L'histoire de Tiodoru (théodore) Poli
a été racontée par Gustave Flaubert dans ses Carnets de
voyages. Lors de sa visite de la Corse en 1840 et plus
précisément, lors de son passage à Vico le 07 octobre,
il y apprend les exploits du bandit qu'il qualifie de
"noble coeur et de héros".
Tiodoru (Théodore) Poli est originaire de
La Chiaja, non loin de Guagno où il est né en 1797. C'est un brave paysan sans
histoires qui laboure sa terre jusqu'à ce qu'un matin de
février 1820, le brigadier Petit de la Gendarmerie de Guagno, qu'il croyait être son ami, vient lui passer
les menottes devant tout le village
parce que, réfractaire au service militaire obligatoire, Théodore,
frappé par la conscription, avait laissé passé la date à
laquelle il devait se présenter au bureau de recrutement
d'Ajaccio.
Profondément humilié, ayant
le sentiment d'avoir été ridiculisé, Poli n'a plus
qu'une idée en tête: se venger; et le 14 février, il
s'évade de la prison d'Ajaccio afin de rejoindre Guagno
où quelques heures plus tard, il tue d'une balle dans la tête le gendarme qui lui
avait fait subir un tel affront. Ce jour là Théodore Poli, devenu déserteur et
meurtrier, entre à son tour dans la légende des bandits
Corses en déclarant une guerre ouverte à la Gendarmerie.
Intelliigent,
doué d'un courage malfaisant, Théodore, protecteur des
femmes, ne respectait que Dieu et ne reconnaissait
qu'une seule justice, la sienne.
En 1820, à la tête de quelques dizaines
d'hommes dont François Antoine Pellegrini dit "Bruscu",
les frères Multedo, Jean Cristinacce et Jean Casanova il est proclamé chef de bande et surnommé « le
roi de la montagne ».
En juillet 1822, en compagnie de
Gallochio, Gambini et Sarrochi, la bande s'empare de la
récolte de blé d'un paysan de Rusio après avoir pillé sa
maison. Le lendemain, à Piedigriggio, les bandits
séquestrent le curé et sa nièce, dévalisent sa maison
puis se retirent en lui enjoignant de quitter la
commune.
La bande de Poli, qui a
établi des liens avec d'autres bandes, comme celle de
Gallocchio, dicte à présent ses lois et inspire la
terreur n'hésitant pas à attaquer plusieurs gendarmeries
(Antisanti, Orezza, Evisa, Rusio) pour se procurer
vêtements, armes et munitions.
Le 19 octobre 1822, accompagné de
cinq autres contumax, Théodore Poli habillé en gendarme,
investit la gendarmerie de Casaglione pour procurer à sa
bande les chaussures qui lui manquent. Tous les
gendarmes sont à l'extérieur ; un seul se trouve à la
caserne ; des coups de feu sont tirés ; le gendarme est
abattu. Le maire qui a entendu la fusillade intervient
accompagné de quelques habitants courageux. Les bandits
surpris par cette riposte inattendue s'enfuient mais un
des leurs est tué.
Pour faire vivre une troupe
de plus en plus importante, Poli fonde "la République des bandits"
en faisant voter le 1er février 1823 la constitution d'Aïtone qui lui donne
droit de vie et mort sur tous et frappe le clergé de la
province d'un impôt proportionnel. Notaires et
percepteurs sont également mis à contribution.
Cibles préférées du bandit, les
curés sont souvent mis à contribution.
En avril
1823, les curés des villages de Poggiolo et Orto, sommés
par Théodore et sa bande de leur de remettre une forte
somme d'argent, ne s'exécutent pas et reçoivent chacun
une lettre dans laquelle ils sont menacés de mort.
L'abbé Gaffory, curé de Castifao, l'abbé Colonna, curé
de Casaglione, l'abbé Leca, curé de Pastricciola, sont
également rançonnés.
En 1824, deux voltigeurs qui
escortent un convoi de vivres entre Vico et Orto, sont
la cible de Théodore qui abat l'un d'eux ainsi qu'un
paysan qu'il reconnaîtra trop tard comme étant son
neveu.
Le 16 juillet 1925, Poli, accompagné de
Gaffory, arrête sur la route un dénommé Filippi de
Rosazia auquel il reproche de l'avoir espionné. Après
lui avoir ordonné de dire sa prière, il le fusille à
bout portant.
Mais Poli n'est pas un
bandit ordinaire : il croit avoir une mission à remplir
et politise son combat en se déclarant adepte du
carbonarisme; on sait qu'il initie ses compagnons en
tenant des réunions secrètes dans la forêt. Le
hors-la-loi se veut aussi justicier : il aide les
pauvres,rançonne les riches et crée l'impôt
ecclésiastique avec menaces de représailles contre ceux
qui ne s'exécutent pas.
