L'application de l'hélice sur
un navire à vapeur va être une véritable révolution.
Le premier brevet d'une hélice opérationnelle est
celui d'un ingénieur autrichien, Joseph Ressel,
en 1827. En France, deux hommes
conjuguèrent leurs efforts : Sauvage, un des
inventeurs de l’hélice, et Normand,
constructeur au Havre. Tout alla bien jusqu’au jour
où il fallut décider de la forme de l’hélice ;
Sauvage la voulait pareille à une vis, Normand la
concevait comme celles qui équipent les navires
aujourd’hui, c’est-à-dire à pales distinctes. Le
second, par bonheur, s’obstina. Faute de l’accord du
ministère de la Marine pour la construction d’un
navire à vapeur et à hélice, il obtint celui du
ministère des Finances. Le contrat d’achat stipulait
que le bateau, un aviso destiné aux traversées
postales entre Marseille et la Corse, devrait
atteindre la vitesse de huit nœuds minimum, faute de
quoi le projet serait abandonné.
Normand accepta de
prendre le risque et le 11 décembre 1842 un navire
de 350 tonneaux, équipé d’une machine de 120 chevaux
due à l’ingénieur anglais Barnes, sortait des
chantiers du Havre et recevait le nom de Napoléon.
Aux essais, il atteignit la vitesse de dix nœuds
quatre dixièmes, soit deux nœuds et demi de plus que
les corvettes à roues contemporaines. Ce premier
navire à hélice destiné à sillonner les eaux
françaises remporta aussitôt un très vif succès et
détermina l’adoption de l’hélice dans la Marine
française. Non seulement Normand avait rempli son
contrat, mais il avait su donner à la carène du
Napoléon des formes d’une très grande élégance,
très effilées et parfaitement adaptées au nouveau
système de propulsion. De plus, le navire marchait
aussi bien à la voile qu’à la vapeur grâce à son
gréement de brick goélette à trois mâts.
Après la
Révolution de 1848, le Napoléon prit le nom
de Corse. Il assura effectivement le service
postal entre la France métropolitaine et l’île à
laquelle il devait son nouveau nom, puis fut racheté
par la marine. Quarante-sept ans après son
lancement, le Corse naviguait encore et
réalisait aisément une vitesse de 9 nœuds.
L’idée de relier la Corse au
continent par des navires à vapeur a été émise pour la
première fois en 1825, mais c'est seulement en 1830 que
débutent les premières liaisons régulières dont le
mérite revient à la Compagnie Toulonnaise GERARD &
Fils.
Ce service subventionné par l'Etat (120 000 francs par
an) est conclu pour une période de 4 ans, mais il sera
prorogé jusqu'en 1842 avec cette Société.
Pour assurer cette desserte l'Armement Toulonnais fit
construire trois navires à vapeur à coque en bois
propulsés par des machines à vapeur de construction
anglaise d’une puissance de deux fois vingt-cinq chevaux
actionnant des roues à aubes, tout en étant gréés de
voiles auxiliaires : Le GOLO, le LIAMONE et le VAR,
qui mesurent chacun 33 m de long, 5,10m de large
et jaugent 50 tonneaux. Chaque navire dispose de
quatorze cabines et peut transporter une cinquantaine de
passagers, mais la moyenne n’est en fait que d’une douzaine
de passagers par traversée et le confort y est très relatif.
Les traversées par vent faible durent environ 26 heures
entre Toulon et Ajaccio et 30 heures entre Toulon et Bastia,
mais se prolongent souvent de 24 heures lorsque le mauvais
temps s’en mêle.
En 1830, les horaires sont ainsi
fixés : Toulon/Bastia : Départ 8 h Jeudi - Arrivée
Vendredi 14 h ; Toulon/Ajaccio : Départ 8 h Dimanche -
Arrivée lundi 10 h ; Bastia/Toulon : Départ 10 h
Dimanche - Arrivée lundi 16 h ; Ajaccio/Toulon : Départ
10 h Jeudi - Arrivée Vendredi 12 h.
Le 18 Juin 1830 à 18 heures, le Liamone entre dans le port d’Ajaccio
en provenance de Toulon après vingt-six heures de traversée.
