Bibliographie Livre d'or ***
 

 

 

LES BANDITS CORSES

Antoine Dominique RUTILI (1897-1973)

 

Vous pouvez écouter sur cette page un extrait de la chanson "Les bandits d'honneur" interprétée par Antoine CIOSI

 

Antoine Dominique RUTILI est né à Lopigna le 6 juillet 1897

Le 8 octobre 1922, Sari-d’Oreino fêtait sainte Liberata. la patronne du village, et on dansait, ce jour-là, au bal Michel Carmini. Les garçons n’avaient d’yeux que pour deux femmes de mœurs légères qu’avait amenées un matelot sarde du nom de Salici.

Tandis que l’accordéon attaquait une valse, un jeune homme de Calcatoggio, Jean-Baptiste Subrini, s’approcha de la plus jolie des deux filles pour l’inviter à danser.

Jacqueline allait sans doute accepter l’invitation lorsque son protecteur, Salici, intervint :

Je ne te permets pas de danser avec ce paysan.

Sous l’insulte, Subrini bondit en avant. Le matelot sort un couteau. Subrini met la main à la poche. Un coup de feu claque. Le marin tombe, la cuisse traversée d’une balle.

Lorsque les gendarmes arrivent, Jean-Baptiste Subrini est déjà loin. Il s’est sauvé vers la chapelle de Sainte-Libcrata. Il erre deux heures dans le maquis, puis regagne Sari-d’Orcino par le vieux moulin.

Dans la salle de bal, les gendarmes interrogent la belle Jacqueline.

"Qui a tiré sur ton ami ? :"

"Dominique Rutili qui buvait à une table avec André Spada".

"C’est faux !".

Rutili n’a pas fait un geste durant l’altercation. Néanmoins, les gendarmes se mettent à sa recherche. Ils pénètrent dans le bar, carabine en joue. Le gendarme Parent dit à son collègue Caillaud, en désignant Dominique Rutili : "Enchaîne-moi cet homme !"

Dominique proteste : "Vous n’en avez pas le droit ; je ne suis pour rien dans la bagarre".

"Le juge de paix a deux mots à vous dire !".

Il faut préciser qu’à ce moment-là Dominique Rutili avait une « peccadille » à se reprocher. Quelque temps auparavant, il avait incendié deux meules de paille appartenant à un certain Emmanuelli qui lui avait refusé la main de sa fille.

D’ailleurs, Dominique Rutili est bien obligé d’obéir aux gendarmes. Déjà, l’un d’eux appuie le canon de son arme contre sa joue. Ses poignets sont ligotés.

La scène se passe dans le haut village et la gendarmerie est située en bas. Il faut donc emmener le prisonnier par le petit chemin en pente.

C’est alors que, brusquement, Rutili jette un appel dans la nuit : A moi, André ! Au secours !

André, c’est Spada ; Spada qui suit de loin la petite caravane et qui ne peut rester sourd à l’imploration...

La fusillade commence. Pascal Rutili, qui suivait son frère, se jette à terre. Deux gendarmes s’écroulent : Parent est grièvement blessé ; Caillaud, tué sur le coup.

Dominique Rutili, délivré, n’a plus qu’à rejoindre son ami Spada. Avec lui, il se réfugie chez Nonce Romanetti, le roi du maquis, qui tient la Cinarca sous sa coupe. Ils seront ses compagnons d’aventures pendant plusieurs mois...

 

Ce jour d'octobre 1922, à 28 ans, Rutili prend le maquis avec Spada.

Le 2 janvier 1924, à Lopigna, il assomme d'un coup de canon de fusil M.Marchi parce que celui-ci l'avait dénoncé aux gendarmes. Quelques instants plus tard, tapi dans les buissons, il tire à vue sur les passants, blessant son propre frère Pascal, le garde champêtre André Lecca, et le beau-père de Pascal, Mathieu Torre.

 

Trois ans plus tard, le 4 janvier 1924, André Spada, Antoine Dominique, accompagnés de leur nouveau guide François Leca, décident de passer la nuit dans les environs d'Ajaccio et se dirigent  vers le Finosello où deux maisonnettes de bergers situées au bord de la Gravona, vont leur servir de gîte. Une dame Musio, propriétaire des lieux, originaire de Sardaigne et son fils, âgé de 28 ans, offre l'hospitalité aux trois hommes.

