André SPADA est né dans une
ruelle du vieil Ajaccio le 13 février 1897 d'un père
Sarde (Gavino) et d'une mère Corse (Anna-Maria BERTI) qui mit
au monde neuf enfants. En 1909, la famille décide
d'aller s'installer dans le CRUZZINI au village de
LOPIGNA d'où Marie BERTI est originaire.
Jusqu'à l'age de 17 ans, André,
que l'on décrit comme un garçon émotif et
anxieux mais honnête et travailleur, va exercer
avec son père le dur métier de bûcheron et
de charbonnier qu'il abandonnera en 1917
pour s'engager dans l'artillerie et acquérir
ainsi la nationalité Française.
Il est condamné
en 1918 pour désertion en temps de guerre. Amnistié, il
rengage à nouveau pour aller se battre en Syrie. A la
fin de la guerre, il est libéré et rentre en Corse en mai 1921.
Sans travail, ne voulant pas
reprendre le dur métier exercé par son père, André Spada
postule pour un emploi de douanier mais les
circonstances vont en décider autrement en faisant de ce
jeune homme que rien ne prédestinait au banditisme, un
des plus terribles hors-la loi que la Corse ait connu.
Même s'il eu au début de sa vie
dangereuse quelques élans de coeur, Spada gâcha tout par
son orgueil insensé. Il se mit à boire et sa cruauté
devint légendaire. A l’inverse des autre bandits
comme Bellacoscia, Romanetti, Ettori, et même de
Bartoli, Spada s’enivrait et c’est alors qu’il
devenait un tigre assoifé de sang.
Sa vie bascule le soir du 8 octobre
de 1922 à Sari d'Orcino, au cours de la fête patronale
du village.
La légende voulait que Spada
ait tiré pour délivrer des amis. Voilà comment on
racontait l’histoire : Au bal, un marinier
italien, avait amené d'Ajaccio une belle fille,
Jacqueline Tolli, dont les hommes du village
se disputèrent bientôt les danses. Il y eut une bagarre.
Le marinier fut tué. Parmi les consommateurs,
se trouvaient Santi Stéfani, Antoine-Dominique Rutili et
André Spada. Aux gendarmes, Jacqueline dit en
désignant Santi Stéfani : « C’est celui-ci qui a tiré ».
Les gendarmes voulurent passer les menottes à Stéfani et à
Rutili pour emmener. C’est alors que Spada se dressa
« Lâchez-les... » En même temps, il tirait, tuant le
gendarme Caillaud, en blessant un autre
avant de prendre le maquis en compagnie de Rutili.
Quelques jours après, le vrai meurtrier du
marinier italien, se constituait prisonnier ; c’était un
nommé Jean-Dominique Rubrini. D’un seul
coup, Spada était devenu une sorte de justicier.
Malgré son crime, bien des jolis
yeux brillèrent en regardant l’image de cette nouvelle étoile dans
le ciel du maquis. Spada, au surplus, était un beau garçon.
Il avait alors 25 ans. Ce que l’on ne dit pas, c’est qu’il
était ivre lorsqu'il tira. Certes, il avait
cette circonstance atténuante : il buvait
pour endormir la douleur que la mort de son
premier enfant, survenue peu avant, avait
creusée dans son cœur.
Il était ivre encore, non seulement de sang,
mais aussi d’alcool lorsqu’il accompagna Rutili,
en expédition punitiye,chez un aubergiste de Lopigna, Emmanuelli,
où logeait la belle Antonia, l’ex-fiancée de Rutili. Il
tira dans des fenêtres, sur des ombres ;
il blessa le garde champêtre Leca ; il incendia les
meules d’Emmanuelli.
Il était gorgé de vin, aussi,
le 4 janvier 1924, au Fincsello, dans la banlieue d’Ajaccio
où lui et Rutili avaient trouvé asile chez
la vieille Musso.
Furent-ils trahis ? Ce
jour-là, le commissaire Natali, quatre inspecteurs, une
dizaine de gendarmes cernèrent leur repaire.
Spada tua l’inspecteur Papini, blessa
l’inspecteur Auzoni ; l’inspecteur Acquaviva, l’agent Canale
furent grièvement blessés. Rutili tua la vieille Musso et son fils qu’il suspectait de trahison.
Antoine Dominique Rutili, dont la folie meurtrière
inquiétait Spada (il l'a vu tuer son propre frère), sera
arrêté le 4 janvier 1924 lors de l'embuscade du Finosello, après avoir
abattu ses hôtes qu'il soupçonne de trahison. Condamné à
mort en février 1925, il verra sa peine commuée en
travaux forcés à perpétuité. Après 27 années passées au
bagne de Cayenne, il reviendra dans son village en 1952
et décèdera tranquillement en juillet 1973 -
Dans le maquis, Spada, dont la
tête est mise à prix, condamné à mort par contumace le
11 juillet 1925, vient
d'apprendre avec consternation la condamnation à la
peine capitale de
son ami d'enfance. Désormais seul, il sombre dans une
profonde période dépressive que viendra encore aggraver
en févier l'annonce de la mort d'un autre ami, le
bandit Romanetti. Son esprit semble basculer alors dans
la tourmente: "C'est à ce moment là, dans ma profonde
solitude que j'ai commencé à apprendre à connaître
Dieu" confiera-t-il dans ses mémoires.
