Antoine Dominique RUTILI est né à Lopigna le 6 juillet 1897
Le 8 octobre 1922, Sari-d’Oreino fêtait sainte Liberata. la patronne du
village, et on dansait, ce jour-là, au bal Michel
Carmini. Les garçons n’avaient d’yeux que pour deux
femmes de mœurs légères qu’avait amenées un matelot
sarde du nom de Salici.
Tandis que l’accordéon
attaquait une valse, un jeune homme de Calcatoggio,
Jean-Baptiste Subrini, s’approcha de la plus jolie des
deux filles pour l’inviter à danser.
Jacqueline allait sans
doute accepter l’invitation lorsque son protecteur,
Salici, intervint :
Je ne te permets pas de
danser avec ce paysan.
Sous l’insulte, Subrini
bondit en avant. Le matelot sort un couteau. Subrini met
la main à la poche. Un coup de feu claque. Le marin
tombe, la cuisse traversée d’une balle.
Lorsque les gendarmes
arrivent, Jean-Baptiste Subrini est déjà loin. Il s’est
sauvé vers la chapelle de Sainte-Libcrata. Il erre deux
heures dans le maquis, puis regagne Sari-d’Orcino par le
vieux moulin.
Dans la salle de bal, les gendarmes interrogent
la belle Jacqueline.
"Qui a tiré sur ton ami ? :"
"Dominique Rutili qui buvait
à une table avec André Spada".
"C’est faux !".
Rutili n’a pas
fait un geste durant l’altercation. Néanmoins, les
gendarmes se mettent à sa recherche. Ils pénètrent dans
le bar, carabine en joue. Le gendarme Parent dit à son
collègue Caillaud, en désignant Dominique Rutili : "Enchaîne-moi cet homme !"
Dominique proteste : "Vous n’en avez pas le droit
; je ne suis pour rien dans la bagarre".
"Le juge de paix a deux
mots à vous dire !".
Il faut préciser qu’à ce
moment-là Dominique Rutili avait une « peccadille » à se
reprocher. Quelque temps auparavant, il avait incendié
deux meules de paille appartenant à un certain
Emmanuelli qui lui avait refusé la main de sa fille.
D’ailleurs, Dominique
Rutili est bien obligé d’obéir aux gendarmes. Déjà, l’un
d’eux appuie le canon de son arme contre sa joue. Ses
poignets sont ligotés.
La scène se passe dans le
haut village et la gendarmerie est située en bas. Il
faut donc emmener le prisonnier par le petit chemin en
pente.
C’est alors que,
brusquement, Rutili jette un appel dans la nuit : A moi, André ! Au secours !
André, c’est Spada ; Spada
qui suit de loin la petite caravane et qui ne peut
rester sourd à l’imploration...
La fusillade commence.
Pascal Rutili, qui suivait son frère, se jette à terre.
Deux gendarmes s’écroulent : Parent est grièvement
blessé ; Caillaud, tué sur le coup.
Dominique Rutili, délivré,
n’a plus qu’à rejoindre son ami Spada. Avec lui, il se
réfugie chez Nonce Romanetti, le roi du maquis, qui
tient la Cinarca sous sa coupe. Ils seront ses
compagnons d’aventures pendant plusieurs mois...
Ce jour d'octobre 1922, à 28 ans, Rutili prend le maquis
avec Spada.
Le 2 janvier 1924, à Lopigna, il assomme d'un coup de
canon de fusil M.Marchi parce que celui-ci l'avait
dénoncé aux gendarmes. Quelques instants plus tard, tapi
dans les buissons, il tire à vue sur les passants,
blessant son propre frère Pascal, le garde champêtre
André Lecca, et le beau-père de Pascal, Mathieu Torre.
Trois ans plus tard, le 4 janvier 1924,
André Spada, Antoine Dominique, accompagnés de leur
nouveau guide François Leca, décident de passer la nuit
dans les environs d'Ajaccio et se dirigent vers le
Finosello où deux maisonnettes de bergers situées au
bord de la Gravona, vont leur servir de gîte. Une dame
Musio, propriétaire des lieux, originaire de Sardaigne
et son fils, âgé de 28 ans, offre l'hospitalité aux
trois hommes.
Dans la nuit, vers 4h30 du matin, Spada
sur ses gardes, ne dort pas.
