Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

 COUTUMES ET CROYANCES CORSES

LES HABITS (I vestiti)

Vous pouvez écouter sur cette page un extrait de la chanson "U vestitu di a sposa"  interprétée parAntoine CIOSI.

Dans l'habillement des hommes, le bonnet pointu de velours a presque partout disparu, pour faire place au bonnet phrygien de laine ; ce dernier, à son tour, ne tardera pas à disparaître, car la casquette ronde de drap fin s'est déjà introduite, même parmi les gens peu aisés. Il en est de même du costume des femmes ; elles ont quitté le drap corsé, le velours et la filoselle, pour s'habiller de laines fines et d'indiennes, et c'est à peine si dans quelques contrées on voit quelques femmes avec leur costume vraiment original et pittoresque.

 

Les Corses, dont les récoltes étaient souvent accaparées par les notables du village, étaient pauvres et les familles nombreuses de cinq ou six enfants et parfois plus, étaient souvent confrontées à la précarité. La misère et le dénuement étaient partout omniprésents.

On n'avait bien souvent que peu de linge et peu de vêtements que l'on conservait précieusement dans le cascione (grand coffre) en le parfumant avec du piombone (lavande). L'inventaire vestimentaire de toute un vie se résumait au luxe de pouvoir changer de vêtements deux fois par an et trois fois par an de sous-vêtements. Les femmes utilisaient leurs robes usées pour en faire des jupons et le costume, c'est à dire le vêtement le moins usé, n'était sorti que pour les grandes occasions: mariages fêtes, enterrements.

Dans chaque village, les femmes et les jeunes filles filaient et tissaient le lin, la laine, le chanvre et surtout le poil de chèvre. Ce travail, parmi de nombreuses autres occupations, constituait une de leurs principales activités qu'elles poursuivaient bien souvent en accomplissant d'autres tâches : En allant chercher du bois, en revenant de la rivière avec le seau sur la tête, en gardant le troupeau, à la veillée. Elles fournissaient ainsi à la Corse toute la toile et tout le drap nécessaire à la confection des habits.

Dès leur plus jeune âge, les jeunes filles étaient initiées à l'art du maniement du fuseau et de la quenouille. Elle se constituaient ainsi leur trousseau. Le jour de leur mariage, une quenouille enrubannée pour la circonstance, leur était offerte en cadeau par la mère du marié qui lui offrait ce symbole sur le seuil de sa maison pour lui rappeler les travaux à accomplir dans son futur devoir d'épouse.

Des doigts experts de ces femmes et de ces jeunes filles sortaient trois qualités de textiles: la toile de lin, le drap en laine de brebis (u pannu) et le drap en poil de chèvre (u pelone) qui servait à la confection des manteaux des bergers. Le poil des brebis noires, qui servait à confectionner les vestes, les peloni et les pantalons des hommes, était le plus recherché car c'était le plus solide. Le poil des brebis blanches servait à faire des gilets et des jupons. Avant d'être portés, tous ces vêtements étaient emmenés au moulin pour être foulés et parfois teints. Il y avait également quelques fabriques spécialisées. Celles de Venacu, du Niolu, de Siscu et de Bucugnanu étaient parmi les plus réputées.

Jusqu'au milieu du XIXème siècle, l'homme porte une ample et épaisse chemise en toile de lin, une large culotte faite dans le drap en laine de brebis, boutonnée sous le genoux (braghe), des guêtres confectionnées dans le même drap que la culotte et qui recouvrent de gros godillots de cuir parfois cloutés, une veste de velours et il coiffé d'un bonnet pointu de velours ou de drap qui le protège du soleil et du froid. Tous portent des bonnets de peau de sanglier, la baretta misgia. La casquette plate ( baretta), n'est utilisée que pour les grandes occasions.

