Dans les cas de décès ordinaires,
les démonstrations de la peine, chez la femme corse,
dégénèrent parfois eu excès qu'expliquent tant soit peu
la vigueur de son caractère, trempé dans les guerres
incessantes dont l'ïle a été le théâtre. Cependant,
s'agil-il d'un époux, d'un fils, d'un frère, tombé
victime sous les coups d'un meurtrier, alors elle se
change en une véritable Eumênide ; Elle court çà et là
éperdue, les cheveux en désordre ; elle se roule sur le
carreau, se précipite sur le cadavre, compte ses
blessures, suce le sang qui en découle, trempe son
mouchoir dans les plaies, et le visage enflammé, les
yeux étincelants, pousse des hurlements, et profère les
mots répétés et terribles de : Vengeance ! vengeance
! ! Elle fait appel au plus brave et l'invite à
laver l'outrage dans le sang ; elle menace de s'armer
elle-même pour frapper le coupable.
Mais quand s'est apaisé quelque
peu ce courroux, les voceri éclatent pour implorer
tantôt la justice divine, tantôt la justice humaine;
puis, par un retour subit de fureur, elle apostrophe de
nouveau parents et amis, et les somme de se venger sans
délai.
Il serait difficile de rendre dans
toute sa vérité cette scène d'un délire affreux produit
par le choc violent de la passion, de l'amour et de ta
haine ?
"Guardati, si u
sole un'ti tocca, ù mio piombu ti tocchera!".
On se souvient de la terrible
vendetta qui opposa en 1775 et pendant presque un siècle
les familles Paoli et Bartoli de Fozzano, village qui
vit naître l'héroïne romancée de Prosper Mérimée.
Née probablement bien avant
l'époque Génoise, la vendetta était encore en corse
jusqu'à la fin du XIXe siècle, une véritable institution. Pour les
medias qui l'ont intégrée au folklore de l'île
elle devint l'expression d'un certain archaïsme de vie
dans un pays de barbares à la civilisation arriérée.
Au départ, la vendetta, n'était
pas le banditisme. Supportée par des vraies valeurs,
s'exerçant suivant un code de l'honneur, elle était
justifiée principalement par les quatre situations
suivantes: Quand une femme a été déshonorée, quand une
promesse ou un engagement ont été rompus, quand un
proche parent a été assassiné, quand un proche parent a
été condamné par les tribunaux à la suite d'un faux
témoignage. Mais des offenses diverses peuvent aussi
déclencher la vengeance: Propos injurieux, gestes
injurieux (comme celui de cracher sur le fusil de son
adversaire), dégradation de biens, meurtre, tuerie d'animaux domestiques...
Cette obligation de vengeance peut
parfois s'étendre jusqu'au quatrième degré de parenté. Seuls, les enfants, les
vieillards et les membres de la famille qui veulent
rester neutres, sont dispensés d'y prendre part. Ces
derniers, qui ont tenté de se dérober à leur obligation,
seront méprisés et feront l'objet du
rimbeccu. Considérés comme des lâches, ils
subiront toute leur vie l'opprobre de leur famille.
Les femmes sont également exclues
mais certaines d'entre elles décident malgré tout de
prendre le fusil.
Ensuite, viennent les préparatifs
de la vengeance. La famille de l'offensé entame une
sorte de "retraite" qui consiste en un régime
alimentaire restreint et à une diminution des alcools,
les femmes portent le deuil et les hommes se laissent
pousser les cheveux et la barbe, parfois on se barricade
dans sa maison. Si la cause de la vendetta est le
meurtre, la chemise tachée du sang du défunt est exposée
dans la salle commune pour exciter les esprits et
maintenir à vif leur esprit de vengeance. Autour du
corps du défunt exposé sur la tola
(table), les femmes exacerbent les esprits par des
lamenti et des voceri.
La vendetta, dont le délai
d'exécution varie de 1 an à 25 ans, selon l'intensité du
conflit et le nombre de personnes impliquées, peut s'étendre à
plusieurs générations. Elle cesse parfois quand il n'y a plus
personne à tuer. On a vu des villages, impliqués dans
des vendettas sanglantes, cesser entièrement toute
activité, des familles entières se barricader dans leur
maison pour des périodes de réclusion pouvant durer
parfois plusieurs mois, les habitants les plus courageux
ne se rendre à leurs travaux des champs qu'accompagnés
des voltigeurs. Dans le village en état de siège, on ne
va plus à l'église, on ne se marie plus, on n'enterre
plus ses morts.
Parfois, un paceru
(médiateur) est désigné pour tenter de mettre un terme à
la vendetta. Sa sentence fera force de loi et tout ce
qui sera fait sous son intervention, sera consigné par
écrit dans un livre de pace (paix)et
approuvé par les adversaires qui renonceront à leur haine en se donnant
l'accolade et en se promettant amicizia e
parentella.
En 1755, Pascal Paoli essaya
d'éradiquer le terrible fléau avec la création d'un droit
répressif désigné sous le nom de "Giustizia Paolina". |