François Bornéa est né à Campo le 17 avril 1905. Après une
enfance sans histoires pendant laquelle il se fait remarqué comme
coureur cycliste, il s'engage dans la marine à l'âge de
18 ans.
Le 4 octobre 1924, il épouse à
Ajaccio Pancrazia, Benoite Baptistine Ceccaldi.
Libéré en 1925, il retourne en Corse et demande aussitôt à intégrer le corps
de la Gendarmerie à Saint Auban, dans les Alpes
Maritimes où il se fait remarquer par son zèle et sa rigidité dans
le service.
Entre temps, sa femme tombe malade à la suite d'un accouchement difficile et il lui est
conseillé de rentrer au pays natale pour se reposer. Bornéa
en profite pour faire une demande de changement de corps.
En 1927, il demande et obtient son
affectation dans le corps des gendarmes maritimes à
Toulon.
Le grand port de guerre méditerranéen abrite une
importante colonie corse, et les ruelles de la Basse-Ville sont le quartier général
d’un certain nombre de mauvais garçons originaires de
l’île de Beauté. Bornéa va y faire de mauvaises
rencontres, notamment des amis d'enfance qui ont mal
tourné et qui vont altérer son comportement jusqu'alors
irréprochable.
Peu à peu, il se met à négliger son service pour
fréquenter avec assiduité les petits bars enfumés d'où,
en jouant à la belote, les souteneurs surveillent leurs
protégées.
En juillet 1928. il s’absente irrégulièrement de son
poste. Un mandat d’arrêt est lancé contre lui. Il est
appréhendé à la descente du bateau, à Ajaccio et ramené
à Toulon.
Le 10 décembre 1928, il passe en
conseil de discipline et est définitivement radié des effectifs pour cause de désertion.
Plus rien ne le retient désormais sur le continent.
Il rentre en Corse mais ne rejoint pas sa femme à
Ajaccio et s'installe quelques temps chez ses
parents, à Guitera puis à Ciamanacce et enfin à Palneca
où il y trouve un emploi de forgeron. Mais sa
réinsertion dans la commune se révèle difficile. Sans
argent, il exerce au hasard des villages de Corse, du Taravo même jusqu'en Castagniccia, sa profession de
forgeron et d'horloger.
Devenu chauffeur d'auto, Bornéa
obtient de conduire la camionnette du service
d’Ajaccio à Zicavo. Un jour, pour une raison seulement connue du
concessionnaire, ce dernier lui demanda de ne point
assurer son service. Bornéa refuse, bien que l’autre lui
ait offert une somme importante pour se reposer ce
jour-là. Pour se venger de ce refus, le concessionnaire
Porte plainte. Bornéa le
menaça de mort ; le concessionnaire déposa une nouvelle
plainte.
Craignant alors pour sa liberté, Bornéa prend le maquis,
mais n’oublia pas...
Cette vie errante faite d'expédients le mène tout droit
à la délinquance.
C'est à ce moment qu'il fait la
connaissance de Joseph Bartoli dont les exploits
semblent l'avoir "impressionné". Les deux hommes se lient d'amitié
et le 17 janvier 1930, à Cozzano, ils arrêtent la
voiture d'Ange Marsilj pour lui soutirer une importante
somme d'argent. Puis ils exigeront de lui une "redevance"
pour lui permettre de continuer son activé. Mais les
exigences des deux complices ne tardent pas à se faire
plus nombreuses et plus lourdes. Marsili préfère
liquider son affaire et quitter la Corse.
Le racket s’intensifie. Industriels, commerçants,
négociants, reçoivent périodiquement la visite
d'émissaires des bandits Bartoli et Bornéa qui leur
mettent sous les yeux des lettres revêtues du cachet -
que Bartoli, pour asseoir sa notoriété et satisfaire sa
mégalomanie, s'est fait fabriquer - et des signatures des deux associés.
Toutes ces lettres ont le même caractère impérieux que
celle-ci, adressée le 16 juin 1930 à M. Sanguinetti :
« Par ordre des bandits Bartoli et Bornéa, tous les
travaux de l'exploitation forestière sont suspendus
jusqu à jeudi 19.A partir de cette date, le travail pourra être repris
après avoir remis la somme de (20.000 francs) vingt
mille francs à M. Bartoli Henri, à Palneca, en le
prévenant que, s’il refuse, c’est peine de mort. Signé Bartoli-Bornéa".
Dès lors, tous ceux qui
reçoivent des lettres portant son sceau et revêtues de la
signature des deux bandits percepteurs, savent à quoi
s'en tenir.
On paie avec effroi. L’argent afflue dans la caisse de
la bande. Devenus riches grâce à un racket de plus en plus présent, Bornéa mène la
grande vie avec son complice Bartoli et ce sont de vastes ripailles, de joyeuses
parties, de folles équipées.
