Mathieu Poli est né à
Balogna (canton des Deux-Sorru) le 08
novembre 1875.
Associable, pervers,
colérique et violent, il montre dès son plus
jeune âge des signes qui le prédisposent à
un sombre avenir. Impossible à contrôler,
sans cesse réprimandé mais recommençant
toujours ses mauvaises actions, il répète
sans cesse: "Quand je serai grand, je
serai bandit"...
Le 29 mai 1894, à
peine âgé de dix-neuf ans, il est condamné à
deux ans de prison pour menaces de mort,
port d'arme et violences et purge sa peine à
la prison centrale de Nimes.
Le 10 juillet 1896, à
peine sorti de prison et de retour en Corse,
il menace le curé de Coggia avec son fusil
et se fait remettre tout l'argent du
presbytère.
Cherchant querelle à
n'import qui, le 22 juillet, au cours d'une
bagarre, interpellé par les gendarmes, il
s'enfuit en tirant sur eux et prend aussitôt
le maquis pour faire équipe avec le bandit
Paoli, dit Cicchettu, recherché pour deux
meurtres.
Le 26 octobre, les deux
bandits rançonnent la recette des postes de
Cargèse.
Excédée par les agissements de
celui qu'elle qualifié de bandit "percepteur",
la population se fait contre lui l'alliée de la
force publique et le 03 novembre, sur la route de
Sagone, Matteu Poli, son complice et leur guide,
sont surpris par la police de Vico. Cicchettu et le
guide, un dénommé Poli, sont abattus mais Matteu
parvient à s'enfuir.
Le 14 février 1897, en
compagnie d'un nouveau complice, le bandit Cerati,
qu'il faisait passer pour le bandit Giovanni de
Sartène à cause d'une vague ressemblance et qu'il
présentait avec fierté comme un contumax avec 19
meurtres à son actif, il se rend à Balogna chez son
oncle Leca Jean-Baptiste dans le but de le
contraindre à renoncer à toute prétention sur la
succession de son grand-père décédé. Jean-Baptiste n'est pas là et
c'est Antoine, son frère, inquiet et peu rassuré
par leur présence, qui reçoit les bandits et qui
leur offre quand même à boire selon les loi de
l'hospitalité Corse. Le ton monte aussitôt ; Poli
demande de façon péremptoire à Antoine de convaincre
sans délai son frère Jean-Baptiste de renoncer à la
succession. Antoine refuse, des propos violents sont
échangés, Cerati saisi le pauvre Antoine à la gorge
tandis que sa femme se met à hurler.
Aux appels "au secours" de sa
belle soeur, Jean-Baptiste Leca qui a eu vent des
mauvaise intentions de son neveu, s'arme d'un fusil
et accourt. Poli, surpris, fait feu à deux reprises
sans l'atteindre. Leca riposte, tue Cerati d'une
balle en plein front alors qu'il celui-ci le mettait
en joue, tandis qu'Antoine parvient à désarmer Poli
qui est mis hors d'état de nuire jusqu'à l'arrivée
de la Police.
La population apprend avec
soulagement le verdict de la cour d'assise de Corse
lorsque le 07 décembre 1897, Matteu Poli est
condamné aux travaux forcés à perpétuité et envoyé
au bagne de Cayenne. Une lourde
peine qu'il juge excessive, lui qui n'a pas fait
couler le sang dans cette affaire et qui estime que
les déclarations mensongères de son oncle sont la
cause de cette sentence injuste. Plein de haine,
désormais, il n'a plus qu'une idée fixe qui le
poursuivra durant son séjour au bagne: se venger.
Le 28 août 1900, après 4
tentatives, il finit par s'évader et à la fin du
mois de janvier 1902 il débarque en Corse et se rend
secrètement (peut-être pas pour tout le monde) à
Balogna pour épier Jean-Baptiste Leca.
Quelle à été sa vie au cours
de ces deux années dont on ne sait rien? Comment
a-il pu voyager et traverser l'Europe ? Comment
a-t-il survécu ? Nous ne saurons jamais.
On dit qu'à
son arrivée à Toulon il fut aidé ses frères Paul et
Pascal mais cela n'a jamais été prouvé au cours de
l'instruction.
Au village, Jean-Baptiste Leca,
en inimitié avec la famille Poli, vit dans la
crainte et ne sort que toujours armé.
