Il était
une fois, dans un village Corse, dont j'ai perdu le nom,
un jeune homme, Petru Santu, fils d'un riche
propriétaire, qui aimait une jolie paysanne prénommée
Alisa ; mais Alisa était pauvre et sans famille.
Lorsque
ses parents connurent cette passion, ils entrèrent dans
une grande colère et le forcèrent à épouser Giannina, la
riche héritière d'un notable des environs. Cette union
forcée n'avait qu'un seul but : élargir la parentèle et
accroître les influences entre les deux familles.
Cependant, Giannina, quoique jeune encore, avait déjà eu
bien des amants et la nuit de ses noces, la jeune femme
qui craignait que son époux ne s'aperçoive de sa
mauvaise conduite, envoya sa servante chercher dans la
ville une femme qui fût pucelle et qui voulût bien
consentir à coucher avec son époux.
La
servante partit aussitôt pour la ville voisine. En
chemin, elle rencontra Alisa, la jolie paysanne.
- « Es-tu pucelle?
- Oui.
- Veux-tu
consentir à coucher cette nuit avec le fils du roi ?
- Je le
veux bien ; mais n'est-il pas marié ?
- Si,
mais par des raisons que je ne puis t'expliquer son
épouse a besoin que tu prennes sa place.
- Et
qu'en pensera son époux ?
- Laisse
faire, on s'arrangera de manière qu'il n'y verra rien».
Le soir
venu, Alisa, introduite furtivement, alla se glisser
dans le lit de son amoureux.
Avant que
le jour parût, la jeune fille, qui ne s'était pas fait
connaître, dit à Petru Santu :
- «
Donnez-moi l'anneau que vous portez au doigt en ce
moment ; je veux avoir un gage éternel de notre première
nuit d'amour.
Pour ne
pas mécontenter celle qu'il pensait être sa femme, Petru
Santu lui donna son anneau. Puis la jolie Alisa
s'habilla et partit.
La nuit
suivante, vêtue de beaux habits qu'on lui avait prêté,
elle vint de nouveau et, cette fois, demanda comme
souvenir l'écharpe brodée que le jeune homme avait
portée le jour de son mariage.
Celui-ci
y consentit encore, de même que la troisième nuit où il
lui donna une magnifique ceinture incrustée de pierres
précieuses.
Croyant
que tout soupçon avait maintenant disparu, Giannina
voulut, à son tour, profiter de son époux ; heureusement
pour elle, celui-ci, qui était fatigué de ces trois
nuits passées avec la belle Alisa, ne s'aperçut de rien.
Cela dura
neuf mois.
Au bout
de ce temps, Alisa accoucha d'un beau garçon. Le soir
même de ses couches, elle demanda à voir son amant.
Petru
Santu s'empressa d'accourir, et la jolie accouchée lui
présenta l'enfant tout enveloppé dans une écharpe
brodée, serré par une splendide ceinture brodée de
pierres précieuses et ayant au doigt un anneau. Des
objets qu'il reconnut aussitôt.
- «
Comment cette écharpe, cette ceinture et cet anneau se
trouvent-ils ici ? » demanda le jeune homme.
Alisa lui
raconta alors tout ce qui s'était passé, et son amant
jura qu'il n'aurait plus désormais d'autre épouse
qu'elle.
Après
cela, Petru Santu courut chez un bijoutier et lui dit :
- «
Faites-moi deux boîtes, dont l'une soit en or, mais très
grossièrement travaillée, et l'autre en argent où vous
aurez mis tout votre art et tout votre génie. »
Lorsque
les deux boîtes furent fabriquées ainsi qu'il le
désirait, le jeune homme les présenta à son père, en lui
disant :
- « Quel
est de ces deux objets celui qui vous paraît le plus
digne d'admiration ?
- Ah! dit
son père, voici une boîte en or qui vaut beaucoup, mais
elle est si mal faite qu'il n'y a aucun artiste de notre
région qui ne préfère la boîte en argent, vrai
chef-d'œuvre de ciselure et d'exquise beauté.
-
Laquelle de ces deux boîtes aimez-vous donc mieux, mon
père ?
- Je te
l'ai dit : c'est celle qui est en argent qui aurait ma
préférence.
- Eh bien
! de ces deux boîtes, celle qui est en or, représente la
femme que vous m'avez fait épouser, et celle qui est en
argent, représente une jeune fille pauvre, que j'aime,
et qui a mille qualités charmantes. »
Et, en
même temps, Petru Santu raconta à son père la mauvaise
vie qu'avait menée Giannina sa femme, ses débordements
scandaleux, enfin, sa ruse des premières nuits de noces.
En
apprenant toutes ces choses, le père de Petru Santu n'en
pouvait croire ses oreilles ; très en colère, il fit
appeler Giannina, qui n'osa nier aucune de ses mauvaises
actions.
On la
renvoya honteusement chez ses parents, qui furent bien
désolés de la conduite de leur fille, mais ils ne purent
se plaindre d'un châtiment si mérité.
Quant au
jeune Petru Santu, il épousa bientôt après la jolie
Alisa qu'il aimait et avec laquelle il fut toujours
heureux.
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