L'amitié, mais aussi l'amour, ont
orienté la destinée de ce bandit à la sensibilité à
fleur de peau. C'est la soeur de François, son ami d'enfance. Elle se nomme
Marie Caviglioli, elle est
jolie et Spada en tombe éperdument amoureux ; Mais très
vite, lassée par la tyrannie, les accès de colère, la jalousie
maladive de son amant et ses beuveries incessantes, Marie décide de le quitter et s'enfuit
à Ajaccio où elle va faire la connaissance de
Jacques Giocondi. En apprenant cette liaison, Spada,
emporté par l'orgueil et la colère, commettra
l'irréparable en abattant froidement à Poggio-Mezzana,
le 9 novembre 1925 la soeur de Giocondi, agée de 22
ans, et son vieil
oncle qu'il avait pris dans l'obscurité, pour Marie
Caviglioli et son amant.
Abattu, rongé par le
remord, Spada écrira au procureur de la république pour
dénoncer son crime. Cela ne l'empêchera pas
cependant, de poursuivre sa carrière de bandit en se
mettant en ménage à la Punta, avec l'intrigante
Antoinette Leca (*), la compagne de Romanetti qui vient
d'être assassiné, et dont il prendra la succession.
(*) Antoinette Leca sera par la
suite jugée et condamnée à deux ans de prison et 10 ans
d'interdiction de séjour par le tribunal correctionnel
d'Ajaccio.
Mais tout cela n’était rien encore.
Plus il accumulait de deuils, plus il versait de sang, et plus
il buvait et plus il s’assombrissait. Mais aussi, plus
il s’enhardissait ; jusqu’à la folie, la folie d’orgueil,
la pire, la plus néfaste des folies. Il se mit à
rançonner les touristes ; à exiger tout et n'importe quoi !.
Le 23 décembre 1926, pour s'adjuger à
travers un prête-nom, la concession du service
postal, Spada n'hésite pas à attaquer à Saint-André
d'Orcino, le fourgon qui assure la liaison Ajaccio-Lopigna, blessant le chauffeur
Fanchi Delmo et deux des douze voyageurs. L'avertissement contraignit Franchi
à se retirer sur Ajaccio.
Le 06 août 1927, Spada utilise la
presse locale pour informer les gendarmes qu'il ne fera
usage de son arme que s'il est "serré de près";
il ajoute : "... malgré ma répulsion, je tiens à
signaler que je serais sans pitié pour quiconque, autre
que les gendarmes, que je surprendrais me recherchant ou
m'espionnant... ". A plusieurs reprises, Spada aura
recours à la presse pour faire passer ses message et se
justifier.
Le 18 mai 1930, Il attaque de nouveau
ce même service postal dont la concession, arrivée à son terme,
vient de faire l'objet d'une nouvelle adjudication
qui échappe au contrôle du bandit. Ce jour-là, il tue le
concessionnaire Jean Vitus Ricci en l’abattant sur le
siège de sa diligence. Celui-ci lui avant pourtant sauvé la vie
un jour en lui donnant les premiers soins,
en le transportant à dos d’homme jusqu’à une
bergerie, en allant chercher un médecin, un jour que Spada
s’était grièvement blessé avec un de ses revolvers en
dansant dans un bal de village . Il tue aussi deux
gendarmes, en blesse grièvement un troisième et
blesse la sœur du grand avocat Corse César Campinchi.
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L'attaque de l'auto du service postal Ajaccio-Lopigna.
Voir l'article paru dans le Petit Journal du 19 mai 1930. |
A la suite de cette tragédie, le
service Ajaccio-Lopigna ne
sera plus assuré pendant 6 mois. En novembre 1930, Spada
et sa compagne Antoinette Leca, sous le couvert d'un
prête-nom, s'en adjugent à nouveau la concession.
Au mois de Février 1931, après la
mort de Romanetti, Spada s'autoproclame "Roi du
Palais vert" et sa notoriété attire
Pathé-Journal. Moyennant une belle somme d'argent, il se
laisse filmer par le cinéaste Harry Grey et raconte aux journalistes l'histoire de
sa vie qui paraîtra après sa mort en 1935, dans un livre
intitulé "Mes mémoires".
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Spada "interviewé au
maquis".
Extrait du journal
l'humanité du 12 novembre 1931 |
Il déclare : "Moi Spada,
je suis universel avant même d'être Corse [...]
je ne connais que ceux qui me connaissent, les autres
tant pis pour eux [...] un bandit doit faire sa
réputation".
Spada entretenait en effet sa
réputation . A l'audience du 07 mars 1935 le président
du tribunal ne manque pas de le lui rappeler: " Dans
votre palais vert, vous aviez une cassette, et entassiez
des caisses de liqueurs, et des paniers de champagne,
dont vous régaliez cette étrangère, un peu toquée, qui
était venue vous admirer dans votre repaire, et qui vous
eut volontiers épousé".
