Après la conquête de la Corse par
les Français en 1768, des lois spéciales sont édictées par le gouvernement du roi Louis XV
et un tribunal portant le titre de Conseil supérieur
devant siéger à Bastia est créé. Il est composé d'un
premier et d'un second président, de dix conseillers,
dont six gradués français et quatre naturels du pays,
d'un procureur général, d'un avocat général, d'un
substitut, d'un greffier, de deux huissiers et de deux
secrétaires interprètes. Il est en même temps créé deux
sièges de maréchaussée, dont l'un à Bastia et l'autre à
Ajaccio, composés chacun d'un prévôt, d'un lieutenant,
de deux assesseurs, d'un procureur du roi et d'un
greffier. Les autres judicatures existantes dans l'île
sont provisoirement confirmées.
Un second édit, également du mois
de juin 1768 , règle tout ce qui est relatif aux délits
et aux peines :
- 11 condamne à être brûlés vifs
les coupables du crime de lèze-majesté au premier chef
avec profanation des choses saintes.
- Il frappe d'une amende
arbitraire les jureurs et blasphémateurs du nom de Dieu,
de la sainte Vierge et des saints : la récidive est
punie du carcan et autre plus grande peine, à
l'arbitrage des juges.
- Il punit le sacrilège, joint à
la superstition et à l'impiété, de la peine de mort.
- Il punit de mort toutes
opérations de prétendue magie.
- Il punit d'amendes arbitraires
l'inobservation des fêtes et dimanches.
- Le supplice de la roue est
appliqué au crime de trahison envers le roi.
- L'assassinat est aussi puni du
supplice de la roue. S'il est commis par vengeance de
querelle de famille et haine transmise, la maison du
coupable sera rasée, et sa postérité déclarée incapable
de remplir jamais aucune l'onction publique.
- Le duel avec appel et rendez-vous
est puni de mort.
- Le procès était fait au suicidé :
son cadavre était brûlé et ses biens étaient confisqués.
- L'empoisonneur était brûlé vif.
- Les parricides étaient condamnés
au feu ; leurs cendres jetées au vent, leur maison était
rasée, et leurs enfants étaient tenus de prendre un
autre nom.
- Peine de mort contre toute fille
ou femme convaincue d'avoir Célé tant sa grossesse que
son enfantement, et dont l'enfant se trouverait mort
ayant été privé du baptême ; - peine de mort aussi contre
l'avortement.
- Supplice de la roue pour les vols
sur la grande route.
- Peine de mort contre le vol
domestique et le vol avec effraction.
-Trois ans de galères contre les
vagabonds et gens sans aveu, mendiants ou non mendiants.
- Peine du feu pour l'inceste en
ligne directe, ainsi que celui du confesseur avec sa
pénitente. Peine de mort contre celui du frère avec sa
sœur, du beaupère avec sa belle-fille, du gendre avec sa
belle-mère.
- L'adultère de la femme était puni
de la prison pendant la vie du mari ; l'adultère du mari
était frappé de telle peine qu'il appartiendrait,
suivant l'exigence des cas.
- La mort pour la banqueroute
frauduleuse ; la mort pour le faux commis par un
fonctionnaire ; les galères perpétuelles pour les
simples particuliers. La mort ou les galères pour le
faux témoignage.
- La peine de mort consistait, pour
les nobles, à avoir la tête tranchée ; pour les
roturiers, à être pendus et étranglés.
- Il était permis aux juges, en
prononçant la peine de mort, de faire appliquer les
condamnés à la question, pour avoir révélation de leurs
complices.
- Les condamnés aux galères
perpétuelles étaient marqués des lettres G. A. L., et
les condamnés temporaires, des lettres G. A. seulement.
- La confiscation des biens était la
conséquence de la condamnation à mort.
Une ordonnance du roi, du 23 août
1769, vint ajouter à toutes les rigueurs de ce code
vraiment draconien.
Cette ordonnance est ainsi conçue
: « Voulant pourvoir au maintien du bon ordre et
à la sûreté publique, S. M. a ordonné et ordonne que
tous les Corses « qui seront trouvés portant sur eux des
armes à feu, ou chez qui il s'en trouvera, quinze jours
après la publication de l'ordonnance, soient punis de
MORT SANS RÉMISSION ».