Le 26 janvier 1902, en début
d'après-midi, après avoir travaillé toute la matinée
dans sa propriété d'Ogliastellu, Leca se met en route
en suivant à travers le maquis, le sentier qui
conduit à Balogna. Soudain, des coups de feu
éclatent et le vieux Leca s'écroule atteint par
plusieurs décharges de chevrotine à la poitrine et
dans le dos. Il décèdera quelques jours plus tard
après avoir désigné ses neveux, Paul et Pascal Poli
comme étant ses meurtriers. Malgré leurs
protestations d'innocence, les deux frères sont
arrêtés et incarcérés.
Dès lors, Matteu Poli ne cesse
d'écrire au procureur de la république pour
s'accuser du meurtre en précisant qu'il ne s'est
évadé du bagne de Cayenne que dans ce but; mais son
histoire est incroyable, il n'est pas pris au
sérieux et la gendarmerie s'obstine à nier son
retour.
Le 20 mai 1902, la voiture qui
conduit le préfet de Corse, Jean-Joseph-Felix
Cassagneau, accompagné de plusieurs officiers
ministériels et du secrétaire général de la
préfecture avec son épouse, est stoppée au col de
Sevi par un homme sorti des fourrés qui interpelle
le préfet et qui lui demande respectueusement de
témoigné qu'il est bien Mathieu Poli, forçat, évadé
de Guyane pour se venger de son oncle Jean-Baptiste
Leca, qu'il est seul à avoir commis le meurtre et
que ses frères ne sont pour rien dans cet
assassinat. Le préfet refuse de s'acquitter de cette
tâche et promet, s'il ne se livre pas, de déployer
contre lui toutes brigades de gendarmerie de la
région. Poli hausse les épaule, salut le préfet et
retourne dans le maquis de la même manière qu'il en
est sorti.
Lors du procès, le 06 juin
1903, les membres du jury, sans doute intimidés mais
manquant surtout sérieusement de preuves, déclarent
les accusés non coupables. Pascal et Paul Poli sont
acquittés. Cependant, la vendetta n'en est pas
terminée pour autant.
Les fils de Jean-Baptiste Leca,
Toussaint et Jean-Dominique, qui travaillent sur le
continent, décident de rentrer en Corse pour venger
leur père. Les frères Poli ne l'ignorent pas et
songent à quitter le pays, non par peur, mais pour
éviter un nouveau bain de sang. C'est pourquoi le 12
juin 1903, ils adressent à la seule femme qui a
assisté à l'entretient de leur frère avec le préfet,
cette lettre reproduite reproduite dans son intégralité par Jean
De Favardin dans son récit "L'aventure de Mathieu
Poli".
«Ajaccio, le 12 juin 1903.
Madame,
Pardonnez-nous si nous prenons la liberté .de vous
déranger dans vos beaux moments; mais,.hélas ! la
nécessité nous y oblige, ayant le grand malheur
d'être les frères du bandit Poli Mathieu, de Balogna.
Après avoir été condamné à la perpétuité, il s'est
évadé delà Nouvelle-Calédonie; il est arrivé dans
son pays natal le 23 janvier, où il a détruit son
oncle Leca pour vengeance sans nous avertir, n'ayant
pas de confiance en nous. Nul doute que s'il s'était
présenté à nous, nous aurions sauvé ce grand malheur
qui est notre perte. Le même jour nous avons été
inculpés comme complices par des gens ennemis de
mauvaise foi. Après cinq mois de prévention, le jury
a reconnu notre innocence, nous voici en liberté
depuis le 6 courant, sans savoir quel parti prendre.
Les enfants du mort nous
attendent à Balogna pour nous donner la mort.
Faut-il accepter ou se défendre? Voici le dilemme
qui se pose devant nous. Nous préférons repousser le
combat qui nous est offert, en désertant le toit
paternel et là Corse; mais pour cela il nous faut
des moyens d'existence, ce qui nous manque; nous
acceptons n'importe quelle place ou emploi avec
résignation de servir fidèlement, au Continent ou à
l'étranger.