Aux actifs de Poli, on
raconte l'assassinat en pleine rue de Bastia, du
bourreau chargé de l'exécution de son complice "le
poète" Mascaroni et la délivrance de ce dernier au
moment où les gendarmes le conduisent pour son exécution
sur la place Saint Nicolas, l'assaut de la gendarmerie
de Bastia pour s'y procurer des bottes dont ses
hommes ont cruellement besoin, l'anéantissement d'une
bande de voleurs Sardes qui la nuit venue, terrorisent et
pillent la population de Bonifacio.
En novembre 1822, pour
tenter de mettre fin à la bande des contumaces que l'on
estime forte de plus de 800 individus, l'état crée le
bataillon de voltigeurs Corses, une sorte de milice dans
laquelle s'engagent de nombreux insulaires. Cependant,
en plus des exactions commises, cette "armée"
(composée aussi de certains insulaires désireux
d'accomplir une vengeance personnelle) ne
remportera que peu de succès.
Ce fut la trahison qui orienta
un bataillon des voltigeurs corses du coté d'Ambiegna, vers la cache où se
réfugiaient Théodore, son frère Borghellu et deux de ses compères, Mascaroni et
Piconi, ce matin du 05 février 1827.
Poli, semble-t-il malade, s'était
réfugié dans une cabane de berger située le long du
Liamone. Le berger avertit les voltigeurs. Trois d'entre
eux, Colonna, Fornari et Graziani, partirent aussitôt.
Sur place, une fusillade s'ensuivit. Graziani fut blessé
au bras mais Colonna et Fornari ripostèrent et le bandit
mortellement blessé, expira. Son cadavre chargé sur un
mulet, fut conduit dans la petite église de Vico où il
disparu pendant la nuit sans ce que l'on ne sache jamais
ce qu'il était devenu.
Dans une autre version on raconte
que sa dépouille fut exposée
dans l'église Saint Roch d'Ajaccio afin que la
population soit informée de sa mort.
Ainsi s'acheva la vie tumultueuse
et ensanglantée de Tiodoru Poli qui avait gardé le maquis
pendant plus de 7 années et qui avait été condamné
plus d'une vingtaine de fois à la peine capitale.
La guerre des contumaces était terminée, du moins le
croyait-on à ce moment là.
Récit de la destruction de
Théodore Poli paru dans le "Journal du
Département de la Corse" du 10 février 1827.
Le contumax Théodore Poli, de
Guagno, le bandit le plus adroit, le plus actif et le
plus déterminé, de ceux qui depuis longtemps ont désolé
l’arrondissement d’ Ajaccio, n’existe plus. Ce
malfaiteur, après avoir été blesse grièvement, le 5 de ce mois par le
voltigeur Marc Antoine Fornari, a été tué par le Sieur
Antoine Colonna, de la commune d’Appriciani, qui servait
de guide à ce militaire et au voltigeur Charles Michel
Graziani, aussi de la 3ème compagnie, lesquels étaient en campagne
depuis douze jours pour rechercher Théodore. Ces deux
voltigeurs ont été blessés, mais non dangereusement.
C'est au lieu dit Mortola, territoire d’Ambiegna, sur la
rive gauche et près du Liamone, que l’action a eu lieu.
Théodore était, dit-t-on, en compagnie de son frère
Mathieu, bandit également déterminé, qui parait avoir
pris la fuite aussitôt qu’il vit tomber celui-ci. Il
parait aussi que Théodore, fatigué des marches et contre
marches qu'il avait dû faire pour échapper aux brigades
de gendarmerie d’Ajaccio et d’Appietto, qui l'avaient
poursuivi pendant plusieurs jours ; et d’ailleurs
tourmenté par la fièvre, avait passé la nuit dans une
cabane an lieu ou il fut rencontré par les voltigeurs et
le Sieur Colonna, et non loin duquel les
gendarmes avaient perdu ses traces.
La mort
de Théodore Poli réalisera la promesse que M. le
capitaine Marinetti et M. le lieutenant Vico avaient
faite, lors de la revue d’inspection, en janvier
dernier, de détruire enfin ce bandit, célèbre par les
nombreux meurtres et vols à main armée qu’il a commis
pendant près de huit années consécutives. M. le Préfet a
rendu compte au Ministre de l’intérieur, d’une événement ainsi important
pour la sûreté publique d’une partie de l’arrondissement
d’Ajaccio, dont Théodore était devenu la terreur. M le
Maréchal decamp, commandant la subdivision militaire
s'est empressé de même d'en faire son rapport à M. le
Lieutenant général, commandant la division. Des
gratifications extraordinaires ont été sollicitées en
faveur des voltigeurs Fornari et Graziani et du Sieur
Colonna. Il a été demandé, en outre, que ce dernier fut
admis immédiatement dans la 3ème compagnie de Voltigeur
corses qui ne pourra que recevoir avec satisfaction dans ses rangs un
brave de plus. L’exemple donné par cette compagnie ne
pourra, nous en sommes certains d’avance, qu’accroître
le zèle et le dévouement des autres compagnies du même
corps stationnées dans les pays désolés par des
contumax, et qui ne comptent parmi elles, pas moins
d'intrépides militaires que celle que nous
venons de citer. Nous aurons soin de faire connaître
à nos lecteurs les nouveaux détails qui pourront nous parvenir sur
l'affaire en question.
