célèbre Henri
Charrière dit "Papillon" qui y fit un bref séjour dans les années 1920, trouva
son incarcération insupportable.
À l'occasion
d'une bagarre, il avait blessé sérieusement un de ses
camarades. Pour éviter les poursuites judiciaires, il
n'avait que 17 ans, son père l'avait obligé à s'engager
dans la marine.Nationale. Après son passage à Toulon, il
s'était retrouvé dans un régiment disciplinaire en Corse :
à Calvi, où il se fait tatouer un papillon sur la
poitrine (ce qui lui a valu son surnom "Papillon"), puis
à Corte. Dans ce régiment il va rencontrer des têtes
brûlées qui vont l'orienter insensiblement vers
l'illégalité, les hors la loi et l'une des pires
prisons de Corse : celle de Corte.
Le 27 octobre
1931, Henri Charrière est condamné aux travaux forcés à
perpétuité au bagne de Guyane pour le meurtre d'un de
ses amis, Roland Legrand.
Les prisons de Corte furent également impitoyables pour leur constructeur qui,
dit-on, se donna la mort pour les avoir édifiées. Commencés en 1881 mais bientôt arrêtés faute de
crédits, les travaux de construction du bâtiment, d’après les plans de
l’architecte départemental M. Dumoulin, reprirent en décembre 1887.
C’est en juillet 1927 que fut construite l’aile latérale pour abriter les
gendarmes, leurs familles et les locaux de la brigade.
Lors d'une
séance du 16 avril 1888 (Conseil général de Corse, 1ère
session ordinaire, procès verbal des délibérations,
rapport du Prefet Fremont) on peu lire à propos de
l'état de la prison de Corte : M. Ceccaldi
député, estime qu'il y a lieu d'insister de nouveau
auprès du Ministre de la guerre.
La prison de Corte est humide, les détenus y contractent
de maladies sérieuses. On ne saurait, sans violer les
lois humanitaires les plus élémentaires, maintenir une
situation aussi déplorable. On a vu des prévenus
quitter, après leur acquittement, la prison avec un
germe de maladie grave.
Ce qu'il faut éviter surtout c'est le contact des
prisonniers avec les élèves de l'école Paoli. A ce
propos M. Ceccaldi rappelle que le Conseil général avait
demandé la transformation de cette école en
établissement de plein exercice. Une des raisons qui
n'ont pas permis à M le Ministre de l'Instruction
publique de donner suite à ce voeu, c'est le mauvais
état du local.
M. De Casabianca dit que M. le Ministre de l'Instruction
publique a promis d'allouer des fonds pour
l'agrandissement et l'amélioration de l'école ; mais le
département ne pourra compter sur le concours de l'Etat
que lorsque la nouvelle maison d'arrêt aura été
construite.
A son avis, le Conseil général devrait émettre le voeu
que la prison de Corte soit immédiatement évacuée ; et,
au cas où M. le Ministre de la guerre persisterait dans
son refus, il faudrait demander le tranfert de l'école
dans un autre local.
A cet effet M. De Casabianca, sénateur, en son nom et
au nom de Mrs. AStima, Peraldi, sénateur, et Mariani
dépose la proposition suivante en faveur de laquelle il
réclame l'urgence.
Les soussignés émettent le voeu que la maison d'arrêt de
Corte soit immédiatement évacuée.
Et au cas où le département de la guerre persisterait
dans son refus de livrer la citadelle de Corte pour
servir momentanément de maison de détention, les
soussignés, considérant que la maison d'arrêt de Corte,
au premier étage, sert de salle d'école, prient
l'administration de faire cesser cet état de choses et
de décider que l'école sera provisoirement transférée
dans un autre local qui sera choisi d'urgence.
Signé : Paul DE CASABIANCA, ASTIMA, PERALDI, MARIANI.
L'urgence est déclarée et la proposition adoptée.
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