Le berger est vêtu de velours ou de grossiers vêtements en poil de chèvre qui de loin le font ressembler à un ours. Il porte le pilonu qui lui permet de supporter les hivers rigoureux et dans lequel il s'enroule la nuit quand il dort à la belle étoile. Il porte à la ceinture une cartouchière (cartouchera) dans laquelle est parfois glissé un pistolet, dans sa poche un stylet, en bandoulière une gourde et une musette contenant son casse croûte, sur le pli du bras un fusil sans courroie.

 

Quand aux femmes, si dans les villes quelques unes s'habillent à la française, dans les campagnes et les villages, elles sont vêtues de vêtements confectionnés dans les mêmes étoffes que ceux des hommes.

Elles portent une chemise de lin tissée, un justaucorps (imbustu) et une robe longue souvent sans manches, de couleur noire ou bleu foncé, sous laquelle on compte jusqu'à sept jupons qui peuvent être de différentes couleurs.

Elles sont coiffées d'un bonnet ou d'un voile (mezzaru), leurs jambes sont recouvertes de bas bleus ou noirs, en laine ou en coton mais elles vont sans bas et sans souliers à leurs pénibles travaux.

Pour aller à la messe ou au cimetière, les femmes mariées portent une robe légèrement courte sur le devant et très longue derrière qu'elles rabattent sur leur tête (a faldetta).

 

Jaussin, apothicaire major des camps et armées du roi de France, a passé 47 mois en Corse de février 1738 à novembre 1741. Voici sa description de l'habillement des Corses :

« Leur habillement se ressent de la rudesse de leurs moeurs. La plupart de ces insulaires qui sont un peu aisés et qui vivent dans les villes s’habillent à la française ; quelques femmes y sont aussi vêtues comme les nôtres ; mais toutes les autres ont les cheveux tressés et par dessus un béguin rond de toile blanche ; elles portent un petit juste de soie ou de drap rouge avec deux cotillons bleus, dont l’un qu’elles retroussent sur leur tête ressemble à un voile de religieuse ; les femmes et les filles sont habillées de la même couleur ; néanmoins lorsqu’elles rentrent dans leurs maison au retour de l’église, elles abaissent leurs jupes, et les plus riches laissent voir un corset de quelque belle étoffe, un mouchoir fin sur le cou et leur tête est ornée d’une espèce de petit toquet avec une pointe penchée vers l’oeil gauche, qui donne aux jeunes personne un air assez gracieux ; celle là ont des bas rouges et des souliers d’étoffe de soie ; elles marchent rarement seules dans les rues. Le peuple est vêtu dans les villes à la façon des montagnards ; ceux-ci ont entièrement l’air hideux, et quand on en voit un de loin, on ne sait d’abord si c’est une créature humaine ou un ours.

Ils portent une camisole rouge ou jaune, d’un mauvais drap sous une veste brune d’une très grosse étoffe, et presque toujours par dessus un manteau semblable à celui d’un capucin. Ils sont toujours en bottines, ceux au moins qui sont un peu riche ; les prêtres et les moines en ont presque tous ; à l’égard des Corses montagnards, ils couvrent leurs jambes de peaux de chèvres dont le poil est en dehors ; ils n’ont points de chapeaux, ils ne se servent que de bonnet de grosse laine de la couleur de leur veste. La chaussure répond à ce galant habillement ; ce sont d’informes souliers plats dont le cuir n’est point corroyé et que pour leur commodité ils garnissent de clous, afin de mieux gravir les montagnes ; ils sont armés de fusils, de pistolets, et souvent de poignards et de stylets. Ils ont une cartouche à leur ceinture pleine de poudre et de plomb, et ils portent ordinairement une gourde remplie de vin et un petit sac où ils mettent du pain de châtaigne ou bien des châtaignes rôties.

