Le 30 janvier 1735 à Orezza, la Consulta réunie par Andrea
Ceccaldi, Giacinto Paoli et Don Luigi Giafferi, jette les bases
d'un état indépendant de Gênes et adopte en ces termes la
déclaration suivante dont voici le préambule et l'article
premier :
"Aujourd'hui, samedi 30 janvier 1735, sous l'invocation de la
Très Sainte Trinité, du Père, du Fils, du Saint Esprit et de
l'Immaculée Conception de la Vierge Marie et sous la
protection de nos Saints Avocats, sont publiées les décisions du
Royaume pour la rénovation de son gouvernement, qui sont les
suivantes :
1- Il est décidé que doit être choisie, et nous choisissons pour
protectrice de la Patrie et du Royaume tout entier l'Immaculée
Conception de la Vierge Marie et, pour cette raison, il est
établi que toutes nos armoiries et tous nos drapeaux doivent
compter l'image de l'Immaculée Conception et que la vigile et la
fête de l'Immaculée Conception doivent être célébrées par le
Royaume tout entier avec la plus grande marque de dévotion et
avec allégresse que traduiront des coups de fusil, de mousquet
et de canon qui seront ordonnés par la Junte du Royaume."
LE DIO VI SALVI
REGINA
et sa traduction en
Français |
LES ORIGINES DU DIO
VI SALVI REGINA
Par Paul ANTONINI - Décembre 1995 -
Accademia Corsa di Nizza |
Dio vi salvi Regina
E Madre Universale
Per cui favor si sale
Al Paradiso.
Voi siete gioia e riso
Di tutti i sconsolati,
Di tutti i tribolati,
Unica speme.
A voi sospira e geme
Il nostro afflitto cuore,
In un mar di dolore
E d'amarezza.
Maria, mar di dolcezza
I vostri occhi pietosi,
Materni ed amorosi
A noi volgete.
Noi miseri accogliete
Nel vostro santo Velo
Il vostro Figlio in Cielo
A noi mostrate.
Gradite ed ascoltate,
O Vergine Maria,
Dolce, clemente e pia,
Gli affetti nostri.
Voi dei nemici nostri
A noi date vittoria ;
E poi l'Eterna gloria
In Paradiso. |
Que Dieu vous garde,
Reine,
Et Mère universelle
Par qui on s'élève
Jusqu'au Paradis.
Vous êtes la joie et le rire
De tous les attristés,
De tous les tourmentés,
L'unique espérance..
Vers vous soupire et gémit
Notre coeur affligé
Dans une mer de douleur
Et d'amertume.
Marie, mer de douceur,
Vos yeux pieux
Maternels et aimants,
Tournez-les vers nous.
Nous, malheureux, accueillez-nous,
En votre saint Voile
Votre fils au Ciel
Montrez-le nous.
Acceptez et écoutez
Ô Vierge Marie,
Douce, clémente et pieuse,
Nos marques d'affection.
Sur nos ennemis
Donnez-nous la victoire ;
Et puis l'Éternelle gloire
Au Paradis.
|
Le Dio vi salvi, Regina a longtemps
occupé une place privilégiée parmi les
mystères dont l’histoire de la Corse est encombrée.
Jusqu’à une époque très récente (aux
environs de 1980) et grâce à la perspicacité
de Pierre Antonetti, on soutenait çà et là, mais sans
jamais en être certain, que le Dio vi
salvi, Regina aurait été créé à Corscia
(région du Niolu), à la chapelle Saint-Marc,
le 25 avril 1720, par un berger
niolin, Sauveur Costa, qui le présentait,
non seulement comme un hymne corse, mais
aussi comme un hymne guerrier.
Nous allons voir que le chant est bien
antérieur à 1720 et qu’il n’était ni corse,
ni guerrier et, par voie de
conséquence, que la tradition n’a pas de
fondement historique. Voyons maintenant le
détail.
Le Dio vi salvi, Regina est la
paraphrase italienne de l’hymne religieuse
latine “ Salve Regina ”. Il faut
donc commencer notre étude par celle-ci.
Faute de temps, je ne citerais pas ici le
texte latin qui commence par le fameux Salve Regina, mater misericordiae, vita, dulcedo et spes nostra,
salve ! . Néanmoins, si tout le monde
s’accorde sur la beauté et
la spiritualité de cet hymne marial,
quelques points obscurs subsistent encore.
