À la fin du XIXème siècle, la Corse connaît de
sérieuses difficultés économiques et sociales. À la
suite d'une grave crise agricole, son économie
s'effondre. Pour de nombreux insulaires, l'émigration
devient une échappatoire à la misère.
Dans le petit village d’Ornasu, un
homme, Don Francescu Achili, vit cependant paisiblement sans se soucier
des évènements qui se déroulent dans la piève.
Don Francescu Achili n’a jamais
travaillé. C’est un marchand de sommeil. Ayant hérité,
il possède une grande maison de quatre étages qu’il a
transformée en appartements meublés dont la location lui
procure quelques revenus substantiels.
Petits, sans confort, aux murs qui
suintent et qui sentent la moisissure, ces logements
sont loués à des infortunés qui n’ont pas les moyens
d’aller ailleurs en ces temps difficiles. Achili lui-même
habite au rez-de-chaussée.
Presque en face de sa grande
bâtisse, il y a une petite maison dans laquelle habite
Teresa Bruni. C'est une vieille dame insomniaque et très
curieuse. La nuit, comme elle ne dort pas, elle passe
son temps à observer ce qui se passe chez son voisin
d’en face qu’elle connaît bien.
Depuis quelques temps, Teresa a
remarqué que Don Francescu a parmi ses locataires un individu très particulier.
Un jour, elle décide
d’aller lui raconter ce qu’elle observe depuis
quelques temps au troisième étage de sa bâtisse :
- « Il y a quelque chose de
très étrange dans le comportement de ton locataire du
troisième. Il fait des mouvements bizarres derrière la
fenêtre ; il arrive vers 23 heures et à 5h45, il éteint
la lumière et il part ; il ne dort pas la nuit, c’est
vraiment étrange ! »
Don Francescu ne s’inquiète pas
pour autant. Il connaît son locataire du troisième.
C’est Rinucciu Scapula, un homme sans histoire qui ne
fait pas de bruit et qui paie son loyer avec régularité
chaque fin de mois.
Mais Teresa
poursuit :
- « C’est peut-être un
espion ou un meurtrier qui se cache ! ».
Don Francescu finit par
se demander si sa voisine n’a pas un peu raison.
Il n’est cependant pas
désireux d’aller voir la police car ses affaires, il le
sait, ne sont pas très nettes, ses appartements sont à
la limite de l’insalubrité et de plus, il oublie d'en
déclarer les revenus qu'il en tire. Il va donc
se décider à intervenir lui-même.
Pour découvrir les
activités de Rinucciu Scapula, il va attendre l'arrivée
de ce dernier vers 23 heures et, muni d’une vieille
pétoire, il montre lentement les escaliers des trois
étages. En sueur et tremblant, il ouvre lentement la
porte de son locataire en utilisant le double de la clé
qu’il possède pour chaque appartement.
Rinucciu est là, debout,
près de la fenêtre. Autour de lui, Achili découvre des
plaques de zinc, des pots de peinture, une presse à
main, des pinces à linge accrochées à un fil. Tout cela
ressemble fortement à un laboratoire de fortune.
Scapula supplie
son propriétaire de ne pas tirer, qu’il n’a rien fait de
mal.
Achili le somme
de s’expliquer et Scapula n’oppose aucune résistance.
Il lui explique qu’en
réalité il n’est qu’un faux monnayeur qui vient la nuit
pour fabriquer des faux billets pour les écouler le jour
dans une autre région.
Sur la presse à main, Achili remarque qu’il y a un billet de 1000 francs
encore humide et constate que ce billet est
particulièrement bien imité.
Scapula lui assure
qu’il est le meilleur dans son domaine et l’engage même à
prendre les trois billets de 1000 francs qu’il
décroche des pinces à linge sur du fil tendu en travers
de la pièce :
- « Si demain un
commerçant ou la banque de France vous refusent un seul
de ces billets, je ne m’appelle plus Rinucciu Scapula. »
Achili, attiré par les
billets décide de tenter l’expérience et le lendemain, il se rend
d'abord chez un commerçant qui lui rend la monnaie sur 1000
francs sans rien remarquer de particulier. Il se rend
ensuite à la banque de France :
- "Regarder, j'ai
l'impression que ce billet de 1000 francs est faux."
La banque examine son billet sans trouver à redire et le lui échange contre
une somme équivalente en petites coupures.
Très satisfait, le lendemain, Achili
retourne voir son locataire et lui propose une
association :
- « Je vous loge
gratuitement et nous faisons part égale, 50/50. Si vous
refusez je vous dénonce !»
Bien entendu, compte
tenu de ses activités, Achili n’a aucune envie de
dénoncer son locataire ; mais le bluff fonctionne et Scapula accepte la proposition
sans sourciller.
- « Combien pouvez vous
fabriquer de billets par jour » demande Achili.
- « Deux à trois billets
maximum avec cette presse à main » répond Scapula.
- « C’est bien peu !, que
vous faudrait-il pour en produire plus ? » lui demande Achili.
- « Une presse hydraulique,
mais elle coûte dix millions de francs et c’est un
investissement trop lourd que je ne peux pas me
permettre ».
De retour chez lui,
Achili se met à réfléchir. Attiré par l’appât de
l’argent facile et par l’idée de devenir rapidement
riche, il décide de venir en aide à celui qui va faire
sa fortune et il fait rapidement le compte de
toutes ses économies qui atteignent un peu plus de 5
millions de francs, mais hélas, ce n'est pas assez.
Alors, il a une idée. Il décide
d’aller voir sa voisine, Teresa Bruni, en se
disant que comme elle est très cupide et radine, çà
pourrait l’intéresser.
Après lui avoir tout
raconté, il lui propose de s’associer avec lui pour
pouvoir payer les 10 millions de la machine et de
partager en trois les bénéfices.
Teresa accepte et donne
les 5 millions de francs manquants, soit toutes ses
économies, à Achili qui va aussitôt les remettre au
faux-monnayeur en le pressant d’aller acheter le
matériel nécessaire à la fabrication des faux billets.
Scapula prend les 10
millions et part. C’es à dire qu’il disparaît
définitivement laissant à leurs illusions le marchand
de sommeil et sa cupide voisine.
Toute cette mise en
scène étudiée n’était en fait qu’une belle arnaque que
pratiquait régulièrement Rinucciu Scapula.
Si la Banque de France
avait accepté le billets de 1000 francs, c’est tout
simplement parce qu'il
était vrai.
Ces 3 billets n’avaient représenté pour
l’arnaqueur qu’un investissement de 3000 francs qui
lui avait rapporté au final 10 millions de francs. Une belle
opération !
Arrêté par la police
quelques mois plus tard pour des délits mineurs,
Rinucciu Scapula
raconta avec fierté toute son histoire de faux billets
qui étaient vrais et bien sur, il ne put être qualifié
de faux-monnayeur.
Don Francescu Achili et Teresa
Bruni, ne purent porter plainte car tous deux
avaient bien des choses à se reprocher.
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