Deux jours plus tard, le Golo reliait le port varois à
Bastia en trente heures. L’arrivée des deux vapeurs eut un si grand retentissement
dans l’île que le « Journal du Département de la
Corse », dans son édition du 24 juin 1830, l’évoquait en ces
termes :
"Grâces à la paternelle sollicitude du
gouvernement du Roi, nos espérances au sujet des bateaux
à vapeur, chargés du service de la correspondance entre
le Continent français et l’île de Corse, se sont enfin réalisées.
L’un de ces bateaux, celui dénommé le Liamone est entré
dans le port d'Ajaccio le 18 de ce mois
â six heures du soir ; l’autre dénommé le Golo est arrivé à
Bastia le 20. Désormais nous recevrons donc
le courrier de Paris deux fois par semaine et presque aussitôt que
d’autres départements qui sont cependant plus rapprochés
que nous de la métropole. Il serait difficile d’exprimer
la joie que les habitants ont manifestée à l’apparition
des deux bâtiments. Nous pouvons assurer que le 18 et le 20 juin 1830 feront
époque dans les annales de la Corse".
Dès le 1er janvier 1834, le nouvel hebdomadaire, sortant
de l'imprimerie Fabiani et ayant pour titre "Revue
de la Corse"- qui deviendra trois mois plus tard
"L'Insulaire français"- avait fait
son apparition et signalait dans un article assez
détaillé l'établissement de relations maritimes
régulières entre Toulon, Bastia et Livourne par un
bateau à vapeur d'un « confort » relativement supérieur
à celui des « vapeurs » déjà en service entre la Corse
et la Toscane.
Des Corses établis à Livourne, les frères Cipriani
associés aux frères Bartolommei, ont eu l'idée d'une
telle entreprise qui, selon une de leurs circulaires de
publicité, sera profitable aux trois pays desservis et
entre lesquels les communications et les transports
deviendront à la fois économiques et rapides. De fait,
une société anonyme de navigation fut créée à cet effet
par actions de 2.000 francs et pour un capital total
minimum de 150.000 francs. On devait apprendre par la
suite que l'un des souscripteurs, un certain Stephenson,
citoyen anglais domicilié à Florence, en avait souscrit
personnellement pour cette somme et que le capital prévu
avait été doublé.
Le bateau en question, construit en France, n'entra
toutefois en service qu'au mois de février 1836, bien
après la date primitivement annoncée.
Le journal « L'Insulaire Français » ne
manqua pas d'ailleurs de donner en temps opportun les
caractéristiques du navire, dont le commandant était
Antoine Lota, de Bastia, et qui fut baptisé «
Napoléon ». Il effectuait trois rotations par mois,
reliant Marseille à Bastia en 32 heures pour cinquante
francs et Bastia à Livourne en 8 heures.
La vapeur s’imposait désormais et le nombre de navires
qui desservaient la Corse explosait littéralement en passant
de trois en 1841 à cent dix en 1845 et devenaient de
plus en plus confortables.
Mais ce nouveau mode de transport n'est pas bien
accueilli par tous ; les marins y voient une
concurrence déloyale entre leurs voiliers et ces vapeurs
bien plus rapide.
L’armement GERARD et Fils est
violemment critiqué par la presse qui qualifie ses
vapeurs de "Cratères ambulants" et avance que la sécurité
et le confort des passagers à bord de ces navires est loin
d’être à hauteur des subventions significatives allouées à
la compagnie à raison du service postal imposé par l’État.
Par ailleurs, le port de Marseille prend l’ascendant sur
celui de Toulon comme tête des lignes postales, non
seulement vers la Corse mais aussi vers le Moyen-Orient.
En 1841, la Compagnie Bastiaise
VALERY, ensuite les navires de l'Etat en 1842, entrent
en compétition avec la Compagnie GERARD qui semble
traverser de graves difficultés d'exploitation.
En 1843, l’armement GERARD et Fils, dont les intérêts se
concentrent sur Toulon, renonce finalement à desservir
les lignes de Corse dont le service postal sera
désormais assuré par la compagnie bastiaise VALERY.
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LE GOLO
(1842-1844)
Construit à Toulon en 1830
Coque en bois. Longueur :
33m ; largeur : 5,10 m
Puissance : 50 cv ;
vitesse : 6 noeuds |
LE
LIAMONE |
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