Bien que les villages
Corses soient
constitués de plusieurs petits hameaux, généralement
érigés sur la ligne de crêtes des collines pour des
raisons compréhensibles de sécurité, la population y
était nombreuse en ce temps là.
Plus que modeste, la maison, dont le
premier niveau en terre battue est réservé pour une
partie -l'autre partie servant de cave- aux animaux
domestiques (poules, chèvres, lapins, mule ou âne), possède deux
ou trois étages dans lesquels logent parents, enfants et
petits enfants.
Dans cette communauté l'esprit de famille prend
tout son sens. Bien que la maison paraisse
immense, elle ne se compose bien souvent que
d'une pièce principale dans laquelle prône
l'immense fucone, dont la
fumée est censée s'évacuer par le plafond
fait de lattes de bois sur lesquels sont
mises en hiver les châtaignes à sécher.
On s'éclaire à l'aide d'une torche
de bois gras, à dedda et l'on vit parfois à l'étroit.
Les enfants
dorment à plusieurs dans le même lit dont le matelas est
confectionné avec des feuilles de maïs (le chanvre ne
sera utilisé que plus tard).
Le père de famille, u patrone, reste le maître en toutes
circonstances. A sa mort, selon la tradition, la maison
reviendra à l'aîné de ses fils. Dans une famille Corse,
il est important d'avoir une nombreuse famille
constituée surtout de garçons; d'abord parce que ces
derniers constitueront une main d'oeuvre nécessaire pour
les travaux des champs et ensuite parce qu'ils doivent
assurer la continuité généalogique, perpétuer le nom de
famille et garder intacte la propriété familiale
considérée comme "logu di raportu". Les
filles, de leur côté, hériteront systématiquement de la
propriété de la plaine.
Pendant que l'homme part le matin
à l'aube pour s'occuper des animaux et vaquer aux divers
travaux saisonniers, la maîtresse de la maison (a patrona) entretient la maison,
élève les enfants avec autorité, s'occupe du jardin
potager et de l'arrosage, participe aux travaux des
champs et aux nombreuses cueillettes (celle des
châtaignes étant la plus importante). Elle va chercher l'eau
à la fontaine, pétrit le pain, etc... C'est elle, quand
le mari est absent, qui
remet symboliquement la clé de la maison à celle que son
fils aura choisi pour épouse et qui habitera désormais
sous son toit, c'est elle que son époux consulte pour
les décisions importantes, c'est elle aussi -les
exemples sont nombreux- qui sera
capable de prendre les armes en cas de nécessité.
La maison Corse, surtout dans les
villages, a l'âme hospitalière ; savoir recevoir est plus
qu'un devoir, c'est une règle d'or. Quand un "furesteru"
(étranger) arrive au village, chaque famille se dispute
l'honneur de l'avoir à sa table. Il sera reçu pour
l'occasion, in salottu (au salon) et fera
l'objet de toutes les attentions.
Je me souviens, que l'étranger ou
le parent qui arrivait chez grand mère ne franchissait
jamais le premier étage car les autres pièces de la
maison étaient exclusivement réservées à la famille. Ces
autres pièces étaient : au rez-de-chaussée,
u palmentu (la cave) que l'on nommait aussi
cantina, dans laquelle on rangeait le vin
et le fromage de la propriété familiale, au premier
étage, auquel on accédait par un escalier aux marches
recouvertes d'ardoise, il avait trois chambres (stanze)
et le salon (salottu), au deuxième étage
identiquement agencé au premier, se trouvaient encore
trois chambres et la salle principale (sala)
qui était la pièce à vivre.
Dans
cette pièce où j'ai vécu en compagnie de grand-père
tant de veillées inoubliables, je revois le grand
fucone, élément indispensable au séchage des
châtaignes et de la charcuterie, u carminu
(la cheminée), u cascione dans lequel on
rangeait les ustensiles de cuisine et les provisions,
a meria ou media (le pétrin) où l'on
conservait le pain pour la semaine, u bancale
(un grand banc de châtaignier avec un dossier) et
dans un renfoncement du mur, masqué par deux portes en
bois, a scanceria (le placard) dans laquelle on
rangeait aussi les provisions et parfois le chocolat
auquel je rêvais avec envie ; enfin au dernier étage
a rate (le grenier) fait de lattes de
châtaignier grossièrement taillées, entièrement noircies
par la fumée et disposées à claire-voie, sur lesquelles
on étalait les châtaignes que la chaleur du fucone faisait sécher
au fil des jours.
Le soir de Noël, la bûche
traditionnelle était accompagnée d'autant de petites
bûches, plus grosses pour les hommes que pour les
femmes, qu'il y a de membres dans la famille, présents
ou absents. Si l'on en oubliait un, il y aurait un mort
dans l'année. Aussi avait-on bien soin de compter et de
nommer à haute vois tous les siens. Et cette suite de
noms jetés au dessus des flammes du bûcher prenait
valeur d'incantation.
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