Cette ordonnance fut confirmée par
une déclaration du roi, du 24 mars 1770, laquelle
ajoutait : « Disons,déclarons et ordonnons que la
même peine (la mort) soit prononcée contre les
malfaiteurs connus dans cette île sous le nom de bandits
».
Le 24 juin suivant, M. le comte de
Marbeuf, alors commandant en chef pour le roi en Corse,
et, comme tel, investi de l'autorité absolue, trouvant
que la justice ordinaire exige des formalités
trop longues, déclara que, dans la marche qu'il allait
faire contre les bandits, ceux qui seraient pris
seraient pendus à l'heure même au premier arbre, sans
aucune forme de procès.
Voilà comment le roi Louis XV faisait traiter ses
nouveaux sujets.
Plusieurs hors-la-loi étant au
maquis, le général de Vaux entreprit de les pourchasser.
Quelques mois après la révolution
de 1789, pour que la justice soit rendue d'une façon
plus populaire, un décret du 20 avril 1790, sanctionné
par la loi du 24 avril 1791, institua le jury criminel.
Le jury mis en place le 1er janvier 1792, comprenait
neuf juges.
Peu confiant dans l'impartialité
des juges populaires, suspendit par arrêté du 2 avril
1801, le jury dans les deux départements du Golo et du
Liamone et institua une cour criminelle. le 25 mars
1801, il envoya en Corse Miot de Melito avec des
pouvoirs extraordinaires. Celui-ci en abusa tellement
qu'il fut rappelé à Paris le 23 octobre 1802 par
décision de Napoléon, alors Premier Consul.
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Un rapport de gendarmerie du
XIXème siècle donne du bandit la définition suivante: "
C’est un homme qui répond à une sommation en prenant le
maquis".
Il est très rare que les gendarmes
arrivent tout seuls à leur fins. Quand on dit qu'un
bandit a été pris, c'est généralement parce qu'il a été
trahi.
Quand on raconte qu'un bandit a été tué par les
gendarmes, les gens haussent les épaules et rigolent en
disant: " il a du être tué après sa mort ! " .
Quand un Corse a été insulté, ou
pire, quand l'un des siens a été blessé ou tué, il donne
à choisir à son ennemi entre "una palla calda ou
un ferru freddu" (une balle chaude ou un fer
froid).
Jadis, une croix sur une porte était considérée comme le signe d'une menace de mort.
Quand il a un ennemi déclaré le
Corse doit choisir entre les trois S, Schioppo,
Stileto, Strada (fusil, stilet, fuite).
Généralement il prend les trois à la fois!.
Quand il entre en inimitié, le
Corse lance à son adversaire: "Guardati, mi guardo
!" (Garde-toi, je me garde). Dès cet instant la
promesse de mort est déclarée, non seulement entre les
deux hommes, mais aussi entre tous les membres des deux
familles. Seuls, les vieillards, les femmes et les
enfants ne participent pas à la vendetta, encore qu'on
ait vu des femmes prendre les armes dans certaines
circonstances. Ainsi, pour une insulte, une
histoire de propriété ou de bornage, le secours à un
ami, une histoire de femme... autant de raisons qui
peuvent paraître comme autant de révoltes contre
l'injustice, le Corse se met hors-la-loi et s'en va
habiter le palais vert, refuge inextricable de tous les
bandits.
Le bandit Corse est tour à tour,
l’ami et l’ennemi d’une population qui le craint ,
l'admire ou le respecte. Alors que le gendarme est
« l’étranger », le bandit « appartient » à la
communauté, même quand il est haï. Nourrir, loger,
protéger un bandit, c'est s'assurer ses services. Le
bandit d’honneur est opposé au bandit percepteur sans
qu’il soit réellement possible de les classer
respectivement dans telle ou telle catégorie. La
littérature romantique s’est emparée du mythe du
« bandit d’honneur ». La réalité est beaucoup plus
cruelle et parfois plus sordide.