Une trentaine de gendarmes d'Ajaccio, accompagnés des
inspecteurs de la sûreté générale, sans aucun doute
avertis de la présence des bandits, prennent lentement
position autour des deux maisons. C'est alors que les chiens se mettent
à aboyer. Spada flairant le danger, saute dehors par la
fenêtre et se fondant dans la nuit noire et pluvieuse,
rampe jusqu'à la rivière, va se poster sur l'autre rive,
tire des coups de feu en l'air pour avertir Rutili du
danger puis commence à tirer sur les gendarmes. Au bruit
de la fusillade, Rutili affolé, se voyant cerné et certain
que l’intervention des gendarmes a été provoquée par une trahison
de ses hôtes - n'ont-ils pas commis l'imprudence d'envoyer la
mère Musio faire une commission chez un ami - , il abat
le jeune Antoine Musio d'un coup de fusil à bout
portant, blesse gravement de la même façon Mme Musio puis il se
sauve à toutes jambes à travers les terres labourées en
vidant ses chargeurs dans la direction des gendarmes qui se
lancent à sa poursuite.
Des coups de feu crépitent. Le
fuyard aperçoit un sentier bordé de cistes et de
lentisques qui pourront le dissimuler. En contrebas, il
y a les inspecteurs Acquaviva, Papini et Suzzoni. Papini
aperçoit le fugitif, lève son arme...
Trop tard ! Rutili lui
lâche ses chevrotines en pleine poitrine.
Puis, prenant du champ, le
bandit traqué braque un revolver de chaque main et,
genou en terre, mitraille...
Suzzoni s’abat, l’épaule
fracassée.
Acquaviva tire et manque
Rutili ; puis il bondit sur lui et le ceinture. Les deux
hommes roulent à terre. Rutili parvient à sortir son
couteau, qui porte l’inscription classique : « Morte
all’némico » (Mort à l’ennemi).
Le policier pare les coups,
tandis qu’un gendarme accourt pour prêter main forte à
son camarade. Rutili, épuisé par la lutte, est jugulé.
"Tuez-moi ! Achevez-moi !" râle-t-il.
Leca, le guide, se rend sans résister, André Spada s'enfuit dans
la montagne du Cruzzini.
Condamné à mort le 25 février 1925 et gracié le 11 juin
1925, Dominique RUTILI est envoyé au bagne de Cayenne.
A cette époque et jusqu’en
1928, on pouvait s’évader facilement. Il n’y avait qu’un
fleuve de deux kilomètres à traverser pour se retrouver
libre, en Guyane hollandaise. Les Hollandais manquaient
de bras pour mettre en. valeur leurs territoires ; aussi
accueillaient-ils volontiers les forçats « en cavale »
qui semblaient vouloir travailler.
Mais, à partir de 1928, les
évasions des Français en Guyane hollandaise étaient
devenues impossibles.
En 1931 Rutili tente
de "se faire la belle" en compagnie d’un camarade
espagnol pour rejoindre le Venezuela. Quelques semaines plus tard,
il est à Caracas où il est aidé par le Dr Bougrat qui
lui fournit quelques subsides.
Peu de temps après, sur une route du Venezuela,
les deux fugitifs sont interpellés par des douaniers qui les arrêtèrent
et les remettent entre les mains des autorités anglaises qui
les reconduisirent au bagne.
Libéré en 1952, il fait enfin partie du
convoi de deux cents forçats qui s’embarquent sur le Noirmoutiers.
Trente-quatre jours de mer, avec escale à Casablanca,
avant de débarquer à Bordeaux.
Après une courte escale à Marseille,
il retrouve enfin sa terre natale, Lopigna, le hameau de
Tadja où son frère Pascal l’accueille à bras ouverts.
Peu à peu, l’ancien bagnard
reprend goût à la vie. Une opération lui ayant redonné
en partie la vue, il peut contempler à nouveau les
paysages de son enfance. Comme il redoutait d’être
replongé involontairement dans les vendettas que
pourraient exercer contre lui les parents ou les amis de
ses anciennes victimes, il a rendu visite à ceux-ci et
leur a demandé pardon...
Rutili mourra paisiblement le 20 juillet 1973
***
Extrait de l'hebdomadaire
DETECTIVE n° 269 du 27 août 1951.