Rappelons d’abord que le
Salve Regina est l’une des quatre antiennes (les trois
autres étant Alma Mater Redemptoris, Ave Regina coelorum et
Regina caeli). Comme ses trois autres
soeurs, cet hymne se
rattache au culte de la Vierge qui connut au XIII siècle un prodigieux développement. Sur
le nom de son
auteur, les spécialistes sont loin d’être
d’accord. On a parlé de Saint Bernard, puis
on a invoqué un moine
allemand du XI siècle, Hermann Contract de
Reichenau, mort en 1054. Bien que de
nombreux historiens émettent encore le
doute, on peut aujourd’hui tenir pour
crédible la composition du Salve Regina, vers la
fin du XI siècle, par Adhémar de Monteil,
évêque du Puy dès 1080, qui mourut de la
peste à Antioche, en
1098, alors qu’il était à la tête des
Croisés sur décision du concile de Clermont,
en 1095, et sur proposition
du pape Urbain II.
Cet homme de guerre et d’église vouait un
culte tout particulier à la Vierge, dont
l’image flottait sur sa
bannière. C’est l’une des raisons qui
rendent très vraisemblable l’affirmation
d’un contemporain selon
laquelle Adhémar de Monteil serait l’auteur
du Salve Regina, que l’on désignait
alors comme “ l’antienne du Puy ”.
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Bien que ce témoignage soit mis en doute par
certains historiens, on peut tenir pour très
vraisemblable la composition du Salve
Regina par le pieux et vaillant évêque du
Puy, dans les dernières années du XI siècle.
Quel que soit son auteur, le
Salve Regina connut une diffusion très rapide sous
l’influence des grands
Ordres Monastiques (Cluny, Citeaux,
Dominicains, Franciscains). Selon certains,
le page Grégoire IX
(Ugolino Compte de Segni), dont les fameuses
Décrétales forment une partie essentielle du
droit canonique,
enjoignit, dès 1239, de la réciter chaque
vendredi, après les Complies et le pape Pie
V l’introduisit, sous sa
forme définitive, dans le Bréviaire de 1568.
Mais on la chantait dès la première
croisade, à la fin du XI siècle
et elle était connue de toute famille
chrétienne dès cette époque.
Telle est résumée à grands traits,
l’histoire du Salve Regina, point de
départ de toute étude sur le Dio vi
salvi, Regina. Si l’histoire du Salve
Regina présente quelques zones
d’incertitudes, celle du Dio vi
salvi, Regina est parfaitement claire.
Voici les faits dans leur irréfutable vérité
historique.
Partons d’un épisode connu. Le Dio vi
salvi, Regina est adopté comme hymne
national corse, en janvier
1735, par une consulte tenue à Corte au
cours de laquelle les chefs nationaux de
l’île décidèrent la séparation
de la Corse d’avec Gênes. Le nouveau “
Royaume de Corse ”, selon le préambule
adopté alors, “ choisit pour
sa protection l’Immaculée Conception de la
Vierge Marie dont l’image sera empreinte sur
ses armes et ses
étendards : on en célébrera la fête dans
tous les villages avec des salves de
mousqueterie et de canons ”.
Tout cela est clair et incontestable, mais
les difficultés apparaissent lorsqu’on veut
éclaircir les antécédents de ce choix
puisque, bien évidemment, le berger Costa
n’est pas à l’origine du Dio vi salvi,
Regina. Voici donc comment les choses se
sont passées :
Les historiens de l’église napolitaine
connaissent bien Saint Francesco de
Geronimo, né près de Tarente en 1642 et
ordonné prêtre en 1666 avant d’entrer dans
l’ordre des Jésuites tout en complétant ses
études de philosophie et de théologie. Dès
cette époque, il acquiert une réputation de
Sainteté et reçoit une importante mission
d’apostolat dans la province de Naples.
Dès lors, il consacrera sa vie à l’apostolat
urbain dans les quartiers les plus
déshérités de cette ville. Son succès
populaire est immense et il ira même jusqu’à
convertir les femmes de mauvaise vie. Petit
à petit, son influence débordera du cadre
napolitain pour s’étendre aux Abruzzes, aux
Pouilles et au Samnium. Quand il mourut en
1716n à 74 ans, ses vertus étaient si
unanimement connues qu’il fut béatifié en 1806
par Pie VII et canonisé en 1839 par Grégoire
XVI.