Cette "étrangère un peu toquée"
lui offrit d'ailleurs le seul bijou (une bague ornée
d'une croix d'or) qu'il posséda jusqu'à sa mort. Elle
fut ensuite vendue aux enchères domaniales et adjugée au
docteur François del Pellegrino, conseiller général
d'Ajaccio.
Mais
au mois de novembre1931, l'expédition militaire
organisée par le général Fournier, contraint Spada à
fuir son domaine de la Punta et de nombreuses personnes
de son entourage proche ainsi qu'Antoinette Leca et son
frère Jules sont
arrêtés.
Dès lors, privé de tous soutiens,
tenaillée par la faim, dans un état mental proche de la
folie (comme en témoigne ces lignes extraites d'un long
courrier adressé à la presse le 05 juillet 1932 : "...Avis
à tous et à la grâce de Dieu, Spada André, bandit
d'honneur et de vengeance, mais non gendarme, plutôt
cent mille fois la mort qu'une seule fois le déshonneur.
Me voilà prêt à la paix et à la guerre, donc je suis
prêt à tout. Dieu devant et ensuite je souhaite à tous
ce que leur coeur désire..."), Spada va
mener une vie de bête traquée avec son jeune frère Bastien
qui l'a rejoint au maquis le 20 avril 1930, après avoir
assassiné Jean-Ange Paoli, un ancien guide de Spada.
Un matin de février 1932, après des
jours de souffrance passés dans la neige et le froid,
après s'être réfugié pendant plusieurs jours à Coggia
dans la maison familiale, Bastien finira par se
rendre et se sont ses parents qui le conduiront au
cabinet du procureur de la République à Ajaccio tandis
que Spada continuera à se terrer. Une importante
somme d'argent sera proposée, sans succès pour sa
capture.
Le 29 mai 1933, à Coggia,
dans la maison de ses parents, à bout
de force, sans armes, un grand crucifix de
bois pendu à son cou, Spada se laisse arrêter
par les gendarmes qui le conduisent à la
prison d'Ajaccio. Mais son état mental préoccupant
nécessite un examen psychiatrique à Marseille.
A son
retour, le 29
janvier 1935, il est enfermé à la prison Sainte-Claire
de Bastia dans l'attente de son procès qui aura lieu le
04 mars 1935.
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L'arrestation de Spada.
Voir l'article paru dans le
Petit Journal du 30 mai 1933. |
A l'issue de trois
jours de débats qu'il suivra avec une
profonde indifférence en les ponctuant
parfois de répliques théâtrales, il
acceptera l'annonce de sa condamnation à
mort sans manifester la moindre émotion, se
contentant de conclure : "Dieu en a décidé
ainsi".
A l'énumération de ses
crimes, Spada déclare : "Oublions
le passé, Monsieur le Président";
puis il croit bon de préciser : "Vous
parlez de sang ? C'est moi le responsable,
un point c'est tout!".
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Spada filmé au tribunal
d'Ajaccio durant les débats par
British movietone.
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Nonobstant la personnalité du
prévenu et la nature de ses crimes, on peut
affirmer aujourd'hui que Spada n'a pas
bénéficié d'une justice sereine et
équitable. En effet, les experts
psychiatriques qui procèderont à son examen, vont écrire
dans un rapport insensé, rempli d'erreurs et
d'incohérences, que Spada simule la folie et le
déclareront pleinement responsable de ses actes. Un
jugement arbitraire et expéditif qui le conduira
directement à l'échafaud.
Spada, surnommé "le bandit
de Dieu", le "tigre de la Cinarca"
et le "sanglier"
sera condamné à mort et la sentence exécutée à l'aube
du 21 juin 1935. A 4h12 du matin, le couperet de la
guillotine, dressée pour la circonstance devant la
prison de Bastia, tombera pour la dernière fois sur la
tête d'un condamné qui aura marché vers la mort avec un
courage tranquille qui ne l'a jamais abandonné un seul
instant.
Personne ne réclamera le corps de
Spada. Sa tombe, rigoureusement anonyme, est aujourd'hui tout ce
qu'il reste du carré des condamnés à mort dans le vieux
cimetière de Porette à Bastia.
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Les derniers instants de
Spada
(le petit journal -
Edition du 22 juin 1935). |
C'est le bourreau Anatole
Deibler (fils de Louis Deibler) venu spécialement de
Paris avec ses deux aides, qui exécutera la sentence.
Deibler aura
exécuté au total 395 condamnés à mort de 1885 à 1939,
dont 299 en tant qu'exécuteur en chef, de 1899 à 1939.
Il meurt d'un infarctus le 02 février 1939 en allant
prendre le train qui le conduit à Rennes où il doit
procéder à sa 396ème décapitation.
Pour mémoire : Un décret du 13
juin 1793 obligeait chaque département à avoir un
bourreau. La charge est supprimer en 1870, mais Bastia
conservera sa guillotine jusqu'en 1935 . Les exécutions
eurent d'abord lieu sur la Place Saint Nicolas, à U
Monte, puis Place D'armes.
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