Le nombre de crimes commis en
Corse est presque incroyable. On relève sur les
registres de la république, en l'espace de trente deux
ans (de 1683 à 1715) 28715 meurtres.
En 1588, on avait défendu les
armes à feu mais on imagina de vendre des autorisations
de port d'armes. Trois ans après cette interdiction,
sept mille fusils circulaient en Corse et ceux qui
étaient confisqués étaient aussitôt revendus. La même
arme pouvait ainsi être revendu huit à dix fois au même
individu.
Entre 1818 et 1852,
4646 meurtres sont commis
dans l’île, soit une moyenne annuelle de cent trente
assassinats. Pour la seule période comprise entre 1821
et 1846, on dénombre 200 homicides en moyenne par an.
Réfugiés dans les montagnes,
certains bandits assassinent en quasi toute impunité,
terrorisent et rançonnent les populations des villages,
parfois même les villes d'Ajaccio et Bastia. Si la
vendetta représente à elle seule une partie de la
violence en Corse, le statut de bandit permet à travers
une violence individuelle de se procurer un argent
facile. Les populations locales, en dépit de quelques
sympathies, subissent ce tribut criminel et ne se
trompent guère sur les ressorts qui animent ces hommes
en les nommant : « I Percetori » (les
percepteurs). La position de bandit est même une source
d’influence dans la société insulaire où la justice a
toujours été considérée comme inefficace ou
insuffisante.
C'est
la raison pour laquelle l'administration décide qu'il
convient d'opposer aux bandits non plus une police
continentale mais une force indigène. Le gouvernement
décide de mettre sur pied un bataillon de voltigeurs
corse fort de 400 hommes armés et devant exercer une
fonction d'auxiliaires dans le maintien de l'ordre. Ce
bataillon sera institué par une ordonnance royale du 23
décembre 1822.
Composé uniquement d’insulaires volontaires dont
certains ont choisi de faire partie dans le but inavoué
de régler leurs comptes en toute impunité, ce corps de
voltigeurs se révèle
plus redoutable que les gendarmes mais les excès qui s'ensuivent conduisent à sa
dissolution en 1850 et il sera remplacé par la création
d'un bataillon de gendarmes mobiles dans lequel
choisissent de s'engager de nombreux voltigeurs.
Cependant, la lutte contre le
banditisme s'intensifie. Les effectifs de la gendarmerie
sont renforcés et réorganisés en 1851. Une loi du 10
juin1853 interdit le port d’armes à feu et d'armes
blanches.
On estime que le département est passé
de 148 bandits en 1852 à moins d'une dizaine en 1854.
Mais au début des années 1920, le
banditisme redevient actif dans l’île et brave les
forces de l’ordre impuissantes.
A travers les reportages
qui franchissent les frontières, les bandits deviennent
même célèbres : Spada, Caviglioli, Bartoli, Romanetti.
Certains d’entre eux se tourneront vers « le
gangstérisme » et exerceront leurs activités sur le
continent.
Afin d’éradiquer définitivement cette menace,
le gouvernement de Pierre Laval organise, largement
commentée, amplifiée et déformée par les medias, une véritable
expédition militaire.
Le 8 novembre 1931 arrivent à
Ajaccio a bord de deux navires mixtes, trois avisos et
un avion de chasse, 6 compagnies de 90
gardes mobiles, un impressionnant matériel de guerre
composé de deux tanks, dix auto mitrailleuses, vingt
camions et des chiens policiers.
Dans de
nombreux villages, comme Gagnu, La Punta, Vicu, Palneca,
Guitera, Zicavu, les routes sont interdites à la
circulation, le téléphone est coupé, le couvre feu est proclamé.
En peu de
temps plus de 160 personnes, sont interpellées avec
brutalité par les forces de l'ordre et incarcérées à la prison
d'Ajaccio ou elles y resteront plus d'un mois sans être
cependant interrogées.
En 1935, le dernier des bandits,
Spada, sera guillotiné en public, place Saint
Nicolas à Bastia.
Le macabre rituel du bourreau
Deibler, plus communément appelé "u Boja", venant
spécialement du continent avec ses bois de justice pour
exécuter la sinistre besogne, prendra définitivement fin
avec cette dernière exécution.
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