Dans l'habillement des
hommes, le bonnet pointu de velours a presque
partout disparu, pour faire place au bonnet
phrygien de laine ; ce dernier, à son tour, ne
tardera pas à disparaître, car la casquette
ronde de drap fin s'est déjà introduite, même
parmi les gens peu aisés. Il en est de même du
costume des femmes ; elles ont quitté le drap
corsé, le velours et la filoselle, pour
s'habiller de laines fines et d'indiennes, et
c'est à peine si dans quelques contrées on voit
quelques femmes avec leur costume vraiment
original et pittoresque.
Les Corses, dont les récoltes étaient souvent
accaparées par les notables du village, étaient
pauvres et les familles nombreuses de cinq ou
six enfants et parfois plus, étaient souvent
confrontées à la précarité. La misère et le
dénuement étaient partout omniprésents.
On n'avait bien
souvent que peu de linge et peu de vêtements que l'on
conservait précieusement dans le cascione
(grand coffre) en le parfumant avec du piombone
(lavande). L'inventaire vestimentaire de toute un vie se
résumait au luxe de pouvoir changer de vêtements deux
fois par an et trois fois par an de sous-vêtements. Les
femmes utilisaient leurs robes usées pour en faire des
jupons et le costume,
c'est à dire le vêtement le moins usé, n'était sorti que
pour les grandes occasions: mariages fêtes,
enterrements.
Dans chaque village, les femmes et les jeunes filles
filaient et tissaient le lin, la laine, le chanvre et
surtout le poil de chèvre. Ce travail, parmi de
nombreuses autres occupations, constituait une de leurs
principales activités qu'elles poursuivaient bien
souvent en accomplissant d'autres tâches : En allant
chercher du bois, en revenant de la rivière avec le seau
sur la tête, en gardant le troupeau, à la veillée. Elles fournissaient ainsi à la Corse toute la toile et
tout le drap nécessaire à la confection des habits.
Dès leur plus jeune âge, les jeunes filles étaient
initiées à l'art du maniement du fuseau et de la
quenouille. Elle se constituaient ainsi leur trousseau.
Le jour de leur mariage, une quenouille enrubannée pour
la circonstance, leur était offerte en cadeau par la
mère du marié qui lui offrait ce symbole sur le seuil de
sa maison pour lui rappeler les travaux à accomplir dans
son futur devoir d'épouse.
Des doigts experts de ces femmes et de ces jeunes filles
sortaient trois qualités de textiles: la toile de lin,
le drap en laine de brebis (u pannu) et le
drap en poil de chèvre (u pelone) qui
servait à la confection des manteaux des bergers. Le
poil des brebis noires, qui servait à confectionner les
vestes, les peloni et les pantalons des hommes, était le
plus recherché car c'était le plus solide. Le poil des
brebis blanches servait à faire des gilets et des
jupons. Avant d'être portés, tous ces vêtements étaient
emmenés au moulin pour être foulés et parfois teints. Il y avait également quelques fabriques spécialisées.
Celles de Venacu, du Niolu, de Siscu et de Bucugnanu
étaient parmi les plus réputées.
Jusqu'au milieu du XIXème siècle, l'homme porte une ample
et épaisse chemise en toile de lin, une large culotte
faite dans le drap en laine de brebis, boutonnée sous le
genoux (braghe), des guêtres confectionnées dans
le même drap que la culotte et qui recouvrent de gros
godillots de cuir parfois cloutés, une veste de velours et il coiffé
d'un bonnet pointu de velours ou de drap qui le protège
du soleil et du froid. Tous portent des bonnets de peau
de sanglier, la baretta misgia. La
casquette plate ( baretta),
n'est utilisée que pour les grandes occasions.
Le berger est vêtu de velours ou de grossiers vêtements
en poil de chèvre qui de loin le font ressembler à un
ours. Il porte le pilonu qui lui permet de supporter les
hivers rigoureux et dans lequel il s'enroule la nuit
quand il dort à la belle étoile. Il porte à la ceinture
une cartouchière (cartouchera) dans
laquelle est parfois glissé un pistolet, dans sa poche
un stylet, en bandoulière une gourde et une musette
contenant son casse croûte, sur le pli du bras un fusil
sans courroie.
