Si la culture du sol est encore au
berceau, l'industrie, les arts, les métiers et le
commerce ont fait, au contraire, assez de progrès dans
l'île. On trouve, non-seulement dans les villes, mais
même dans les villages de peu d'importance, des
forgerons, des menuisiers, des cordonniers, des maçons
et de petits magasins de commerce. Dans les villes, les
ouvriers abondent comme dans les cités les plus
civilisées du continent.
De tous les cantons de la Corse, celui d'Orezza
(Piedicroce) est le canton dont les habitants se
distinguent le plus pour les arts et métiers. On y
fabrique des pipes, des cuillers, des fourchettes en
bois de bruyère et de buis, des chaises, des selles, des
faucilles, des stylets, des armes à feu, des pincettes
et autres ustensiles de cuisine, des quenouilles, des
chaussettes; des seaux en bois, de stamis, des cribles,
etc.. On trouve quelques petites tanneries, quelques
forges où on bat le fer que les habitante vont vendre
dans l'intérieur de File. Orezza est sans contredit le
canton le plus industrieux de la Corse.
Dans d'autres cantons on voit des
tisserands pour la toile de lin et pour le drap corse.
Ce drap, dont les fabriques les plus renommées sont
celles de Corte, Niolo, Venaco, Sisco et Bocognano, est
recherché surtout par les habitants de la montagne, où
le froid est toujours rigoureux pendant Fhiver.
Dans les villages de Campile et Canavaggia les habitants
fabriquent des pots en terre cuite. Dans le Niolo, outre
la toile de lin et le drap corse, on confectionne les
peloni, qui sont l'abri et la maison, pour ainsi dire,
du berger pendant l'hiver et les temps de pluie. Dans le
village d'Asco on fabrique le goudron et la poix, les
quenouilles, les fuseaux, les pelles qui servent à
enfourner le pain et celles qu'emploient les
moissonneurs pour vanner le blé.
Sur les côtes occidentale et méridionale, et souvent sur
la côte orientale de l'île, on pêche le corail, et sur
cette dernière côte on pêche aussi des
thons, des sardines et des anchois.
On fait une pêche considérable d'huîtres dans l'étang de
Diana ; de poisons dans l'étangs d'Urbino; d'anguilles
et poissons dans celui de Chiurlino.
Mais la plus considérable de toutes les industries de
File, c'est l'exploitation des grandes carrières de
marbre, qu'on a commencée dans plusieurs endroits : à
Corte, sur les bords de la Restonica, où l'on a établi
une grande scierie ; à Serraggio, à San-Gavino de
Venaco, à Castifao, à Oletta, à 0lmetta, à
Saint-Florent, à Bevino, etc...
Les riches mines de cuivre de Linguizzetta, d'Erone, de
Castifao et de Ponte alla Leccia ; celles d'antimoine,
d'Ersa, de Meria et de Luri, et enfin les usines de fer
de Toga et de Solenzara, occupent et donnent du travail
à quelques milliers de personnes.
Avant que la route du progrès
n'arrive jusqu'aux villages les plus retirés de nos montagnes,
les marchands ambulants qui etransportaient leurs
marchandises à dos d'ânes ou de mulets étaient les éléments indispensables à la
survie quotidienne de la vie communautaire.
C'est grâce
à l'artigianu (l'artisan) que de nombreux
villages ont acquis et cultivé leur renommée. La région
la plus riche et la plus peuplée de Corse, la
Castagniccia, était la plus représentative de ces petits
métiers aujourd'hui disparus.
Orezza, village très peuplé et
réputé pour ses eaux, comptait de nombreux
artisans; ses mulateri 'les muletiers)
étaient connus dans toute la région. On avait recours à
eux pour le transport du bois, du charbon, du minerai de
fer que l'on extrayait de la mine de Campana, etc... Ils
faisaient également le bonheur des curistes.
Valle d'Orezza ne comptait pas
moins d'une dizaine de pipaghji (fabricants
de pipes).
C'est à Piazzole que l'on achetait
à u sportaghju.(vannier) ses sporte (paniers)
pour aller faire la récolte des châtaignes. A Monaccia d'Orezza on était
spécialisé dans la poterie (terrame).
C'est à Tarranu, et plus
précisément au hameau de Bonicardu, que l'on trouvait l'armaghjolu
(l'armurier) qui fabriquait la fameuse catana
(du nom de son fabriquant) chez lequel Pascal Paoli se fournissait.
