Il était une
fois en Castagniccia, un cochon qui s'appelait Porcafonu
car il parlait. Il était beau comme...un cochon
et très intelligent !.Il était cochon par sa mère et
sanglier par son père. Un beau jour de décembre, las de
voir ses frères mourir dans les plus atroces souffrances
sous la lame des paysans insensibles à leurs cris
d'agonie, le cochon décida de tenir un concile et
rassembla tous les porcs maestri des campagnes
environnantes. Même leurs cousins les sangliers avaient
été conviés à ce rassemblement historique.
"Dieu, la
haut dans le ciel, ignore notre souffrance et ne voit
pas le désir
frénétique de ces hommes qui nous égorgent même le jour
de noël quand naît l'enfant Jésus !. Ils nous transforment en
figatelli, coppa et lonzu.
Je vais donc aller le trouver pour lui faire part de nos
doléances à tous. Pour cela, je vais donc me laisser tuer".
Un vieux sanglier revendiqua l'honneur de mourir pour
cette noble cause et se porta volontaire à sa place. Un
grognement unanime s'éleva dans l'assemblée émue par
tant d'abnégation. Il s'en alla donc du coté de Valle
d'Alesani où l'attendaient les chasseurs du canton.
Au premier coup de fusil, il s'effondra et son âme
quitta son corps de sanglier pour s'élever lentement
vers le ciel.
Il frappa à la porte du Paradis et Saint Pierre vint lui
ouvrir pour le conduire non pas devant Dieu qui était
occupé, mais devant Saint Martin auquel il refusa
catégoriquement de parler, se montrant même
particulièrement insolent: "j'ai dit que je voulais
parler à Dieu et à personne d'autre!".
Cette attitude eut pour effet de mettre Saint Martin
très en colère. Il annula sa mort et le renvoya sur
terre.
Avant d'être chassé le vieux sanglier dépité s'écria: "U
liamu un'hè un santu, fa miraculi pur tantu!"
(le fumier n'est pas un saint, il fait pourtant des
miracles).
De retour sur terre, il raconta son aventure à une
assemblée médusée par la rapidité de sa mission.
Porcafonu, le cochon intelligent, grogna à plusieurs
reprises; il fallait faire vite car les fêtes de fin
d'année approchaient... Ce matin de Noël, Saint Pierre affolé
courrait dans tous les sens. Des milliers d'âmes de
cochons, avec à leur tête, celle de Porcafonu,
déposaient leurs excréments devant la porte du Paradis
et une odeur pestilentielle rendait l'air irrespirable.
Saint Martin apparut bientôt rouge de colère: "Que
voulez-vous, bande de porcs ?!", s'écria-t-il. "
Nous voulons être reçus par Dieu et non par une seconde
main, sinon, nous continuerons à répandre notre fumier
devant votre porte!". Saint Martin en conclut qu'on
ne pouvait pas négocier avec les Corses.
Au bout du troisième jour, le Diable entra dans la danse
et se moqua de voir le Paradis dans une si belle merde.
A la fin du cinquième jour, les paysans Corses, en bas
sur la terre, voyant leurs cochons faire la grève de la
faim, appuyèrent de leurs prières cette manifestation
porcine sans précédant tant et si bien que Dieu eut
connaissance de l'émeute et c'est Saint Antoine qui
annoncera la nouvelle: Dieu allait recevoir les
émeutiers.
Pour éviter la confusion, une délégation conduite par
Porcafonu et constituée d'un porc par village présenta
ses doléances: Les cochons voulaient être respectés en
tant que tels, ils souhaitaient mourir dignement et sans
souffrances.
Dieu promit que leurs voeux seraient exaucés, il nomma
Saint Antoine, qui devint San Antone di u porcu,
comme protecteur de la race porcine et décréta que tous
les cents ans, à la Saint Jean, un cochon désigné par
Porcafonu, sera chargé de rendre un homme heureux et
riche.
Les représentants étant tous satisfaits des mesures
prises par Dieu, ils se retirèrent et une odeur de
maquis sauvage emplit de nouveau le paradis.
L'année suivante, à l'approche des fêtes de la Noël, les
tueries des cochons recommencèrent et Porcafonu, d'en
haut du ciel observait la boucherie. Il allait être
difficile de trouver un élu au milieu de tout ce
lascia core. Mais que faisait donc San Antone di
u porcu ?.
Après avoir longtemps surveillé les villages et les
hommes, il vit -et n'en crut pas ses yeux- un petit
homme qui ne tuait pas les cochons et ne les mangeait
pas. "c'est donc lui qui sera l'élu!",
decréta-t-il.
Un soir, alors que le petit vieux était au coin du feu
et ne grillait pas de figatellu, il entendit comme une
sorte de grognement. Il se leva et ouvrit la porte.
Devant lui se tenait le cochon qui parlait: "Je suis
Porcafornu, le Dieu des cochons, j'ai décidé de faire de
toi un homme riche parce que tu ne manges pas de cochon".
Le petit vieux manqua de s'évanouir, puis il se
ressaisit; pourquoi refuser de croire aux miracles ?.
"Je ne mange pas de cochon parce que je suis Juif !".
Porcafonu, agacé, poursuivit: "Au hameau de Bonicardo,
près de funtana di moru, il y a un trésor que les maures
ont enterré après une terrible bataille. Tu trouveras ce
trésor et tu deviendras très riche".
Le petit homme refusa, il ne voulait pas devenir riche
pour attiser la convoitise du voisinage et il avait
assez de malheurs comme cela. Porcafonu dut se mettre en
colère; il insista tant et si bien que le brave homme
décida d'accepter mais à la seule condition que sa
richesse s'accompagne aussi du bonheur qui jusque là lui
avait fait défaut. Le cochon accepta, il fit ses
dernières recommandations et disparut de la terre pour un
siècle.
Le petit homme trouva le trésor, il devint très riche et
épousa una paisana qui lui donna sept
enfants. Il passa sa vie à faire le bien autour de lui.
Il achetait chaque année des cochons qu'il ne tuait pas
et répondait en souriant, à ceux que le mystère
intriguait: " Les cochons ont fait mon bonheur et je
veux qu'ils meurent de leur mort naturelle".
Lorsque la mort l'emporta à l'age de 98 ans, le
grognement des porcs résonna dans toute la
campagne comme un dernier adieu. |