Dans la nuit, vers 4h30 du matin, Spada sur ses gardes, ne dort pas.

Une trentaine de gendarmes d'Ajaccio, accompagnés des inspecteurs de la sûreté générale, sans aucun doute avertis de la présence des bandits, prennent lentement position autour des deux maisons. C'est alors que les chiens se mettent à aboyer. Spada flairant le danger, saute dehors par la fenêtre et se fondant dans la nuit noire et pluvieuse, rampe jusqu'à la rivière, va se poster sur l'autre rive, tire des coups de feu en l'air pour avertir Rutili du danger puis commence à tirer sur les gendarmes. Au bruit de la fusillade, Rutili affolé, se voyant cerné et certain que l’intervention des gendarmes a été provoquée par une trahison de ses hôtes - n'ont-ils pas commis l'imprudence d'envoyer la mère Musio faire une commission chez un ami - , il abat le jeune Antoine Musio d'un coup de fusil à bout portant, blesse gravement de la même façon Mme Musio puis il se sauve à toutes jambes à travers les terres labourées en vidant ses chargeurs dans la direction des gendarmes qui se lancent à sa poursuite.

Des coups de feu crépitent. Le fuyard aperçoit un sentier bordé de cistes et de lentisques qui pourront le dissimuler. En contrebas, il y a les inspecteurs Acquaviva, Papini et Suzzoni. Papini aperçoit le fugitif, lève son arme...

Trop tard ! Rutili lui lâche ses chevrotines en pleine poitrine.

Puis, prenant du champ, le bandit traqué braque un revolver de chaque main et, genou en terre, mitraille...

Suzzoni s’abat, l’épaule fracassée.

Acquaviva tire et manque Rutili ; puis il bondit sur lui et le ceinture. Les deux hommes roulent à terre. Rutili parvient à sortir son couteau, qui porte l’inscription classique : « Morte all’némico » (Mort à l’ennemi).

Le policier pare les coups, tandis qu’un gendarme accourt pour prêter main forte à son camarade. Rutili, épuisé par la lutte, est jugulé.

"Tuez-moi ! Achevez-moi !" râle-t-il.

Leca, le guide, se rend sans résister, André Spada s'enfuit dans la montagne du Cruzzini.

 

Condamné à mort le 25 février 1925 et gracié le 11 juin 1925, Dominique RUTILI est envoyé au bagne de Cayenne.

A cette époque et jusqu’en 1928, on pouvait s’évader facilement. Il n’y avait qu’un fleuve de deux kilomètres à traverser pour se retrouver libre, en Guyane hollandaise. Les Hollandais manquaient de bras pour mettre en. valeur leurs territoires ; aussi accueillaient-ils volontiers les forçats « en cavale » qui semblaient vouloir travailler.

Mais, à partir de 1928, les évasions des Français en Guyane hollandaise étaient devenues impossibles.

En 1931 Rutili tente de "se faire la belle" en compagnie d’un camarade espagnol pour rejoindre le Venezuela. Quelques semaines plus tard, il est à Caracas où il est aidé par le Dr Bougrat qui lui fournit quelques subsides.

Peu de temps après, sur une route du Venezuela, les deux fugitifs sont interpellés par des douaniers qui les arrêtèrent et les remettent entre les mains des autorités anglaises qui les reconduisirent au bagne.

Libéré en 1952, il fait enfin partie du convoi de deux cents forçats qui s’embarquent sur le Noirmoutiers. Trente-quatre jours de mer, avec escale à Casablanca, avant de débarquer à Bordeaux.

Après une courte escale à Marseille, il retrouve enfin sa terre natale, Lopigna, le hameau de Tadja où son frère Pascal l’accueille à bras ouverts.

Peu à peu, l’ancien bagnard reprend goût à la vie. Une opération lui ayant redonné en partie la vue, il peut contempler à nouveau les paysages de son enfance. Comme il redoutait d’être replongé involontairement dans les vendettas que pourraient exercer contre lui les parents ou les amis de ses anciennes victimes, il a rendu visite à ceux-ci et leur a demandé pardon...

