Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

 COUTUMES ET CROYANCES CORSES

LE MARIAGE (U matrimoniu)

 

Vous pouvez écouter sur cette page un extrait de la chanson "O Catali"  interprétée parAntoine CIOSI.

 

Le mariage dans l'Île de Corse est souvent l'occasion d'une paix que ni la rigueur de la justice humaine, ni la douceur et la persuasion de la loi divine n'auraient pu apporter dans les familles vivant depuis longtemps dans une inimitié mortelle. Un jeune homme et une jeune fille appartenant à des familles ennemies, épris d'amour l'un pour l'autre, ont pu bien des fois faire fléchir la haine implacable et le vain orgueil d'un honneur outragé.

Dans l'intérieur de l'île, surtout, la parenté constitue une partie de la dot. Lorsqu'on demande : "Quelle dot apportera telle jeune fille fiancée à son mari ?" on vous répondra : "Elle est pauvre, mais elle compte douze ou quinze cousins germains dans sa race". Cette parenté est un grand titre pour la demoiselle. Lorsque les parents d'une jeune fille donnent leur adhésion à la demande d'un jeune homme, leur parole est sacrée, et ce dernier est admis dans la maison comme un membre de la même famille. Mais malheur à lui si la sienne ne l'est pas ; ou si, séduit par des suggestions perfides, il cherche insidieusement les moyens de déplaire à sa fiancée et à ses parente afin de rompre avec eux !

Si la jeune fille trompée et abandonnée n'a ni père ni frères, ce seront les cousins qui se chargeront de la vendetta; et à défaut des parente, ce sera elle-même qui plongera le poignard dans le sein de son amant déloyal et infidèle.

D'autres jeunes filles, soit par défaut de courage ou soit pour ne pas en venir à l'assassinat, quittent, une fois séduites, le toit paternel, maudites par leurs parente et en horreur à toutes leurs amies et compagnes, et vont chercher au loin un état de servage souvent bien rude, pour celles surtout qui ont vécu jusqu'alors dans un état d'aisance et d'indépendance.

 

Traditionnellement, le mariage était avant tout une affaire de famille et l'endogamie était souvent la règle, sauf pour les plus riches. Les règles sévères de l'église contre les mariages consanguins rencontraient une résistance permanente chez les Corses et l'union illégale entre cousins germains constituait l'offense la plus courante constatée par les prêtres au cours de leurs visites pastorales au XVIIIème siècle.

Les mariages à l'extérieur étaient rares et faisaient souvent l'objet de sanctions. Dans 80 à 90 pour cent  des cas, les parents choisissaient pour leur enfant le promis ou la promise dans le même village, ou dans la même région.. Ces arrangements se faisaient en fonction de certains critères dictés par des intérêts économiques, idéologiques ou politiques. Dans les villages, deux familles ayant des intérêts communs "arrangeaient" u matrimoniu (le mariage) sans se soucier de la consanguinité qui pouvait parfois exister entre les futurs époux.

Mais, il y avait aussi des jeunes gens qui choisissaient de s'unir malgré l'opposition de leurs parents et qui "forçaient" le mariage. Pour cela, le garçon n'avait pas d'autre solution que de simuler, avec son consentement l'enlèvement de la jeune fille. Quelques jours après cette scapaticcia (fugue), le couple revenait au village obligeant ainsi les familles à considérer leur union comme un fait accompli.

Mais, si par malheur, la jeune fille revenait seule au village parce que son union n'avait pas marché, elles s'exposaient à subir le plus grave outrage qu'on puisse infliger, selon les moeurs de nos ancêtres, à une femme qui a déshonoré sa famille. Elle devait vivre désormais en recluse portant sur elle la terrible honte de sa faute. Aussitôt la jeunesse se réunissait, et il s'y joignait souvent des parente de la femme condamnée à subir le redoutable châtiment. La malheureuse était entraînée de force sur la place publique, et, quoique tout en pleurs et souvent évanouie, on la plaçait à califourchon et à la renverse sur un âne ; et après l'avoir promenée ainsi dans tout le village sous la huée, les sifflets de la foule et au bruit de la conque marine, on l'emmenait hors de la commune et après mille imprécations, on l'abandonnait ainsi à sa destinée.

 

Parfois aussi, lorsque les parents s'opposaient au mariage, les jeunes gens, accompagnés de deux témoins, se rendaient à la messe du dimanche et à l'élévation de l'hostie les jeunes gens, chacun à leur tour, devant l'assemblée des fidèles, déclaraient vouloir se prendre mutuellement pour époux puis quittaient précipitamment l'église. C'est ce qu'on appelait u matrimoniu di a volpe (le mariage du renard) ou matrimoniu alla greca (mariage à la Grecque). Tout le village étant désormais au courant de leur intention, il ne restait plus pour les parents qu'à entreprendre des négociations pour fixer la date du mariage.

Un proverbe Corse dit ceci: "Maries-toi dans ton pays, maries-toi dans ta commune et si tu le peux maries-toi dans ton village". Il y avait deux sorte de mariages: le mariage "proche" (parfois même consanguin en raison d'une vie paysanne en autarcie) célébré selon le rite du ruban et de la quenouille, et le mariage "lointain".