Quand aux femmes, si dans les
villes quelques unes s'habillent à la française, dans
les campagnes et les villages, elles sont vêtues de
vêtements confectionnés dans les mêmes étoffes que ceux
des hommes.
Elles portent une chemise de lin tissée, un justaucorps
(imbustu) et une robe longue souvent sans
manches, de couleur noire ou bleu foncé, sous laquelle on compte jusqu'à sept jupons qui
peuvent être de différentes couleurs.
Elles sont coiffées
d'un bonnet ou d'un voile (mezzaru),
leurs jambes sont recouvertes de bas bleus ou noirs, en
laine ou en coton mais elles vont sans bas et sans
souliers à leurs pénibles travaux.
Pour aller à la messe ou au cimetière, les femmes
mariées portent une robe légèrement courte sur le devant
et très longue derrière qu'elles rabattent sur leur tête
(a faldetta).
Jaussin, apothicaire major des camps et armées du roi de France, a passé
47 mois en Corse de février 1738 à novembre 1741. Voici sa description de l'habillement des Corses :
« Leur habillement se ressent de la rudesse
de leurs moeurs. La plupart de ces insulaires qui sont un peu aisés et qui
vivent dans les villes s’habillent à la française ; quelques femmes y sont
aussi vêtues comme les nôtres ; mais toutes les autres ont les cheveux tressés
et par dessus un béguin rond de toile blanche ; elles portent un petit juste de soie
ou de drap rouge avec deux cotillons bleus, dont l’un qu’elles retroussent sur leur
tête ressemble à un voile de religieuse ; les femmes et les filles sont habillées de
la même couleur ; néanmoins lorsqu’elles rentrent dans leurs maison au retour de
l’église, elles abaissent leurs jupes, et les plus riches laissent voir un corset de
quelque belle étoffe, un mouchoir fin sur le cou et leur tête est ornée d’une
espèce de petit toquet avec une pointe penchée vers l’oeil gauche, qui donne aux jeunes
personne un air assez gracieux ; celle là ont des bas rouges et des souliers
d’étoffe de soie ; elles marchent rarement seules dans les rues. Le peuple est
vêtu dans les villes à la façon des montagnards ; ceux-ci ont entièrement l’air
hideux, et quand on en voit un de loin, on ne sait d’abord si c’est une créature
humaine ou un ours.
Ils portent
une camisole rouge ou jaune, d’un mauvais drap sous une
veste brune d’une très grosse étoffe, et presque toujours par dessus un manteau
semblable à celui d’un capucin. Ils sont toujours en bottines, ceux au moins
qui sont un peu riche ; les prêtres et les moines en ont presque tous ; à l’égard
des Corses montagnards, ils couvrent leurs jambes de peaux de chèvres dont le poil
est en dehors ; ils n’ont points de chapeaux, ils ne se servent que de bonnet de
grosse laine de la couleur de leur veste. La chaussure répond à ce galant
habillement ; ce sont d’informes souliers plats dont le cuir n’est point corroyé et que
pour leur commodité ils garnissent de clous, afin de mieux gravir les montagnes
; ils sont armés de fusils, de pistolets, et souvent de poignards et de stylets. Ils
ont une cartouche à leur ceinture pleine de poudre et de plomb, et ils portent
ordinairement une gourde remplie de vin et un petit sac où ils mettent du pain de
châtaigne ou bien des châtaignes rôties.