Rutili mourra paisiblement le 20 juillet 1973

 

***

 

Extrait de l'hebdomadaire DETECTIVE n° 269 du 27 août 1951.

 

En plein maquis corse, DÉTECTIVE parvient à dénicher Dominique RUTILI qui puni de 26 ans de bagne, a pris une cure de jouvence dans une oasis près de LOPIGNA, son village natal.

Après sa très longue expiation en Guyane, Antoine-Dominique Rutili a retrouvé, dans sa Corse natale, ses habitudes de montagnard.

LOPIGNA (de notre envoyé spécial). De la petite route qui serpente au-dessus du Liamone, le panorama se déroule, majestueux. En arrière, le golfe étincelant de Sagone. A gauche, par delà la vallée abrupte, le moutonnement des montagnes auxquelles s’accrochent comme des médailles de petits villages blancs et roses. A droite, le maquis envahissant, avec les cistes roux, les lentisques verts et la lavande bleutée. Devant, la haute montagne, ses escarpements rougeâtres et ses pitons approchant les 2.500 mètres d’altitude.

Tous les jolis villages trop rapidement traversés, Casaglione, Ambiegna, Arro, ont été, il n’y a pas si longtemps, ainsi, du reste, que la plupart des communes de la Cinarca, le théâtre de combat» farouches, de fusillades rageuses, d’embuscades sanglantes.

C’était l’époque où les bandits étaient rois, au Palais Vert. Pour les Romanetti, les Spada, les Bartoli, ce vocable poétique désignait le maquis dont, malgré les saisons, la parure verdoyante ne se fane jamais.

A présent, le temps des bandits corses est fini, archi-fini, me disait, il y a quelques semaines, le vieux Muzzarettu qui ne veut pas désarmer, dans son maquis du Sartenais. Le hors-la-loi octogénaire ajoutait : Avant de retourner au continent, allez donc voir Rutili, qui a payé de vingt-six ans de travaux forcés ses « espiègleries » de jeunesse. Il revient du bagne. Vous le trouverez à Lopigna, son village natal

Lopigna est le village du bout de la route. L’isolement naturel dans lequel est tenue cette charmante localité dominée par un élégant clocher explique vraisemblablement pourquoi plusieurs bandits y trouvèrent leur « vocation », entre autres les trop célèbres François Caviglioli, Jean-Baptiste Torre, André Spada. guillotiné à Bastia, et Antoine-Dominique Rutili.

Ce dernier est l’un des rares survivants de la phalange des bandits qui, vingt ans durant, choisirent la Cinarca pour le théâtre de leurs exploits

De nombreuses maisons de la.région gardent encore dans le granit de leurs murs les traces des balles de cette époque tumultueuse et passionnée.

A Tiuccia, c’est l’hôtel Miramar où Caviglioli avait pour lubie de faire arrêter les voitures, au moyen d’un camion mis en travers de la route, pour offrir à boire aux messieurs et danser avec les dames.

A Calcatoggio, patrie de César Campinchi, à Sari, à Saint- André-d’Orcino, à Cannelle, à Sarrola-Carcopino, pays d’origine de Francis Carco, dans tous les villages qui s’élèvent du golfe de Lava jusqu’aux pentes du Monte d’Oro, les bandits ont laissé des souvenirs indélébiles.

A Lopigna, l’une des premières maisons à droite, en pénétrant dans le village, l’épicerie débit de boissons Emmanuelli, peut encore témoigner de la colère qui anima, certain jour, le bandit Antoine-Dominique Rutili.

 

Auprès de la neige et des aigles.

Ce n’est pas ici que j’ai demandé à rencontrer Rutili. J’ai l’impression qu'en dépit du baume apporté par le temps, les blessures sont encore trop fraîches pour être totalement pardonnées. J’ai préféré m’adresser, plus loin, à l’Idéal Bar, dont la patronne, à ma question, a répondu :

Rutili, l’ancien bandit, ne demeure pas au village. II vit au maquis, chez son frère Pascal, le cantonnier. Vous pouvez aller en voiture jusqu’au pont, sous les chênes. Vous prendrez le petit sentier à droite, qui escalade la colline... Trois quarts d’heure de marche à travers le maquis, les châtaigniers, les sapins, et vous serez à Tadja, un petit hameau de trois feux, noyé dans les bois.

