Parmi les usages singuliers
relatifs à la naissance, Diodore de Sicile écrit : "
Ce qu'il y a de plus incroyable chez les Corses, c'est
ce qui se passe à la naissance des enfants ; quand une
femme accouche, on ne prend d'elle aucune espèce de
soin, son mari se met au lit comme si c'était lui qui
était souffrant des suites de couches, et il y reste le
nombre de jours réglementaires comme si son corps avait
subi quelque fâcheuse atteinte. "
Strabon fait la même remarque en
parlant des Ibères : " Les femmes, dit-il dans une
description de l'Espagne, ont une énergie virile égale à
celle des hommes. Elles cultivent la terre et, quand
elles viennent d'accoucher, elles servent leur maris
après les avoir fait mettre au lit à leur place."
En Corse, dès la venue de
l'enfant, il était également de tradition de couper le
cordon ombilical généralement à ras pour les filles et
selon la longueur du membre viril chez les garçons.
Quant au placenta, il était profondément enterré dans le
jardin à proximité de la maison.
Autrefois,
toutes les naissances se passaient au village.
Lorsqu'une jeune femme était sur le point d'accoucher,
on faisait appel à la cugliadora, mammana ou
bonadonna, une femme du village qui, réputée
pour ses compétences et son habileté dans l'art de
mettre au monde les enfants, n'avait d'autres
connaissances que celles acquises au cours d'une longue
expérience. En fait, il ne se trouvait que très rarement
en Corse une sage-femme qui ait fait des études pour
exercer ce métier. Les femmes enceintes répugnaient
d'ailleurs à faire appel à un chirurgien. Ce n'est que
lorsque, épuisées par les douleurs de l'enfantement qui
devenaient trop insupportables, lorsqu'il n'y avait
presque plus d'espoir d'être sauvées, qu'elles s'y
résignaient.
"Chi sara ? maschiu o femina
?" (Qu'est-ce-que ça sera ? un garçon ou une
fille?). En ce temps la, pour déterminer le sexe de
l'enfant on avait recours à l'interprétation des signes,
aux pratiques divinatoires, on se fiait à la forme du
ventre, à la période de la lune durant la fécondation,
on invoquait Sainte Anne.
Si c'est un garçon, selon la
tradition, il portera le prénom de son grand-père
paternel; si c'est une fille, on lui donnera celui de sa
grand-mère maternelle. De préférence, ce sera un garçon
(7 garçons pour une fille, dit le proverbe). En
attendant la venue de l'enfant, gare aux envies de la
femme enceinte !.(e brame). Si elles ne
sont pas satisfaites, les enfants en porteront la marque
à la naissance.
Jadis, quand une femme mourrait
avant d'avoir mené à terme sa grossesse, on déposait
dans son cercueil, du fil, une aiguille, des ciseaux et
un morceau de toile pour qu'elle puisse dans l'au-delà
coudre les langes de son enfant.
La femme Corse assistée de la
mammana, n'accouchait pas dans le lit où elle s'était
"déshonorée", mais sur une
couverture, à même le sol, près de la cheminée ou du fucone au dessus duquel était suspendue une marmite
d'eau bouillante. L'homme était tenu à l'écart tant
que la naissance n'avait pas eu lieu. Au bout d'un
maximum de 24 heures la femme reprenait ses occupations.
Dès les premiers instants de la
vie, si la mère ne pouvait pas allaiter elle même,
c'était la mammana qui se chargeait de donner le sein à
l'enfant qu'il fallait à présent protéger des
streghe et des mazzeri.
Dès qu'il y avait quelque
inquiétude sur la santé de l'enfant on allait
systématiquement consulter l'incantatora
(la guérisseuse), seule personne capable de déterminer
s'il était ou non annuchjatu (victime du
mauvais oeil).
Mais la vigilance ne suffisait pas
toujours à garantir les nouveaux-nés des streghe
(sorcières) qui venaient leur sucer le sang . Si par
malheur, l'un d'entre eux venait à mourir, les parents
faisaient un certain nombre de gestes destinés à
préserver les autres enfants : Ils prennent une
chaudière, la remplissent d'eau qu'il font bouillir et y
jettent en même temps les vêtements de la pauvre
victime. Le père, un poignard à la bouche, se tient près
du feu. Quand l'eau bout, le sorcier arrive. Il se
présente sous la forme d'un chat, soit d'une belette. Il
faut alors le saisir car s'il parvient à s'échapper, il
recommence ses exploits. Si au contraire, on le tient
ferme, il prend, après beaucoup de contorsions, son
aspect primitif ; il devient un homme. On lui fait alors
jurer de respecter les enfants. Dès lors, on n'a plus
rien à craindre de sa part.
Dans certaines régions, avant de
n'être mis dans son berceau (u vèegulu), le nouveau-né dormait dans
le lit de sa mère jusqu'à ce qu'il ait atteint l'âge
d'un mois. Pour empêcher les mauvais esprits
et les démons
de s'approcher du nouveau né, on plaçait au fond de son
berceau un livre de messe et un poignard au manche en
forme de croix. Le livre de messe servait à écarter les
démons et le poignard devait éloigner les sorcières. On
ne laissait jamais le nouveau né seul les jours de
brouillard tant qu'il n'avait pas percé sa première
dent. On ne coupait jamais les
ongles du bébé. Avant de s'endormir la mère prenait
soin de placer une faucille, un morceau de cierge de la
chandeleur ou du gros sel sous son oreiller.
On veillait également, en particulier la mère, à ne jamais embrasser le nouveau
né dans son berceau, à ne jamais le faire dormir les
pieds dirigés vers la porte et à ne jamais balancer son
berceau vide sous peine de lui porter malheur. De même,
lorsqu'on transportait l'enfant d'une pièce à l'autre,
on prenait soin de toujours diriger sa tête vers
l'avant.
Ainsi protégé, bercé par une
nanna
(berceuse) l'enfant s'endort chaque soir
paisiblement et si c'est un garçon, pour lui assurer une
éducation virile, la nanna exalte le sentiment de la
vengeance et la fierté du bandit d'honneur en commençant
par ces mots :
Quandu sareti grandoni
Purtareti li vostr'armi
Un'bi farrani paura
Bultisciori ne giandarmi
E si vu'st'inzirmitu
Sareti un fieru banditu
... |
Quand vous serez
grand
Vous porterez vos
propres
armes
Ni voltigeurs ni
gendarmes
Ne vous feront peur
Et si vous vous
mettez en colère
Vous serez un fier
bandit
... |
|