En plein maquis corse,
DÉTECTIVE parvient à dénicher Dominique RUTILI qui puni
de 26 ans de bagne, a pris une cure de jouvence dans une
oasis près de LOPIGNA, son village natal.
Après sa très longue expiation en Guyane,
Antoine-Dominique Rutili a retrouvé, dans sa Corse natale,
ses habitudes de montagnard.
LOPIGNA (de notre envoyé
spécial). De la petite route qui serpente au-dessus du
Liamone, le panorama se déroule, majestueux. En arrière,
le golfe étincelant de Sagone. A gauche, par delà la
vallée abrupte, le moutonnement des montagnes auxquelles
s’accrochent comme des médailles de petits villages
blancs et roses. A droite, le maquis envahissant, avec
les cistes roux, les lentisques verts et la lavande
bleutée. Devant, la haute montagne, ses escarpements
rougeâtres et ses pitons approchant les 2.500 mètres
d’altitude.
Tous les jolis villages trop
rapidement traversés, Casaglione, Ambiegna, Arro, ont
été, il n’y a pas si longtemps, ainsi, du reste, que la
plupart des communes de la Cinarca, le théâtre de
combat» farouches, de fusillades rageuses, d’embuscades
sanglantes.
C’était l’époque où les
bandits étaient rois, au Palais Vert. Pour les Romanetti,
les Spada, les Bartoli, ce vocable poétique désignait le
maquis dont, malgré les saisons, la parure verdoyante ne
se fane jamais.
A présent, le temps des
bandits corses est fini, archi-fini, me disait, il y a
quelques semaines, le vieux Muzzarettu qui ne veut pas
désarmer, dans son maquis du Sartenais. Le hors-la-loi
octogénaire ajoutait : Avant de retourner au
continent, allez donc voir Rutili, qui a payé de
vingt-six ans de travaux forcés ses « espiègleries » de
jeunesse. Il revient du bagne. Vous le trouverez à
Lopigna, son village natal
Lopigna est le village du
bout de la route. L’isolement naturel dans lequel est
tenue cette charmante localité dominée par un élégant
clocher explique vraisemblablement pourquoi plusieurs
bandits y trouvèrent leur « vocation », entre autres les
trop célèbres François Caviglioli, Jean-Baptiste Torre,
André Spada. guillotiné à Bastia, et Antoine-Dominique
Rutili.
Ce dernier est l’un des rares
survivants de la phalange des bandits qui, vingt ans
durant, choisirent la Cinarca pour le théâtre de leurs
exploits
De nombreuses maisons de
la.région gardent encore dans le granit de leurs murs
les traces des balles de cette époque tumultueuse et
passionnée.
A Tiuccia, c’est l’hôtel
Miramar où Caviglioli avait pour lubie de faire arrêter
les voitures, au moyen d’un camion mis en travers de la
route, pour offrir à boire aux messieurs et danser avec
les dames.
A Calcatoggio, patrie de
César Campinchi, à Sari, à Saint- André-d’Orcino, à
Cannelle, à Sarrola-Carcopino, pays d’origine de Francis
Carco, dans tous les villages qui s’élèvent du golfe de
Lava jusqu’aux pentes du Monte d’Oro, les bandits ont
laissé des souvenirs indélébiles.
A Lopigna, l’une des
premières maisons à droite, en pénétrant dans le
village, l’épicerie débit de boissons Emmanuelli, peut
encore témoigner de la colère qui anima, certain jour,
le bandit Antoine-Dominique Rutili.
Auprès de la neige et des aigles.
Ce n’est pas ici que j’ai
demandé à rencontrer Rutili. J’ai l’impression qu'en
dépit du baume apporté par le temps, les blessures sont
encore trop fraîches pour être totalement pardonnées.
J’ai préféré m’adresser, plus loin, à l’Idéal Bar, dont
la patronne, à ma question, a répondu :
Rutili, l’ancien bandit, ne
demeure pas au village. II vit au maquis, chez son frère
Pascal, le cantonnier. Vous pouvez aller en voiture
jusqu’au pont, sous les chênes. Vous prendrez le petit
sentier à droite, qui escalade la colline... Trois
quarts d’heure de marche à travers le maquis, les
châtaigniers, les sapins, et vous serez à Tadja, un
petit hameau de trois feux, noyé dans les bois.