Le soleil « plombe ». Mais le sous-bois touffu conserve une bienfaisante fraîcheur. A travers les branches, on distingue au loin des cimes enneigées.

Sur les trois maisonnettes de Tadja, deux appartiennent aux Rutili et une à la famille Torre. Il y a des jardins et de beaux vergers, des champs de maïs et des olivettes, des canaux d’irrigation et des sources fraîches.

C’est l’oasis au milieu de la terre sauvage où pullulent renards, lièvres et sangliers. Des aigles planent au-dessus des gorges du Cruzzini.

Devant une petite ferme, un homme, tenant un bébé dans les bras, semble nous attendre. Notre arrivée a été repérée. Teint de Maure, comme la tête du blason corse, cheveux frisés et moustaches noires, c’est Pascal Rutili, 46 ans, frère de l’ancien bandit et père de dix enfants.

Entrez vous reposer, monsieur, dit-il dès qu’il sait le but de ma visite. Je vais voir si mon frère veut vous recevoir. De beaux enfants bien tenus nous regardent avec curiosité. Il y a Ange, l’aîné ; Toussaint et François, le dernier né.

Dans la quiétude de cette ferme isolée, où la vie semble d’une douceur virgilienne, une femme, Angèle Torre, la compagne de Pascal Rutili, s’affaire autour de ses enfants, après avoir mis sur le feu de bois, l’eau pour le café.

 

Et, soudain :

Bonjour, messieurs ! Un homme de solide stature, feutre noir, lunettes d’écaille et moustache aux pointes acérées, se découpe dans le rectangle de clarté de la porte. C’est Dominique Rutili, l’ancien bandit, le bagnard libéré, après avoir purgé sa peine.

Je ne suis qu’un mort vivant, déclare-t-il après nous avoir serré, la main. Depuis 1926, toutes les années que j’ai vécues grâce à Dieu ne sont que du rabiot, un beau rabiot... Le jury de Bastia m’avait condamné à mort. Je m’attendais à avoir la tête coupée, lorsque le Président Doumergue signa mon recours en grâce. Aussi, maintenant, à 54 ans, je ne demande qu’à vivre en paix. J’ai tellement souffert que c’est comme si j’avais été guillotiné trois fois... Alors, vous comprenez, on peut me couper six fois la tête, ça ne me fait plus rien (sic).

Puis, après s’être assis auprès de moi, il poursuit :

Certains m’ont reproché, à mon retour de Cayenne, d’avoir conservé la mentalité primitive des vieux Corses et l’habitude de sortir armé. Je reconnais que j’aime les armes. Mais je suis revenu presque aveugle et, si le docteur Panero ne m’avait opéré de la cataracte à la clinique Ripert, à Ajaccio, je n’y verrais plus. A présent, on m’a sauvé un œil et, bientôt, je retournerai sur le billard pour me faire opérer l’autre. Tout ce que je souhaite, c’est de retrouver la vue comme avant, pour pouvoir aller à la chasse.

Mais ce qui a le plus douloureusement surpris l’ancien bandit à son retour au pays, c’est la désertion des villages corses. L’ancien « homme puni » s’apitoie davantage sur le destin de sa petite patrie que sur le sien propre.

Quant aux circonstances qui lui ont mis le doigt dans l’engrenage criminel, Dominique Rutili ne les évoque pas sans hésitation. C’est comme avec regret qu’il finit par conter, aidé de son frère qui s’exprime plus aisément en français, le récit de ses « malheurs ».

 

Pour un tour de valse

Le 8 octobre 1922, Sari-d’Oreino fêtait sainte Liberata. la patronne du village, et on dansait, ce jour-là, au bal Michel Carmini. Les garçons n’avaient d’yeux que pour deux femmes de mœurs légères qu’avait amenées un matelot sarde du nom de Salici.

Tandis que l’accordéon attaquait une valse, un jeune homme de Calcatoggio, Jean-Baptiste Subrini, s’approcha de la plus jolie des deux filles pour l’inviter à danser.