«Vous,: madame, qui êtes généreuse et protectrice
des malheureux offensés, soyez assez bonne de nous
accorder votre protection en nous regardant en pitié
; nous vous en garderons une reconnaissance
éternelle et vous aurez accompli un acte d'humanité
et sauvé de grands malheurs. »
Leur demande si singulière ne
put être acceptée et les démarches qui furent
entreprises avec l'appui même du préfet pour engager
des pourparlers, ne parvinrent pas à faire fléchir
les fils Leca qui restèrent déterminés pour ne pas
s'exposer au "rimbecco".
Le 13 juillet 1903, Pasquale Poli est abattu
au pont de Mela, à quelques centaines de mètres de
calcatoggio.. Quatre balles ont été tirées et Jean Gentili,
le propriétaire du cabriolet
qui assurait le service Ajaccio-Calcatoggio est
également tué. Son crime accompli, Toussaint Leca se
constitue aussitôt prisonnier à la Gendarmerie de
Calcatoggio. Il sera acquitté par la Cour d'assises de Bastia
le 28 novembre 1903.
Entre temps Matteu Poli,
encouragé par l'emprisonnement de son principal
rival a recommencé ses méfaits mais traqué par les gendarmes et
par ses ennemis qu'il craint plus encore, il ne cesse
de se déplacer en terrorisant et en rançonnant la
population.
Le 14 août 1903, on peu lire
dans le journal local que dans la nuit du 12 au 13,
vers deux heures du matin, le bandit Poli Mathieu
à été abattu entre Vicu et Guagnu par une
patrouille de gendarmerie commandée par le
maréchal des logis chef Costa ; sauf que lors de l'expertise, la
balle meurtrière extraite du corps du bandit, ne provenait
pas des armes utilisées par les gendarmes... et
la justice se rendant compte qu'il avait été tué
probablement par les gendarmes après sa mort,
préféra laisser cette constatation embarrassante
sans réponse.
La vendetta est désormais éteinte
et les deux frères Toussaint et Dominique Leca peuvent
regagner le continent pour y reprendre leur travail,
tandis que Paul, le frère du bandit et Antoine,
le frère de Leca, peuvent enfin vivre en paix dans
leur village de Bologna.
La population était
soulagée, mais les causes de la mort du bandit
restaient troubles. Plusieurs hypothèses ont été
émises.
Un "lamentu"
composé après la mort de Mathieu Poli raconte
que ce dernier aurait été empoisonné en mangeant
des figues offertes par son guide Pasquale
Massoni, berger à Pastricciola avec lequel il
aurait eu quelques jours auparavant une dispute.
Il est cependant plus
probable que ce soit Jean-Dominique Leca qui,
pour l'honneur de la famille, ait poursuivi
l'oeuvre de vengeance commencée par son frère.
Voici d'ailleurs sa propre version des faits que
l'on peut considérer comme authentique :
"Postés dans le passage
entre les vallées du Cruzzini et du Liamione,
au col de la Messicela (qui se trouve entre les
communes d'Ortu et de Pastricciola - Guagnu village),
les Leca et les gendarmes, après huit jours d'attente,
commençaient à désespérer de voir apparaître le bandit.
Dans la nuit du 12 au 13 août [1903]- après une attente
de deux à trois heures après minuit, Ghjuvan Dumenicu et
son cousin 'Bicchirinu' s'avancèrent jusqu'à un rocher
situé à une vingtaine de mètres en avant de leur poste.
Bicchirinu, pieds nus, grimpa sur le rocher.
A ce moment, ils perçurent un bruit de pas très proches
dans le vallon. Ghjuvan Dumenicu regagne rapidement son poste.
Son cousin a juste le temps de se glisser dans une fente
de rocher d'où il ne peut être ni vu ni atteint.
Trois hommes, suivis à distance par deux autres surgissent
devant le poste. La lune les éclaire.
Le bandit Poli s'écrie alors avec un geste de menace:
"Ava po s'elli a si sentenu, ch'elli venganu i Leca!"
Cette exclamation lui est fatale car elle permit à
Ghjuvan Dumenicu de distinguer Matteu des deux autres.
Un coup de feu éclate. Le bandit a réussi d'un bond
à se réfugier derrière un rocher mais il s'est affaissé
et râle; la balle de Ghjuvan Dumenicu lui a traversé le coeur.
Ses complices prennent la fuite. Les gendarmes accourent et
tirent une salve dans la partie basse, restée visible,
du corps du bandit".
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Coupure de presse relatant la mort du bandit Matteu Poli.
(Journal le Petit-Parisien du 16 août 1903). |
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