Dans cet équipage ils courent le pays
; ils laissent presque tous croître leur barbe, sur tout ceux qui ont prémédité de
se venger de quelqu’un. La barbe longue est chez les Corses la marque certaine
d’une vengeance future dont ils ont formé le dessein. Les femmes et les filles des
montagnes sont vêtues de la même étoffe que celle des hommes, et ont aussi un béguin
de toile jaune sur leurs cheveux tressés ; elles vont sans bas et sans souliers à
leurs pénibles travaux ; la propreté dans les deux sexes est très négligée ; il y a
des endroits cependant où les femmes et les filles sont charmantes. Comme la beauté
qui n’a point d’apprêt est celle qui frappe le plus, j’ai vu dans les différents
lieux de cette Isle où j’ai voyagé, des Corses ravissantes, principalement par la
vivacité de leurs yeux qui sont bleus et bien fendus. La servitude où elles vivent
est cause qu’elles ignorent le prix de leurs appas, car leurs maris et leurs galants
ne leur en parlent jamais ; elles n’ont pas le moindre mot poli et flatteur à
espérer là dessus de leur part, aussi rien n’est plus froid, ni plus glacé que leurs
amours et leurs mariages. Un Corse pense honorer beaucoup celle qu’il prend pour sa
femmes, et si elle ne lui donne pas des enfants mâles, il devient plus bourru
qu’il ne l’est ordinairement.
Le beau sexe d’ailleurs est accoutumé dans cette Isle à
ce genre de vie. Quoi qu’on accuse toutes les femmes, de quelques pays
qu’elles soient, d’avoir toujours un petit grain de coquetterie, je ne soupçonne
pourtant pas ces montagnardes de connoitre ce manége ; car lorsque nos
français à qui la langue démange continuellement auprès des femmes pour vanter
leurs appas, que cela soit vrai ou faux, disoient à celles ci qu’elles étaient
belles et charmantes, elles paroissoient surprises et pensoient qu’on se moquoit
d’elles. J’avouerai cependant que quelques unes n’ont pas refusé de le croire… »
Autre description
faite au cours d'un voyage au Niolu, celle de l’abbé
Gaudin, vicaire général de Mrg Santini fait évêque du
Nebbiu en 1776 :
"Les femmes, laissées seules à la maison, travaillent
sans relâche à faire la toile…
La forme et la matière de leur habillement leur nuit… On
croit que cette forme vient originairement des Maures,
qui occupèrent long-tems ce pays ; peutêtre fut-elle
imaginée par la jalousie, mais aujourd’hui il n’y a
sûrement que l’habitude qui la conserve. On m’a assuré
que la coëfure était autrefois un vrai turban : ce n’est
aujourd’hui qu’un simple béguin, excessivement plissé.
L’habillement consiste dans une chemise qui se boutonne
exactement sous le menton ; par-dessus est une enveloppe
d’un drap lourd et épais, qui compose en même-tems leur
corset et leur jupe ; elle est toute d’une pièce et
descend jusqu’aux talons. L’usage veut qu’elle soit très
plissées par en bas, ce qui ajoute encore à sa
pesanteur, par-devant elle s’agraffe au-dessous du cou,
laissant l’intervalle d’environ un doigt découvert,
depuis l’agraffe jusqu’au-dessous de l’estomach. Cette
partie est bordée chez les plus riches d’une mince
lizière d’un autre drap, dont la couleur est plus
saillante ; c’est la seul différence, et à-peu-près tout
leur luxe. Il serait difficile de trouver une forme qui
prétât moins aux désirs et à l’imagination : elle masque
et écrase la taille, non-seulement cache la gorge, mais
empêche même de la soupçonner. Du reste la couleur de la
robe, qui est à peu-près celle de l’habillement des Capucins, l’étoffe et le
costume, sont absolument les mêmes pour tous les rangs,
pour tous les âges, et dans toutes les
saisons : les corps de jeunes filles écrasés sous ce
poids énorme, ne peuvent jamais parvenir à un plein
développement.
Dans les villes les moeurs sont bien
différentes, il n’y a point de Nation plus souple que
les Corses et plus prompte à prendre toutes les formes
qu’elle veut imiter. Les femmes qui ont encore plus de
flexibilités, n’ont pas tardé à se rendre propres nos
manières et nos usages… Elles ont adopté toutes les
formes de notre Société, et ce qui est sans doute un
malheur pour un pays aussi pauvre, le luxe de nos
habillemens, et l’incostance de nos modes, que souvent
elles embellissent par une expression vive et piquante,
qui est toujours chez elles le caractère de la beauté".
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