Dans cet équipage ils courent le pays ; ils laissent presque tous croître leur barbe, sur tout ceux qui ont prémédité de se venger de quelqu’un. La barbe longue est chez les Corses la marque certaine d’une vengeance future dont ils ont formé le dessein. Les femmes et les filles des montagnes sont vêtues de la même étoffe que celle des hommes, et ont aussi un béguin de toile jaune sur leurs cheveux tressés ; elles vont sans bas et sans souliers à leurs pénibles travaux ; la propreté dans les deux sexes est très négligée ; il y a des endroits cependant où les femmes et les filles sont charmantes. Comme la beauté qui n’a point d’apprêt est celle qui frappe le plus, j’ai vu dans les différents lieux de cette Isle où j’ai voyagé, des Corses ravissantes, principalement par la vivacité de leurs yeux qui sont bleus et bien fendus. La servitude où elles vivent est cause qu’elles ignorent le prix de leurs appas, car leurs maris et leurs galants ne leur en parlent jamais ; elles n’ont pas le moindre mot poli et flatteur à espérer là dessus de leur part, aussi rien n’est plus froid, ni plus glacé que leurs amours et leurs mariages. Un Corse pense honorer beaucoup celle qu’il prend pour sa femmes, et si elle ne lui donne pas des enfants mâles, il devient plus bourru qu’il ne l’est ordinairement.

Le beau sexe d’ailleurs est accoutumé dans cette Isle à ce genre de vie. Quoi qu’on accuse toutes les femmes, de quelques pays qu’elles soient, d’avoir toujours un petit grain de coquetterie, je ne soupçonne pourtant pas ces montagnardes de connoitre ce manége ; car lorsque nos français à qui la langue démange continuellement auprès des femmes pour vanter leurs appas, que cela soit vrai ou faux, disoient à celles ci qu’elles étaient belles et charmantes, elles paroissoient surprises et pensoient qu’on se moquoit d’elles. J’avouerai cependant que quelques unes n’ont pas refusé de le croire… »

 

Autre description faite au cours d'un voyage au Niolu, celle de l’abbé Gaudin, vicaire général de Mrg Santini fait évêque du Nebbiu en 1776 :

"Les femmes, laissées seules à la maison, travaillent sans relâche à faire la toile…

La forme et la matière de leur habillement leur nuit… On croit que cette forme vient originairement des Maures, qui occupèrent long-tems ce pays ; peutêtre fut-elle imaginée par la jalousie, mais aujourd’hui il n’y a sûrement que l’habitude qui la conserve. On m’a assuré que la coëfure était autrefois un vrai turban : ce n’est aujourd’hui qu’un simple béguin, excessivement plissé.

L’habillement consiste dans une chemise qui se boutonne exactement sous le menton ; par-dessus est une enveloppe d’un drap lourd et épais, qui compose en même-tems leur corset et leur jupe ; elle est toute d’une pièce et descend jusqu’aux talons. L’usage veut qu’elle soit très plissées par en bas, ce qui ajoute encore à sa pesanteur, par-devant elle s’agraffe au-dessous du cou, laissant l’intervalle d’environ un doigt découvert, depuis l’agraffe jusqu’au-dessous de l’estomach. Cette partie est bordée chez les plus riches d’une mince lizière d’un autre drap, dont la couleur est plus saillante ; c’est la seul différence, et à-peu-près tout leur luxe. Il serait difficile de trouver une forme qui prétât moins aux désirs et à l’imagination : elle masque et écrase la taille, non-seulement cache la gorge, mais empêche même de la soupçonner. Du reste la couleur de la robe, qui est à peu-près celle de l’habillement des Capucins, l’étoffe et le costume, sont absolument les mêmes pour tous les rangs, pour tous les âges, et dans toutes les saisons : les corps de jeunes filles écrasés sous ce poids énorme, ne peuvent jamais parvenir à un plein développement.

Dans les villes les moeurs sont bien différentes, il n’y a point de Nation plus souple que les Corses et plus prompte à prendre toutes les formes qu’elle veut imiter. Les femmes qui ont encore plus de flexibilités, n’ont pas tardé à se rendre propres nos manières et nos usages… Elles ont adopté toutes les formes de notre Société, et ce qui est sans doute un malheur pour un pays aussi pauvre, le luxe de nos habillemens, et l’incostance de nos modes, que souvent elles embellissent par une expression vive et piquante, qui est toujours chez elles le caractère de la beauté".

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 19 mars 2023