U bancalaru (le
menuisier) était un artisan indispensable que l'on
trouvait dans chaque commune; Des portes aux fenêtres, en
passant par les escaliers, de la chaise au pétrin, de la
cave au grenier, du berceau au cercueil, le menuisier
donnait au châtaignier ses lettres de noblesse.
Un autre personnage jouait un rôle
déterminant dans la société Corse: c'était u
stazzonaru (le forgeron). Il fabriquait et
réparait tous les outils nécessaires à l'agriculture,
ferrait les chevaux, savait transformer une simple
plaque de fer en chaudron, se transformait en
vétérinaire pour soigner un animal malade, en dentiste
pour arracher une dent, ou en médecin pour soigner
certaines douleurs comme la sciatique.
Et puis, il y avait les marchands
ambulants (i scatulaghji) qui créaient
l'évènement, éveillaient
la curiosité des villageois et faisaient la joie des
enfants. Derrière leur pauvre mule chargée de ballots,
avançant péniblement au pas rythmé de sa campana
(clochette), on les entendaient arriver de loin et nous,
les enfants, nous courrions à leur rencontre pour les escorter jusqu'au village où nous avions hâte de les
voir déballer leur marchandise.
C'était tour à tour : U bancarrotu, auquel
les femmes apportaient un intérêt particulier pour ses
produits de mercerie, ses étoffes et ses tissus aux
couleurs bariolées.
L'arrutinu, qui savait rendre les lames des couteaux, faux et
ciseaux plus coupantes que celles d'un rasoir.
U tragulinu, qui
transportait dans ses sacs de la nourriture mais aussi
une multitude d'objets qu'il ventait avec un tel
bagou que les gens du village se laissaient toujours
avoir.
U carritteru, venant
de la ville, parcourait les villages avec
son chargement de meubles, d'ustensiles et d'autres
objets hétéroclites pour aller livrer les commerçants.
Tous les habitants du village se pressaient autour de sa
carriole pour s'informer des dernières nouvelles (On ne
lisait pas les journaux en ce temps là). A la
tombée de la nuit, il y avait toujours une famille pour
lui offrir l'hospitalité. Le lendemain matin de bonne
heure il reprenait sa route.
Dans
la région où l'arbre à pain procurait au paysan sa
nourriture essentielle, il était normal d'y trouver au
moins un moulin par commune.
U mulinaghju
(le meunier), régnait en maître sur son moulin à eau.
Tous les habitants du village venaient lui apporter
leurs châtaignes à moudre.
Je me souviens de celui
d'Orezza, dont l'immense roue emportée par l'eau du
torrent, tournait sans discontinuer dès l'aube au soir
très tard. Aujourd'hui en ruine, il a pratiquement disparu
sous une épaisse végétation.
Citons encore le tisserand pour la
toile de lin, les drap et les peloni dont les fabriques
les plus renommées sont Corte, le Niolo, Venaco,
Bocognano, Sisco.
La poterie dans les villages de Campile et de Canavaggia.
Mais la plus considérable de
toutes les industrie, c'est l'exploitation des grandes
carrières de marbre: Corte (au bord de la Restonica), Serraggio, San-Gavinu di Venacu, Castifao, Oletta,
Saint-Florent.
On exploite aussi les mines de
cuivre de Linguizzetta, Erone, Castifao, Ponte-Leccia ;
les mines d'Antimoine de Ersa, Meria, Luri ; les mines de
fer de Toga, Solenzara.
Bien d'autres petits métiers, en
grand nombre en ce temps là, ont
été emportés par le progrès. Le barbier (u barbieru
), le charretier (u fascinaghjulu), le bottier (u
scarparu), le tailleur (u sartore),
le charbonnier (u carbunaru), le
chaudronnier (u paghjulaghju), le
réparateur de parapluies (u paraquaghju), etc...
Le temps des rameaux de lentisque
accrochés au dessus de la porte des cantines (les
restaurants n'existaient pas encore) pour indiquer que
l'on venait de se réapprovisionner en vin, était
désormais révolu.
Les marchands ambulants ont cessé
lentement d'exister en abandonnant sur la route d'un
"infernal" progrès leurs grelots et leurs carrioles
fatiguées. Aujourd'hui, seul le boulanger et le facteur
parcourent encore les quelques villages habités de cette
Castagniccia, autrefois si glorieuse.
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