D'ordinaire, en Corse, les unions
n'ont rien d'imprévu. Elles sont au contraire presque
toujours précédées de relations qui ont permis aux époux
d'apprécier leurs qualités respectives et la nature de
leur caractère.
L'amour
et l'honneur sont étroitement liés.
Le simple fait de dévisager avec
insistance une jeune fille, peut être à l'origine d'une
vendetta. Une jeune fille que l'on courtise est
irrévocablement une promise au mariage et ne pourra
jamais trouver par la suite d'autre époux que son
courtisan.
Le simple fait, même de lui
effleurer le visage, de toucher simplement une partie de
son corps, de tenter de l'embrasser, de lui caresser les
cheveux, de lui ôter son foulard, de la décoiffer en
public, est un geste irrespectueux passible des pires
représailles de la part de la famille de cette jeune
fille qui s'estime désormais déshonorée et qui le crie
haut et fort. Commettre l'attacare,
c'est se promettre à l'autre de façon définitive et en
cas de non respect de son engagement, c'est se rendre
coupable de la pire des offenses, c'est s'exposer à une
vendetta de la part de la famille de la
"victime" qui se trouve dans l'obligation de rentrer
dans la spirale infernale de la vengeance.
Dans une communauté
particulièrement soudée, la conduite de la jeune
fille sera étroitement surveillée par son père et sa
mère mais aussi par ses frères, par ses cousins et par
toute la "parentella". Elle rejaillira sur la famille et
même sur l'ensemble du village.
La Parenté constitue une partie de
la dot. On répondra au futur époux : "ma fille est
pauvre, mais elle a de nombreux cousins germains".
Une jeune fille est en age d'être
courtisée dés qu'elle atteint sa treizième année. Si
elle est issue d'une famille modeste, elle rêvera du
prince charmant, mais sa condition sociale fera qu'elle
se mariera nécessairement avec quelqu'un de son milieu.
Si elle est issue d'une caste de personnes qui ont leur
chaise à l'église, le parti qu'on lui choisira devra
correspondre à la volonté des parents. Dans les deux
cas, la décision d'épouser qui elle veut ne lui
appartient pas. Les mariages sont, toujours "arrangés".
La question de savoir si les jeunes gens s'aiment ne
fait pas débat, l'age également, importe peu. L'exemple
historique de Sampiero, qui était âgé de
47 ans lorsqu'il épousa Vanina à peine âgée de 15 ans,
était courant. Le soucis de donner sa fille à un "Jo",
l'intérêt d'agrandir le patrimoine familial, celui
d'agrandir le cercle des alliances en créant de solides
et puissantes relations, étaient des préoccupations qui
prévalaient toujours. Dans les villages, qui vivaient en
autarcie, les mariages consanguins étaient fréquents.
On avait coutume de dire que chaque village avait "son
fou". La peur d'avoir un champ à cultiver et de manquer
de bras était une motivation profonde dans une société
Corse où la terre était la seule richesse de tous, des
pauvres, aussi bien que des riches qui sans personne
n'étaient rien.
Autrefois, les jeunes filles ne se
promenaient pas seules dans le village. Elles ne
sortaient de la maison que pour accompagner leur mère
dans les travaux des champs ou pour garder le troupeau .
Le reste du temps elles vaquaient à des occupations
ménagères, faisaient la cuisine ou tricotaient. Parfois,
le jeune amoureux avait la chance d'apercevoir l'élue de
son coeur qui s'en allait à la rivière faire la lessive
hebdomadaire ou chercher l'eau à la fontaine avec sa
secchia (cruche) sous le bras. Ces rares
occasion étaient, avec la messe du dimanche ou la fête du
village, les rares occasions pour lui, de tenter une
approche. Voici comment se passaient ces "préliminaires"
:
L'amoureux suivait la jeune fille
de loin. Pendant qu'elle faisait sa lessive il se
plaçait bien en vue à une distance "respectable", puis
s'asseyant sur une pierre ou s'appuyant à un arbre, il prenait un air
songeur. La jeune fille, au bout d'un certain
temps, faisait semblant de le remarquer et le jeune
homme sortait de sa poche un mouchoir blanc qu'il
gardait bien en évidence dans sa main gauche.
C'est
ainsi qu'il déclarait sa flamme à la jeune fille.
Cette dernière, si elle ne
partageait pas ses sentiments, lui montrait son coude.
Tout était dit alors et elle
l'ignorait définitivement. Si cependant elle acceptait
ses avances, elle sortait à son tour de sa poche son fazulettu
(mouchoir)... Un code gestuel, alors en pratique en ce temps là,
dispensait les innamurati du moindre
échange de mots. Le jeune homme comblé, rentrait aussitôt
au village pour annoncer la nouvelle et avec ses amis
entamait les préparatifs du second chapitre: la
sérénade.
S'il a manqué d'inspiration pour
composer sa sérénade, l'amoureux trouvera toujours un
ami dévoué à l'âme de poète et, un soir, quand il sera
prêt, sous la fenêtre de sa belle, accompagné d'une
citera ou d'une guitare, il lui déclarera
publiquement sa flamme. Lorsqu'à travers les persiennes
il verra de la lumière, il saura qu'elle apprécie ses
aveux ; alors, après un dernier couplet dans lequel il
lui souhaitera le bonsoir, il repartira avec ses amis.
Quelques instants après, en signe d'allégresse, mais
aussi pour prévenir quelque éventuel rival, des coups de
fusil raisonneront dans la nuit.
Mais parfois, la jeune fille,
après les derniers vers chantés, soufflera la lampe,
fermera bruyamment la fenêtre et fera entendre son
mépris à l'infortuné prétendant.. C'est le
scuocolo, injure suprême qui pousse alors
l'amoureux éconduit à commettre l'irréparable et à
prendre le maquis. |