Jacqueline allait sans doute accepter l’invitation lorsque son protecteur, Salici, intervint : "Je ne te permets pas de danser avec ce paysan".

Sous l’insulte, Subrini bondit en avant. Le matelot sort un couteau. Subrini met la main à la poche. Un coup de feu claque. Le marin tombe, la cuisse traversée d’une balle.

Lorsque les gendarmes arrivent, Jean-Baptiste Subrini est déjà loin. Il s’est sauvé vers la chapelle de Sainte-Libcrata. Il erre deux heures dans le maquis, puis regagne Sari-d’Orcino par le vieux moulin.

Dans la salle de bal, les gendarmes interrogent la belle Jacqueline : Qui a tiré sur ton ami ?

Dominique Rutili qui buvait à une table avec André Spada.

C’est faux. Rutili n’a pas fait un geste durant l’altercation. Néanmoins, les gendarmes se mettent à sa recherche. Ils pénètrent dans le bar, carabine en joue. Le gendarme Parent dit à son collègue Caillaud, en désignant Dominique Rutili : "Enchaîne-moi cet homme !

Dominique proteste : Vous n’en avez pas le droit ; je ne suis pour rien dans la bagarre.

Le juge de paix a deux mots à vous dire.

Il faut préciser qu’à ce moment-là Dominique Rutili avait une « peccadille » à se reprocher. Quelque temps auparavant, il avait incendié deux meules de paille appartenant à un certain Emmanuelli qui lui avait refusé la main de sa fille.

D’ailleurs, Dominique Rutili est bien obligé d’obéir aux gendarmes. Déjà, l’un d’eux appuie le canon de son arme contre sa joue. Ses poignets sont ligotés.

La scène se passe dans le haut village et la gendarmerie est située en bas. Il faut donc emmener le prisonnier par le petit chemin en pente.

C’est alors que, brusquement, Rutili jette un appel dans la nuit : "A moi, André ! Au secours !"

André, c’est Spada ; Spada qui suit de loin la petite, caravane et qui ne peut rester sourd à l’imploration...

La fusillade commence. Pascal Rutili, qui suivait son frère, se jette à terre. Deux gendarmes s’écroulent : Parent est grièvement blessé ; Caillaud, tué sur le coup.

Dominique Rutili, délivré, n’a plus qu’à rejoindre son ami Spada. Avec lui, il se réfugie chez Nonce Romanetti, le roi du maquis, qui tient la Cinarca sous sa coupe. Ils seront ses compagnons d’aventures pendant plusieurs mois.

Trois ans plus tard, en 1925, Spada et Rutili se rendent à Finosello, dans la banlieue d’Ajaccio, et commettent un jour l’imprudence d’envoyer leur hôtesse, Mme Musio, faire une commission chez un ami. Dans la nuit, les gendarmes alertés viennent cerner les deux maisons occupées chacune par l'un des bandits.

Au petit jour, André Spada traverse la ligne des assiégeants et attend son camarade à quelque distance. Pendant ce temps- là, certain que l’intervention des gendarmes a été provoquée par une trahison, Rutili tue Mme Musio et son fils. Puis il se sauve à toutes jambes à travers les terres labourées.

Policiers et gendarmes se lancent à sa poursuite. Des coups de feu crépitent. Le fuyard aperçoit un sentier bordé de cistes et de lentisques qui pourront le dissimuler. En contrebas, il y a les inspecteurs Acquaviva, Papini et Suzzoni. Papini aperçoit le fugitif, lève son arme...

Trop tard ! Rutili lui lâche ses chevrotines en pleine poitrine.

Puis, prenant du champ, le bandit traqué braque un revolver de chaque main et, genou en terre, mitraille...

Suzzoni s’abat, l’épaule fracassée.

Acquaviva tire et manque Rutili ; puis il bondit sur lui et le ceinture. Les deux hommes roulent à terre. Rutili parvient à sortir son couteau, qui porte l’inseripticn classique : « Morte all’némico » (Mort à l’ennemi).

Le policier pare les coups, tandis qu’un gendarme accourt pour prêter main forte à son camarade. Rutili, épuisé par la lutte, est jugulé.

"Tuez-moi ! Achevez-moi !" râle-t-il.