Le soleil « plombe ». Mais le
sous-bois touffu conserve une bienfaisante fraîcheur. A
travers les branches, on distingue au loin des cimes
enneigées.
Sur les trois maisonnettes de
Tadja, deux appartiennent aux Rutili et une à la famille
Torre. Il y a des jardins et de beaux vergers, des
champs de maïs et des olivettes, des canaux d’irrigation
et des sources fraîches.
C’est l’oasis au milieu de la
terre sauvage où pullulent renards, lièvres et
sangliers. Des aigles planent au-dessus des gorges du
Cruzzini.
Devant une petite ferme, un
homme, tenant un bébé dans les bras, semble nous
attendre. Notre arrivée a été repérée. Teint de Maure,
comme la tête du blason corse, cheveux frisés et
moustaches noires, c’est Pascal Rutili, 46 ans, frère de
l’ancien bandit et père de dix enfants.
Entrez vous reposer,
monsieur, dit-il dès qu’il sait le but de ma visite. Je
vais voir si mon frère veut vous recevoir. De beaux
enfants bien tenus nous regardent avec curiosité. Il y a
Ange, l’aîné ; Toussaint et François, le dernier né.
Dans la quiétude de cette
ferme isolée, où la vie semble d’une douceur
virgilienne, une femme, Angèle Torre, la compagne de
Pascal Rutili, s’affaire autour de ses enfants, après
avoir mis sur le feu de bois, l’eau pour le café.
Et, soudain :
Bonjour, messieurs ! Un homme
de solide stature, feutre noir, lunettes d’écaille et
moustache aux pointes acérées, se découpe dans le
rectangle de clarté de la porte. C’est Dominique Rutili,
l’ancien bandit, le bagnard libéré, après avoir purgé sa
peine.
Je ne suis qu’un mort vivant,
déclare-t-il après nous avoir serré, la main. Depuis
1926, toutes les années que j’ai vécues grâce à Dieu ne
sont que du rabiot, un beau rabiot... Le jury de Bastia
m’avait condamné à mort. Je m’attendais à avoir la tête
coupée, lorsque le Président Doumergue signa mon recours
en grâce. Aussi, maintenant, à 54 ans, je ne demande
qu’à vivre en paix. J’ai tellement souffert que c’est
comme si j’avais été guillotiné trois fois... Alors,
vous comprenez, on peut me couper six fois la tête, ça
ne me fait plus rien (sic).
Puis, après s’être assis
auprès de moi, il poursuit :
Certains m’ont reproché, à
mon retour de Cayenne, d’avoir conservé la mentalité
primitive des vieux Corses et l’habitude de sortir armé.
Je reconnais que j’aime les armes. Mais je suis revenu
presque aveugle et, si le docteur Panero ne m’avait
opéré de la cataracte à la clinique Ripert, à Ajaccio,
je n’y verrais plus. A présent, on m’a sauvé un œil et,
bientôt, je retournerai sur le billard pour me faire
opérer l’autre. Tout ce que je souhaite, c’est de
retrouver la vue comme avant, pour pouvoir aller à la
chasse.
Mais ce qui a le plus
douloureusement surpris l’ancien bandit à son retour au
pays, c’est la désertion des villages corses. L’ancien «
homme puni » s’apitoie davantage sur le destin de sa
petite patrie que sur le sien propre.
Quant aux circonstances qui
lui ont mis le doigt dans l’engrenage criminel,
Dominique Rutili ne les évoque pas sans hésitation.
C’est comme avec regret qu’il finit par conter, aidé de
son frère qui s’exprime plus aisément en français, le
récit de ses « malheurs ».
Pour un tour de valse
Le 8 octobre 1922,
Sari-d’Oreino fêtait sainte Liberata. la patronne du
village, et on dansait, ce jour-là, au bal Michel
Carmini. Les garçons n’avaient d’yeux que pour deux
femmes de mœurs légères qu’avait amenées un matelot
sarde du nom de Salici.
Tandis que l’accordéon
attaquait une valse, un jeune homme de Calcatoggio,
Jean-Baptiste Subrini, s’approcha de la plus jolie des
deux filles pour l’inviter à danser.