Vêtus avec élégance, arborant des armes de prix, les
bandits suscitent la dangereuse admiration des jeunes
gens des villages, qui briguent l'honneur de leur servir
de gardes du corps.
L'audace des deux bandits dépasse les limites.
Ils s'amusent à sonner la cloche de la caserne de
gendarmerie de Ciamanacce, interdisent aux habitants
d'éteindre leurs lumières la nuit, aux cafés de ne pas fermer
leur porte à 22 heures et aux gendarmes de sortir en
armes. Pour éviter de sanglants incidents qui
risqueraient de dégénérer en véritables émeutes, ces
derniers laissent faire, tandis que caisses de munitions
et paniers de champagne prennent le chemin du Palais
Vert.
Le 10 mai 1930, alors qu'Arsène Bucchini
dirige une équipe de journaliers occupés au
rechargement de la route de Cozzano, Bartoli et Bornéa
surgissent en auto, en descendent fusil au poing
et donnent l'ordre aux ouvriers de cesser le travail.
« Je vous défends, leur crie Bornéa, de travailler pour le concessionnaire ".
Échanges de mots, menaces, l'incident tourne vite au tragique.
« Bucchini le menace de son revolver ; Bornéa, l’abat d'une balle en pleine tête.
Le 16 juin 1930, M.Sanguinetti,
exploitant forestier à Marmano est victime d'une
extorsion de fond qui leur rapporte la somme important
de 20.000 francs. C'est l'époque à laquelle, pour
des raisons qui ne sont pas connues, Bartoli et Bornéa se
séparent.
Le 18 octobre 1930, Bornea écrit
au journal l'Eveil de la Corse : "On m'a
traité de demi-fou... mais j'attends cette fameuse balle
adroite qui mettra fin au démon de ma vie".
Le 6 novembre 1931, Bartoli. le "Roi de Palneca", est
mortellement frappé, près du col de Verde, de deux
balles, l’une dans l'épine dorsale, l’autre dans le
cervelet. Trop sûr de lui et de son prestige, il avait
négligé certaines précautions essentielles de sécurité.
Mais Bornéa, lui, tient toujours le maquis. Il opère
seul, maintenant, et se garde avec soin, renseigné par
des amis sur tous les déplacements des policiers et des
gendarmes.
Soudain, coup de théâtre : un corps expéditionnaire,
envoyé dans l'Île de Beauté pour réprimer le banditisme,
débarque à Ajaccio, deux jours après la mort de Bartoli.
Il se compose de six cent quarante gardes mobiles dotés
d’un imposant matériel de guerre, parmi lequel six
auto-mitrailleuses. Les brigades de gendarmerie locales
ont été secrètement renforcées, dans les régions où
doivent avoir lieu les opérations. En outre, des forces
policières supplétives, ayant à leur tête les
commissaires divisionnaires Martin et Hennett, sont
venues augmenter la police mobile de la Corse, composée
uniquement du commissaire Natali et de deux inspecteurs.
Le bon temps est révolu pour les bandits. Le
gouvernement a décidé d’en finir une fois pour toutes
avec les redoutables "hôtes du Palais Vert", qui narguent
les autorités depuis des années et font sourire les
étrangers.
Le corps expéditionnaire commence à occuper
militairement les villages et les points stratégiques où
les hors-la-loi régnaient en maîtres quelques semaines
auparavant.
Les plus redoutables : Bornéa, André Spada et consorts
demeurent insaisissables, bien que leurs têtes soient
mises à prix. Maintenant, les rois du maquis sont devenus
des hommes traqués.
La direction des opérations est confiée au général
Fournier, commandant supérieur des forces de l’Île.
Il n'a pas perdu de temps. Le soir même de l’arrivée des
troupes, à minuit, il a expédié quatre colonnes
motorisées afin d’occuper militairement Sainte-
Marie-Sicché et Guitera, dans le fief de Bornéa ;
Palneca, dans celui de la bande Bartoli ; La Punta, près
de Calcatoggio, repaire de Spada ; Vico et Guagno, dans
le secteur de Caviglioli.
Toute circulation sur route est interrompue. Les
communications téléphoniques et télégraphiques sont
coupées. Cent soixante personnes soupçonnées d'avoir des
intelligences avec les hors-la-loi sont arrêtées. Le
désarmement des villages occupés se poursuit avec une
rigueur qui, parfois, frise la brutalité.
La grande presse française et étrangère fait autour de
ces opérations policières une publicité exagéré.
D'éminentes personnalités corses, comme les avocats De Moro- Giafferri et Pierre Dominique, élèvent de véhémentes
protestations.
Mais l’épuration continue...