Récit de la destruction de
Théodore Poli paru dans le "Journal du
Département de la Corse" . Rectificatif
du 17 février 1827.
D’après
les nouveaux renseignements qui nous sont parvenus sur
la destruction du fameux bandit Théodoro Poli,
nous devons rectifier, comme il suit, l’article inséré à
ce sujet, dans notre dernière feuille du 10 de ce
mois.
Depuis
l’admission assez récente , du capitaine Marinelli dans
le bataillon des voltigeurs Corses, la troisième
compagnie qu’il commande et qui occupe la partie
septentrionale de l’arrondissement d’Ajaccio, a pris une
direction plus active, mieux combinée. Cet officier
s’est mis lui-même en campagne et a partagé les fatigues
et les dangers de ses soldats. Informé d’abord de l’état
du pays, relativement aux contumax, par son lieutenant
M. Vico et par ses rapports avec la Gendarmerie, il a
été bientôt sur la trace des bandits qui depuis
longtemps désolent cette contrée. Ainsi, le 28 octobre
dernier, accompagné d’un fort détachement , il a surpris
les deux frères Poli dans une grotte sur les montagnes
de Guagno ; mais, après un échange de coups de fusil
sans effet, quoique tirés d'assez près, et malgré les
bonnes dispositions prises, Théodoro et son
frère échappèrent encore cette fois. Dans cette
rencontre, le Capitaine Marinetti fit feu sur Théodoro
qui venait de tirer sur lui, le voltigeur Orsoni reçut
une balle dans son Schakos.
Les
poursuites dirigées particulièrement contre ces deux
malfaiteurs devenus les plus terribles de l’île
conservèrent la même activité, les renseignements secrets furent mieux
recherchés et mis a profit, les marche et les embuscades
n'eurent plus d’interruption, la 3ème compagnie des
voltigeurs corses ne resta plus en repos : la revue
d'inspection, l’expédition sur Otta ont seules retardé
la fin de Théodoro. Dans cette revue passée â Ajaccio ,
les officiers des 3ème et 4ème compagnies, les
sous-officiers et les voltigeurs eux-mêmes promirent de
rendre, avant peu, des services notables.
Cette
promesse d’un bon esprit de corps a déterminé deux
anciens voltigeurs de la troisième compagnie
Fornari et Graziani et le dernier admis le Sieur Colonna d’Appriciani,
à s'offrir pour aller, d’après les derniers avis reçus,
surprendre les deux frères Poli dans leur nouveau
refuge. Partis depuis douze jours, rodant aux environs
d’Ambiegna, ils parvinrent, dans la matinée du
5 de ce mois, à découvrir d’un peu loin les
deux bandits près des cabanes de Mortola, Ils
voient que l'un marche vers le Liamone pour observer sans
doute le pays, et que l’autre, Théodoro, entre dans une cabane. Alors les
trois voltigeurs, bravant la chance d'un combat à
mort avec deux adversaires bien armés, d’un
courage et d'une adresse peu ordinaire, se glissent au travers des makis,
sont aperçus par un chien de berger dont l’aboiement met
Théodoro sur ses gardes et prennent la course vers la
cabane d’où le bandit s’élance, en tirant son premier coup de fusil sur
Graziani qui n’est pas atteint ; Théodoro fuit eu
chargeant sou arme à double canon ; mais pressé et
insulté par ses agresseurs, il leur fait face, tire sur Colonna qu’il
manque encore ; il est manqué à son tour par Colonna et
par Graziani : celui-ci est blessé à la main par le troisième coup de fusil de
Théodoro; Fornari, qui avait eu assez de sang froid pour
ne pas trop se presser, tire en fin le dernier et blesse mortellement le
redoutable adversaire qui tombe, mais qui se relève
un instant pour amer son pistolet et le
décharge sur Fornari qui est blessé par deux balles à
la cuisse et à la jambe gauches : Théodore expire
presque eu même temps à coté de son fusil et son pistolet à la main. Cette
mort est d’un brave, pourquoi n'est-elle pas d’un brave
homme ? Elle donne au moins de l'éclat à la bravoure des
trois voltigeurs Corses qui n’oubliaient pas que le frère de Théodore
devait entendre les coups de fusil et qu’il pouvait
survenir pendant la lutte ; et, même s’il
était survenu même après, il n’aurait plus eu affaire
qu’avec Colonna qui est resté seul intact et gardant ses
deux compagnons blessés. Le frère de Théodoro n'a pas
reparu.
Ainsi
s'est terminée la carrière de ce bandit, âge de
30 ans, déserteur du dépôt de recrutement de 1819, coupable de plusieurs
meurtres et extorsions, vivant de tributs imposés et payés
secrètement, et qui s'est intitulé pendant huit ans,
Le Commandant de la campagne...
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