Vers la
fin du XIX ème siècle, un matin de ce 24 décembre
semblable à tant d’autres, la neige tombait en abondance
sur la Castagniccia. Au couvent d’Alésani, par la
fenêtre de sa chambre, prete Francescu, homme d’une
infinie bonté et d’une grande sagesse, contemplait
silencieux une nature grandiose et féerique qui
s’étalait par delà les monts et les vallées dominées par
la majesté du San Petrone.
La neige
recouvrait les feuilles mortes amassées au pied des murs
de ce couvent chargé d’histoire. C’est ici qu’un jour de
1755, la Corse s’était donnée pour capo générale
le grand Pasquale De Paoli qui devait affranchir son
pays du joug génois. Depuis ce
temps, la Corse n’avait presque pas changé. Certes, des
routes avaient été construites, les premiers navires à
vapeur accostaient au port de Bastia, les plaines du
littoral commençaient à se développer, l’impératrice
Eugénie était venue à Ajaccio avec son fils pour la
célébration du centenaire de la mort de Napoléon, l’on
projetait même, véritable révolution, de construire un
chemin de fer ; mais cependant, l’île demeurait encore à
travers ses drames et ses révolutions, sauvage, pauvre,
déchirée par ses passions.
Prete
Francescu était plongé dans ses pensées ; il imaginait
un monde idéal et irréel à la fois, peuplé des fantômes
des héros que la légende avait mystifiés. Ils étaient
tous là, près de lui et son cœur se serrait car il
voyait avec lucidité le passé sombre, le présent
incertain et l’avenir préoccupant pour ce petit peuple
qu’il aimait tant.
Le jour
s’était maintenant levé et un soleil radieux faisait
scintiller la neige qui recouvrait les branches des
châtaigniers centenaires. Au milieu de ce profond
silence, troublé de temps en temps par le glapissement
d’un renard affamé, prete Francescu crut entendre comme
un chant qui allait en s’amplifiant, puis les voix des
hommes et des femmes qui avaient vécu sur cette terre où
ils avaient peiné et souffert, y avaient connu
l’espérance et la désespérance. La résistance de ce
petit peuple paisible devenu belliqueux à force de voir
ses terres convoitées, pillées par des envahisseurs
venus de la mer, contraint de se défendre et cependant si
heureux de vivre l’émerveillait. Le souvenir des
anziani, de ces antichi fiers et courageux,
balaya son fatalisme.
En entendant
carillonner la cloche du couvent, il se rappela soudain
qu’il devait prononcer l’homélie.
L’église
était déjà bondée. La foule des paisani était
accourue des villages environnants. Les hommes avaient
revêtu leurs habits de velours côtelé ceints d’une
épaisse et large ceinture rouge ; ils tenaient leur
chapeau à la main et les femmes, portant la faldetta
s’étaient assises sur les bancs des premiers rangs.
Le Saint
homme prit place devant l’autel. Il savait que ce
noël-là serait comme tous les Noëls passés et à venir,
porteur de l’éternel espoir du genre humain. De l’espoir
aussi que ses compatriotes pourraient enfin trouver la
paix de l’esprit en mettant un terme à la soif de
pouvoir qui les habitait et qui les déchirait en en
faisant parfois de prétentieux barbares.
Alors, avant
d’adresser ses prières au dieu tout puissant, il entonna
confiant le Dio vi salvi Regina qui fut repris en
cœur par les fidèles. |