On connaît l’épilogue : les Assises, la condamnation à mort, la fuite de Spada dans les montagnes du Cruzzini, la grâce du Président de la République, l’expiation...

 

La cavale interrompue

Sur sa vie en Guyane, Dominique me raconte simplement :

Je me trouvais au bagne en 1926. A cette époque et jusqu’en 1928, on pouvait s’évader facilement. Il n’y avait qu’un fleuve de deux kilomètres à traverser pour se retrouver libre, en Guyane hollandaise. Les Hollandais manquaient de bras pour mettre en. valeur leurs territoires ; aussi accueillaient-ils volontiers les forçats « en cavale » qui semblaient vouloir travailler. Mais, en 1928, une bande de voyous, des Français, je dois le reconnaître, gâchèrent tout, tuant, pillant, volant.

A partir de ce moment, les évasions des Français en Guyane hollandaise devinrent impossibles. C’est pourquoi, en 1931, lorsque je tentai de « faire la belle » en compagnie d’un camarade espagnol, nous décidâmes d’aller jusqu'au Venezuela. Quelques semaines plus tard, nous venions sonner à la porte du docteur Bougrat, à Caracas. Il était absent. Ce fut sa femme qui nous reçut, une Italienne fort aimable. Elle nous donna à manger et nous fournit quelques subsides.

Malheureusement, peu de temps après, sur une route du Vénézuela, des douaniers nous arrêtèrent et nous remirent entre les mains des autorités anglaises qui, courtoisement, mais inflexiblement, nous reconduisirent au bagne.

Ma vie, par la suite ? Celle de tous les forçats. Les fièvres, le climat débilitant, l'atroce promiscuité, les visites des journalistes et de l’Armée du Salut...

L’ancien bandit s'interrompt. S’adressant à son frère Pascal il demande : Aïo ! Pascal, va chercher la dernière bouteille de vin de treille !

Puis, devant les verres remplis d’un vin au frais bouquet, Rutili reprend ses confidences.

 

Le pardon et la paix

Après vingt-six ans de bagne, il fait enfin partie du convoi de deux cents forçats qui s’embarquent sur le. Noirmoutiers. Trente-quatre jours de mer, avec escale à Casablanca, avant de débarquer à Bordeaux.

C’est l’hiver. Il fait froid. Rutili grelotte dans son mauvais complet, en débarquant sur les quais de la Gironde. Son immense chapeau de paille mexicain attire sur lui l'attention des journalistes et des badauds. Mais le forçat libéré ne desserre pas les dents. II n’attend qu’une chose : pouvoir vivre libre, comme tout le monde.

Courte escale à Marseille. Et, enfin, la terre natale, où son frère l’accueille à bras ouverts.

Peu à peu, l’ancien bagnard a repris goût à la vie. Une opération lui ayant redonné en partie la vue, il peut contempler à nouveau les paysages de son enfance. Comme il redoutait d’être replongé involontairement dans les vendettas que pourraient exercer contre lui les parents ou les amis de ses anciennes victimes, il a rendu visite à ceux-ci et leur a demandé pardon.

Maintenant, Rutili semble heureux. Il s’est remis à tailler les oliviers du verger de Tadja et, pour lui, l’eau qu’il puise à la source de Spinate est la meilleure du monde. II s’occupe du bétail, des chèvres, brebis et vaches dont le lait sert à la confection de délicieux fromages. Il élève aussi des porcs.

Nous sommes pauvres, mais libres, conclut-il. Et si mon frère, qui a déjà subi sept opérations, se portait mieux, nous compterions parmi les privilégiés de ce monde, parce que nous ne devons rien à personne et que nous n’avons au cœur ni haine ni jalousie. Pour moi, il me semble que, né de nouveau pour une deuxième vie, je suis comme un enfant comblé de bonheur!

 

Jean BAZAL

 

 

Les dernières condamnations à mort prononcées en Corse ont été celles de Jean-Baptiste TORRE (l'un des agresseurs de GUAGNO-LES-BAINS) le 20 novembre 1933 et d'André SPADA le 5 mars 1935. Tous deux ont été guillotinés.

 

 

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Dernière mise à jour pour cette page : 20 septembre 2024