Les résultats ne tardent guère. Les gardes mobiles
prennent possession du quartier général de Bartoli à
Palneca ; du repaire de Spada à La Punta ; mettent sens
dessus dessous la maison des parents de Bornéa, à
Guitera.
Harcelés sans trêve ni merci, les bandits sortent des
bois pour se constituer prisonniers.
Dans le courant de
novembre 1931, Paul Mozziconacci, Toussaint Valle,
Dominique Santoni, guide fidèle de Bartoli, Antoine
Rossi, se rendent.
Le 11 janvier 1932, c’est au tour du bandit d’honneur
Jean-Simon Ettori d’aller au-devant des autorités.
Mais les plus coriaces - Bornéa, Torre et Spada -
réussissent à forcer les barrages de police, brouillent
leurs pistes, s’enfoncent dans les fourrés de la macchia.
se retranchent dans des grottes ou des casette en ruine,
apparaissant parfois, à la nuit tombante, pour demander
un morceau de pain et de bruccio à un paysan ou à un
berger.
L étreinte, pourtant, se referme peu à peu.
Le 11 février 1932, le bandit Torre est surpris à Muna,
près de Vico, et capturé par les gendarmes.
Le 11 juin de la même année, Bastien Spada. frère d'André, se
constitue prisonnier.
Deux ans, François Bornéa, l’Insaisissable, résistera
encore à la meute de ses poursuivants en continuant son racket en
solitaire et côtoyant un moment le Bandit Spada.
A la fin, mis dans l’impossibilité de subsister,
dépouillé de son prestige, il
décide finalement de se rendre au Capitaine de la
Gendarmerie de Sartène au début de l'année 1934. Après
de nombreuses tractations menées par sa famille et des
amis communs, il se constitue prisonnier à Figari après
avoir tenu le maquis près de sept ans !
Transféré à la prison d'Ajaccio, le 11 juillet 1935
il passe devant la Cour d'assises de Bastia pour
répondre du meurtre d'Arsène Bucchini..
Grâce à l’habile plaidoirie de son avocat. Me Charles
Carboni, dont ce sont les débuts éclatants aux Assises,
l'ancien gendarme s’en tire avec seulement cinq ans
d’emprisonnement.
Sorti de la Centrale de Nîmes en 1939, il est mobilisé
en septembre et incorporé au 173e Régiment d'infanterie.
A sa libération en 1940, il rentre
en Corse et s'installe à Porto-Vecchio où
il va mener une existence tranquille en exerçant
le métier de coiffeur et d'horloger.
En 1952, après
avoir été pendant près de sept ans, un implacable
racketteur du maquis, Bornea a maintenant trouvé un
havre de paix dans la montagne de Bavella, dans la
maison de son beau-père. Ni une vie tumultueuse, ni la
dure existence du maquis, ni les années de prison ne
l'ont prématurément vieilli.
L'été, ainsi que beaucoup d’habitants
de Zonza, il monte respirer l’air pur des cimes, dans la
forêt de Bavella.
Divorcé de Pancrazia, Benoite Baptistine Ceccaldi en 1962,
il épouse le 22 janvier 1972 à Porto Vecchio,
Catherine Pasqualini.
Il s'installe chez son beau-père,
M. Pasqualini qu'il aide dans ses travaux de jardinage.
et ne descend à Zonza que pour y porter ses légumes et y
prendre son vin.
A présent, Bornéa n’aspire qu’à la paix et à la
tranquillité, dans la solitude de Cavanello. Il vit en
famille avec sa femme et ses jeunes enfants.
Le moteur de son vieux tacot satisfait ses goûts de
bricolage. La main tendue vers l’azur qui ourle les aiguilles de
Bavella et les cimes altières de l’Incudine, François
Bornéa tire, en sage, la moralité de son rachat :
"Voyez la pureté de notre ciel, au-dessus de nos
montagnes. Et voyez aussi, là-bas, du côté de la mer,
ces nuages qui tournent comme de mauvais courants. Ce
sont ces mauvais courants qui, jadis, dans un moment
d’égarement, ont fait de nous des êtres rudes, violents,
vindicatifs, des hommes qui firent couler le sang parce
qu’ils s’imaginaient appartenir encore à une époque où
le respect de la parole donnée constituait l’article
premier d’un code primitif et farouche de l’honneur. Ces
temps sont définitivement abolis. Mais on garde plus ou
moins, dans le secret de son cœur, la nostalgie d’une
jeunesse trop ardente dont les fautes et les crimes
n’étaient souvent dus qu à l’excès d'un sentiment
chevaleresque, lui aussi bien défunt".
Ftançois Bornéa meurt à Zonza le
31 décembre 1981 à l'âge de 76 ans.
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