Jacqueline allait sans doute
accepter l’invitation lorsque son protecteur, Salici,
intervint : "Je ne te permets pas de
danser avec ce paysan".
Sous l’insulte, Subrini
bondit en avant. Le matelot sort un couteau. Subrini met
la main à la poche. Un coup de feu claque. Le marin
tombe, la cuisse traversée d’une balle.
Lorsque les gendarmes
arrivent, Jean-Baptiste Subrini est déjà loin. Il s’est
sauvé vers la chapelle de Sainte-Libcrata. Il erre deux
heures dans le maquis, puis regagne Sari-d’Orcino par le
vieux moulin.
Dans la salle de bal, les
gendarmes interrogent la belle Jacqueline : Qui a tiré sur ton ami ?
Dominique Rutili qui buvait à
une table avec André Spada.
C’est faux. Rutili n’a pas
fait un geste durant l’altercation. Néanmoins, les
gendarmes se mettent à sa recherche. Ils pénètrent dans
le bar, carabine en joue. Le gendarme Parent dit à son
collègue Caillaud, en désignant Dominique Rutili : "Enchaîne-moi cet homme !
Dominique proteste : Vous n’en avez pas le droit ;
je ne suis pour rien dans la bagarre.
Le juge de paix a deux mots à
vous dire.
Il faut préciser qu’à ce
moment-là Dominique Rutili avait une « peccadille » à se
reprocher. Quelque temps auparavant, il avait incendié
deux meules de paille appartenant à un certain
Emmanuelli qui lui avait refusé la main de sa fille.
D’ailleurs, Dominique Rutili
est bien obligé d’obéir aux gendarmes. Déjà, l’un d’eux
appuie le canon de son arme contre sa joue. Ses poignets
sont ligotés.
La scène se passe dans le
haut village et la gendarmerie est située en bas. Il
faut donc emmener le prisonnier par le petit chemin en
pente.
C’est alors que, brusquement,
Rutili jette un appel dans la nuit : "A moi, André ! Au secours !"
André, c’est Spada ; Spada
qui suit de loin la petite, caravane et qui ne peut
rester sourd à l’imploration...
La fusillade commence. Pascal
Rutili, qui suivait son frère, se jette à terre. Deux
gendarmes s’écroulent : Parent est grièvement blessé ;
Caillaud, tué sur le coup.
Dominique Rutili, délivré,
n’a plus qu’à rejoindre son ami Spada. Avec lui, il se
réfugie chez Nonce Romanetti, le roi du maquis, qui
tient la Cinarca sous sa coupe. Ils seront ses
compagnons d’aventures pendant plusieurs mois.
Trois ans plus tard, en 1925,
Spada et Rutili se rendent à Finosello, dans la banlieue
d’Ajaccio, et commettent un jour l’imprudence d’envoyer
leur hôtesse, Mme Musio, faire une commission chez un
ami. Dans la nuit, les gendarmes alertés viennent cerner
les deux maisons occupées chacune par l'un des bandits.
Au petit jour, André Spada
traverse la ligne des assiégeants et attend son camarade
à quelque distance. Pendant ce temps- là, certain que
l’intervention des gendarmes a été provoquée par une
trahison, Rutili tue Mme Musio et son fils. Puis il se
sauve à toutes jambes à travers les terres labourées.
Policiers et gendarmes se
lancent à sa poursuite. Des coups de feu crépitent. Le
fuyard aperçoit un sentier bordé de cistes et de
lentisques qui pourront le dissimuler. En contrebas, il
y a les inspecteurs Acquaviva, Papini et Suzzoni. Papini
aperçoit le fugitif, lève son arme...
Trop tard ! Rutili lui lâche
ses chevrotines en pleine poitrine.
Puis, prenant du champ, le
bandit traqué braque un revolver de chaque main et,
genou en terre, mitraille...
Suzzoni s’abat, l’épaule
fracassée.
Acquaviva tire et manque
Rutili ; puis il bondit sur lui et le ceinture. Les deux
hommes roulent à terre. Rutili parvient à sortir son
couteau, qui porte l’inseripticn classique : « Morte
all’némico » (Mort à l’ennemi).
Le policier pare les coups,
tandis qu’un gendarme accourt pour prêter main forte à
son camarade. Rutili, épuisé par la lutte, est jugulé.
"Tuez-moi ! Achevez-moi !"
râle-t-il.