  

Dans le premier cas, les jeunes gens sont accompagnés à la mairie et à l'église.

Avant la bénédiction, le curé faisait placer un seau de bois (secchia) sur la tête de la future mariée. C'est dans cette position de porteuse d'eau qu'elle l'écoutait lui rappeler les devoirs du mariage, après quoi, le curé lui enlevait le seau et faisait son second discours au fiancé.

C'est uniquement le jeune homme qui passe au doigt de la jeune fille l'alliance que vient  de lui remettre le curé et qui est utilisée pour tous les mariages (signe de l'extrême pauvreté qui existait en Corse à cette époque). Elle la gardera  24 heures puis la lui ramènera.

Après la cérémonie, tout le monde -sauf les mariés qui ont droit au carrosse- remonte sur son cheval, sa mule ou son âne.

Dans certains villages, quand la mariée, suivie de ses parente et de ses amis, se rend au pays de son mari, elle fait une halte à la première fontaine ou ruisseau qui se trouve sur son passage. Elle s'agenouille, fait le signe de la croix, et prenant de l'eau dans ses mains, elle élève vers Dieu une prière suppliante et douce : "Seigneur, ordonnes que cette eau me purifie et emporte avec elle mes défauts à la mer, afin que je puisse entrer dans la maison de mon mari sans tache comme je suis sortie du sein maternel". Elle se signe de nouveau, se lève et continue sa route avec son cortège jusqu'au toit conjugal.
 

Dans certaines régions la mère, ou à défaut de la mère, la plus proche parente se tient debout sur le seuil de la porte; et quand la mariée arrive, elle lui offre la quenouille et le fuselu ornés de rubans en symbole d'alliance. Après une tendre accolade et de gracieuses paroles, elle la conduit dans le "salottu"où toute l'assemblée la suit et embrasse le nouveau couple.
Dans certains villages, la femme qui est chargée de faire accueil à la mariée lui tend l'extrémité d'un long ruban dont elle garde l'autre extrémité dans la main et la précède ainsi dans la chambre commune.
Dans d'autres lieux encore, on apporte aux époux une cuiller remplie de miel ou de lait caillé, et ensuite, tout le cortège s'empresse de goûter le miel ou le lait qui sont le symbole du jour de la douceur.
Enfin il est des pays où l'usage n'a introduit aucune cérémonie pour le retour au logis conjugal ; mais la compagnie toute entière embrasse les époux et leur adresse des souhaits de prospérité.
 

Dans le mariage lointain, l'un des futurs époux est issu d'un autre village ou d'une autre piève. Un carozzu (carrosse) vient prendre la mariée pour l'emmener au village de son futur époux qui l'attend sur le chemin avec une branche d'olivier. Pendant le trajet, on lance sur le cortège des poignées de riz, de fleurs et de grains de blé. Conduite à sa nouvelle demeure sous le bruit des fusillades, l'épouse est reçue par son beau père qui l'embrasse et lui remet la clé de la maison ainsi que toutes les clés des armoires puis l'invite à entrer.

 

La demande en mariage, dans une société Corse inhibée par la pudeur et la honte, se faisait sous forme de jeu. Pour faire sa déclaration, le jeune homme se débrouillait pour rencontrer l'élue tout à fait par hasard, quand elle allait chercher de l'eau à la fontaine, ou quand elle se rendait à la rivière pour faire le bucatu (lessive). Alors, il s'approchait d'elle et lui parlait sur le ton de la plaisanterie en laissant deviner ses intentions. Si la jeune fille lui répondait de la même manière, cela voulait dire qu'elle acceptait ses avances. Si, elle rejetait sa demande, elle le regardait fièrement, lui montrait son coude puis lui tournait le dos en prononçant des mots blessants. Pour éviter ce genre de déconvenue, c'était souvent le père du jeune homme où de la jeune fille qui se présentait au domicile des parents pour faire une demande dans les règles.

Selon la coutume, on pouvait considérer que deux jeunes gens étaient mariés et pouvaient vivre ensembles quand ils s'étaient donné l'abracciu (quand ils s'étaient embrassés). Après avoir convenu de la dot, les familles se donnaient l'accolade, tiraient des coups de feu et mangeaient des beignets. Le caractère officiel de cette union (le mariage civil et religieux pouvait n'être célébré que bien plus tard), même s'il n'était pas légal, était sacré par la parole donnée. Rompre l'abracciu, s'était s'exposer à une terrible vendetta.

Si le fiancé meurt avant le mariage, celui-ci  peut quand même être célébré longtemps après les funérailles et la fiancée doit porter le deuil pendant une année sans jamais sortir de la maison. Si, après le mariage, la femme commet l'adultère, elle peut habiter avec un autre homme. Son époux n'engagera pas de vendetta car il considère que son épouse s'est déshonorée seule et n'est pas digne qu'un homme d'honneur expose sa vie pour elle.

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 22 juillet 2023