Outre sa foi et son amour pour les plus
humbles, ce Saint était en outre doué pour
la poésie et la musique sacrée. C’est ainsi
qu’il composa plusieurs cantiques à la
Vierge, mais son oeuvre la plus connue est
le Dio vi salvi, Regina qu’il composa à
une date imprécise qui se situe toutefois
entre 1676 et 1681 où le poème apparaît pour
la première fois dans un ouvrage imprimé.
Comme beaucoup de prédicateurs, Francesco de
Geronimo disposait d’une chorale qui
interprétait ses oeuvres sur les places et
dans les rues. Les chants étaient alors
repris en choeur par la foule et c’est dans
cette atmosphère de ferveur et de dévotion à
la Vierge Marie que retenti pour la première
fois le Dio vi salvi, Regina qui ne
tarda pas à devenir la prière quotidienne à
la Vierge de toute la Congrégation des
Jésuites.
Le succès de l’hymne fut immense, Francesco
de Geronimo la chantait et la faisait
chanter partout. Pour en faciliter la
diffusion, il la fit imprimer à dix mille
exemplaires distribués au peuple. L’hymne se
répandit progressivement dans toute
l’Italie, mais comme elle était imprimée
sans nom d’auteur, on finit par oublier
l’identité de celui-ci. Cela explique que la
paternité de l’oeuvre ait pu être attribuée
par certains à Alphonse de Liguori.
Toutefois, après les travaux du père d’Aria,
le doute n’est plus permis : Saint Francesco
de Geronimo est bien l’auteur du Dio vi
salvi, Regina.
Vous avez entre les mains le texte que l’on
chante actuellement dans les églises. Nous
verrons plus loin que quelques variantes
séparent ce texte de celui d’origine et je
dirai aussi que certaines de ces variantes
ont une signification importante.
Un problème annexe n’est pas tout à fait
résolu : celui de la musique. Est-elle de
Saint Francesco de Geronimo ou de Saint
Alphone de Liguori, dont on sait par
ailleurs qu’il avait mis en musique un hymne
Salve Regina dont le texte et la musique
sont perdus ?
Le père d’Aria estime que Saint Francesco de
Geronimo en est bien l’auteur. Mais sur le
point précis de savoir si la mélodie que
l’on chante actuellement est fidèle à la
mélodie originale, il avoue qu’il ne peut
l’affirmer absolument, mais qu’il en a la “
certitude morale ”.
Quoiqu’il en soit, c’est essentiellement le
texte qui doit retenir toute notre attention
et, pour cela, il nous faut comparer le
texte italien du Dio vi salvi, Regina
et le texte latin du Salve Regina qui a été
pris pour point de départ de cette étude.
Disons brièvement qu’en écrivant son texte
italien, Saint Francesco de Geronimo voulait
le mettre à la portée de tous, je veux dire
de tous les ignorants qui composaient son
auditoire de miséreux, car le message latin
du Salve Regina n’était à la portée
d’aucun de ces malheureux. En quelques mots,
disons que Saint Francesco de Geronimo, par
l’usage de l’italien, voulait faire passer
l’esprit avant la lettre du texte latin.
Pour bien comprendre la démarche de Saint
Francesco de Geronimo auprès des humbles, il
faut s’arrêter sur la dernière strophe
italienne :
“ Voi dei nemici vostri
A noi date vittoria
E poi l’eterna gloria
In paradiso. ”
Le sens de cette dernière strophe italienne
est évident. S’adressant à un public de
pécheurs et surtout de pécheresses, et
désirant ardemment les arracher à la misère
spirituelle et physique, Saint Francesco de
Geronimo devait nécessairement invoquer
l’aide de la mère de Jésus, la Vierge Marie,
symbole de toute pureté, ultime refuge,
consolation et espérance suprême de tous
ceux et toutes celles qui s’étaient égarés
dans le péché de chair.
Or, ces ennemis de la Vierge (nemici
vostri) sont, en même temps, les ennemis
des malheureuses repenties, touchées par
l’ardente prédication du Saint, et ils ne
peuvent être vaincus que par l’intercession
de la Vierge Marie, faute de laquelle la
victoire sur le mal et l’impureté d’abord,
puis, par voie de conséquence, “ l’éternelle
gloire au Paradis ”, réservée au pécheurs
sincèrement repentis et pardonnés, ne
peuvent être qu’une vaine illusion et une
espérance sans fondement.