On connaît l’épilogue : les
Assises, la condamnation à mort, la fuite de Spada dans
les montagnes du Cruzzini, la grâce du Président de la
République, l’expiation...
La cavale interrompue
Sur sa vie en Guyane,
Dominique me raconte simplement :
Je me trouvais au bagne en
1926. A cette époque et jusqu’en 1928, on pouvait
s’évader facilement. Il n’y avait qu’un fleuve de deux
kilomètres à traverser pour se retrouver libre, en
Guyane hollandaise. Les Hollandais manquaient de bras
pour mettre en. valeur leurs territoires ; aussi
accueillaient-ils volontiers les forçats « en cavale »
qui semblaient vouloir travailler. Mais, en 1928, une
bande de voyous, des Français, je dois le reconnaître,
gâchèrent tout, tuant, pillant, volant.
A partir de ce moment, les
évasions des Français en Guyane hollandaise devinrent
impossibles. C’est pourquoi, en 1931, lorsque je tentai
de « faire la belle » en compagnie d’un camarade
espagnol, nous décidâmes d’aller jusqu'au Venezuela.
Quelques semaines plus tard, nous venions sonner à la
porte du docteur Bougrat, à Caracas. Il était absent. Ce
fut sa femme qui nous reçut, une Italienne fort aimable.
Elle nous donna à manger et nous fournit quelques
subsides.
Malheureusement, peu de temps
après, sur une route du Vénézuela, des douaniers nous
arrêtèrent et nous remirent entre les mains des
autorités anglaises qui, courtoisement, mais
inflexiblement, nous reconduisirent au bagne.
Ma vie, par la suite ? Celle
de tous les forçats. Les fièvres, le climat débilitant,
l'atroce promiscuité, les visites des journalistes et de
l’Armée du Salut...
L’ancien bandit s'interrompt.
S’adressant à son frère Pascal il demande : Aïo ! Pascal, va chercher la
dernière bouteille de vin de treille !
Puis, devant les verres
remplis d’un vin au frais bouquet, Rutili reprend ses
confidences.
Le pardon et la paix
Après vingt-six ans de bagne,
il fait enfin partie du convoi de deux cents forçats qui
s’embarquent sur le. Noirmoutiers. Trente-quatre jours
de mer, avec escale à Casablanca, avant de débarquer à
Bordeaux.
C’est l’hiver. Il fait froid.
Rutili grelotte dans son mauvais complet, en débarquant
sur les quais de la Gironde. Son immense chapeau de
paille mexicain attire sur lui l'attention des
journalistes et des badauds. Mais le forçat libéré ne
desserre pas les dents. II n’attend qu’une chose :
pouvoir vivre libre, comme tout le monde.
Courte escale à Marseille.
Et, enfin, la terre natale, où son frère l’accueille à
bras ouverts.
Peu à peu, l’ancien bagnard a
repris goût à la vie. Une opération lui ayant redonné en
partie la vue, il peut contempler à nouveau les paysages
de son enfance. Comme il redoutait d’être replongé
involontairement dans les vendettas que pourraient
exercer contre lui les parents ou les amis de ses
anciennes victimes, il a rendu visite à ceux-ci et leur
a demandé pardon.
Maintenant, Rutili semble
heureux. Il s’est remis à tailler les oliviers du verger
de Tadja et, pour lui, l’eau qu’il puise à la source de
Spinate est la meilleure du monde. II s’occupe du
bétail, des chèvres, brebis et vaches dont le lait sert
à la confection de délicieux fromages. Il élève aussi
des porcs.
Nous sommes pauvres, mais
libres, conclut-il. Et si mon frère, qui a déjà subi
sept opérations, se portait mieux, nous compterions
parmi les privilégiés de ce monde, parce que nous ne
devons rien à personne et que nous n’avons au cœur ni
haine ni jalousie. Pour moi, il me semble que, né de
nouveau pour une deuxième vie, je suis comme un enfant
comblé de bonheur!
Jean BAZAL
Les dernières condamnations à mort prononcées
en Corse ont été celles de Jean-Baptiste TORRE (l'un des agresseurs
de GUAGNO-LES-BAINS) le 20 novembre 1933 et d'André SPADA le 5 mars 1935.
Tous deux ont été guillotinés.
|