Telle est, restituée dans sa vérité
historique, la prière à la Vierge de Saint
Francesco de Geronimo, que les corses
insurgés transformèrent, dès 1735, en hymne
national guerrier, par lequel ils plaçaient
leur combat sous l’invocation de la mère de
Jésus, dont ils venaient de faire leur
protectrice, et sous l’image de laquelle ils
se battaient. C’est pourquoi, ils
apportèrent au texte italien une
modification qui est pleine de sens : “
nemici vostri ” devient “ nemici nostri ”
désignant ainsi clairement le sens du
combat.
Une autre variante du texte corse n’a pas
grande importance : “ tribolati ”, au lieu
de “ disperati ”, dans la seconde strophe ;
elle figurait peut-être dans les versions
italiennes de l’époque ; tout au plus
peut-elle signifier que les insurgés corses
ne sont pas du tout “ disperati ”, mais, au
contraire, pleins d’espérance dans l’aide et
l’intercession de la Vierge, et qu’ils sont
seulement – et temporairement – “ tribolati
”. L’essentiel, répétons-le, c’est le
passage de “ nemici vostri ” à “ nemici
nostri ”.
Cela étant, il convient maintenant de savoir
comment cet hymne marial est passé en Corse
: la réponse est simple, bien que multiple.
De nombreux patriotes corses bannis par
Gênes se réfugièrement à Naples. Rappelons
nous de 1739, lorsque Giacinto Paoli exilé
par Maillevois emmène son fils Pascal qui
fera les études militaire que l’on sait et
sera enrôlé dans le régiment “ Corsica ”
entièrement formé de compatriotes corses.
Ces corses étaient nombreux à Naples et tous
n’avaient pas embrassé une carrière
militaire. Certains étaient marins, d’autres
commerçants importateurs-exportateurs de
denrées agricoles (vin, fromages, huile,
amandes, etc¼), mais beaucoup étaient de
petites gens vivant dans les taudis du port
où les disciples de Saint Francesco de
Geronimo et leurs héritiers répandaient la
bonne parole ponctuée, dans la rue comme à
l’église, du Dio vi salvi, Regina.
Autre raison. Saint Francesco de Geronimo
étant Jésuite comme l’étaient la plupart des
enseignants de Corse, ces derniers mirent un
point d’honneur à “ véhiculer ” l’hymne à
travers la Corse et à la chanter à toute
occasion. Ajoutons enfin une autre raison,
le Dio vi salvi, Regina figure dans le
Sommario Della Dottrina Cristiana de
Monseigneur Spinola, archevêque de Gênes,
publié en 1704. Or, on sait que les cinq
évêques de la Corse dépendaient de
l’archevêché génois. Il est donc évident que
le catéchisme de l’église de Corse ne
pouvait être celui de l’église de Gênes. Il
est alors facile de conclure que, dès 1704,
l’hymne était chanté dans toutes les églises
de Corse. Il est intéressant de noter que,
dans un ouvrage du même genre que ce Sommario
publié en 1681, le Dio vi salvi,
Regina figure déjà dans une publication
due au père Innoncenzo Innocenzi.
En conclusion, il n’y a donc aucune
difficulté à admettre que la diffusion du
Dio vi salvi, Regina a été rapide et large
dans l’église de Corse au début du XVIII
siècle et, peut-être, dès le siècle
précédent.
Pour terminer, il faut se demander si l’on
peut concilier cela avec la tradition orale
soutenant que le berger Sauveur Costa serait
l’auteur de cet hymne marial. On ne peut
évidemment l’admettre compte tenu de ce qui
vient d’être exposé.
Que Costa l’ait entonné pour la première
fois le 25 avril 1730, c’est ce qui n’est
pas absolument exclu, mais à une condition :
donner à l’hymne marial du saint napolitain
la signification politique et guerrière que
les patriotes corses venaient de lui
attribuer.
Ainsi seraient réconciliées la tradition et
l’histoire. Ainsi aussi s’expliquerait mieux
l’adoption du Dio vi salvi, Regina cinq
ans plus tard comme hymne national de la
Corse insurgée.
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