CHIARA, LA FÉE DE BRANDO
Selon une légende très
ancienne, à Marmoraghja, au nord de Lavasina et en
bordure de mer, une grotte ornée de stalactites serait
habitée par une fée.
Voici son histoire :
Il y a bien des siècles, une fée nommée Chiara
avait élu domicile à Brandu, dans le Cap Corse. Elle
résidait dans la grotte de Marmuraghja, une vaste et
profonde caviée aux parois entièrement décorées de
cristaux translucides, de stalagmites. Chiaraa, qui pouvait changer d’apparence
selon son humeur et ses occupations, voyageait souvent
dans toute la région et même beaucoup plus loin.
Ainsi, de temps en temps, il lui arrivait de franchir la
mer pour aller, au-delà des îles de
l’archipel toscan, rendre visite à ses cousines de la
terre ferme, les fées italiennes. Pour se déplacer,
Chiara, qui appréciait la tranquillité nocturne,
aimait se transformer en chauve-souris... La plupart du
temps, elle attendait donc la nuit pour aller et venir
à sa guise, mais il lui arrivait aussi de voleter le
jour. C’est ainsi qu’elle pouvait se tenir au courant de
tout ce qui se passait sur son domaine...
Dans la montagne surplombant les hameaux de Brandu,
trois frères orphelins et très pauvres, habitaient une vieille
maisonnette à demi ruinée. Pour vivre, ils ramassaient
de la neige en hiver qu’ils stockaient dans de petites
constructions rondes en pierres sêches que l'on nomme aujourd'hui les glacières de Brandu.
Là, bien isolée, tassée, comprimée, la neige se changeait peu
à peu en glace. La belle saison revenue, les trois frères
taillaient cette glace en morceaux et descendaient
jusqu’à la côte pour la vendre dans les marines.
Lassés de cet épuisant labeur comme de leur vie
misérable, Orlandu et Francescu, les ainés,
voulaient, par tous les moyens, améliorer leur sort.
Souvent, ils s’emportaient et pestaient contre le cruel
destin et la chance qui, disaient-ils, ne les avaient
jamais favorisés. En colère, ils devenaient violents
et, quelquefois, s’en prenaient même à leur jeune frère
Mariu, gentil et rêveur, qu’ils accablaient de
pénibles corvées. Un jour qu’il bêchait leur petit
champ, Mariu découvrit un vieux coffret rempli de
dizaines de pièces d’or...
Fou de joie, il se précipita immédiatement au-devant
de ses frères en leur montrant le fabuleux trésor qui
garantissait leur fortune à tous les trois. Mais les
deux plus grands étaient sournois et s’emparèrent tout
de suite du coffret. Puis, en partant vers leur
maisonnette pour y compter les pièces, ils demandèrent
à Mariu d’aller à la fontaine chercher de l’eau fraîche
pour célébrer l’évènement. Le jeune frère méfiant,
fit semblant d’obéir. Après avoir fait quelques
mètres, il se cacha derrière un gros buisson de bruyère
puis il revint en arrière et, à pas de chat, suivit
ses deux grands frères. Comme Orlandu et Francescu
voulaient le trésor pour eux seuls, ils ne tardèrent
pas à imaginer, à voix basse, le malheureux accident
qui les débarrasserait de leur cadet. Cette troisième
part du trésor ne devait pas leur échapper... Il
suffisait de faire disparaître Mariu dans un trou...
Et la montagne n’en manquait pas... Les deux aînés
décidèrent d’agir sans attendre pour pouvoir profiter
plus vite de leur or. Mariu avait pu suivre la
conversation. Après avoir compris ce qui l’attendait,
il préféra alors prendre le maquis et grimpa en
courant se cacher vers les sommets. Là, recroquevillé
dans un petit abri-sous-roche, seul et triste, il passa
la nuit à pleurer. Le lendemain matin, alors qu’il
reprenait le chemin de la maisonnette, persuadé que ses
deux frères étaient déjà partis dépenser l’or en
ville, il rencontra une vieille dame qui semblait
l’attendre, assise sur un rocher. Elle salua Mariu
gentiment, lui demanda de lui raconter son histoire puis
l’invita à la suivre jusqu’à une grotte où,
avait-elle dit, il pourrait se cacher pendant quelques
jours. Le jeune vendeur de glace accepta et se mit à
l’abri. Les deux frères aînés, eux, n’avaient pas
quitté Brandu et avaient repris les recherches pour
éliminer définitivement leur cadet.
En chemin, ils croisèrent la vieille dame à qui ils
demandèrent si elle avait vu le jeune homme. Elle
répondit que oui et que celui-ci se cachait dans une
grotte. Puis elle leur montra la cachette. Orlandu et
Francescu s’y engouffrèrent sans hésiter mais, à
peine entrés, la grotte se referma sur eux et une pluie
de pièces d’or, tombée du plafond, les recouvrit
jusqu’à ce que mort s’ensuive... Tranquillement, la
vieille dame s’en alla ensuite rejoindre Mariu qu’elle
avait installé dans une autre cavité naturelle,
située non loin de là. Parvenue devant l’entrée, elle
l’appela et il sortit pour la rejoindre. Quelle ne fut
pas alors sa surprise ! Il avait bien reconnu la voix de
la vieille dame mais devant lui se tenait une charmante
jeune fille, vêtue d’une somptueuse robe noire brodée
de fils d’argent. « Tu ne me reconnais pas... C’est moi,
lui dit- elle en riant aux éclats... Eh oui, c’est bien
moi la vieille dame... Sache que je suis Chiara la fée,
et que je peux prendre bien des apparences... J’ai été
émue par tes sanglots dans la montagne et j’ai écouté
la plainte sincère de ton cœur... Tiens, reprends le
coffret que tu as trouvé... Tes deux frères l’ont
laissé avant de partir pour la ville... Je les ai vus
sur le chemin et ils m’ont demandé de te le remettre...
Tu vois, tout s’arrange... Tu peux rentrer chez toi
maintenant, tu n’as plus rien à craindre... » Mariu,
ébahi, n’en revenait pas... En si peu de temps, il
avait vécu de telles péripéties... Il avait
rencontré Chiara, la grande magicienne et ses deux frères,
au fond, n’étaient pas si méchants... Il pouvait
espérer une meilleure existence maintenant... Il était
si heureux... La fée, qui n’avait rien dit du sort
tragique d’Orlandu et Francescu, demanda à Mariu de
conserver le secret absolu sur leur rencontre. Ensuite,
elle lui dit au revoir et disparut instantanément dans
un tourbillon de brume irisée. Enchanté, le jeune
vendeur de glace regarda un moment le coffret rempli de
pièces d’or qui luisaient sous la caresse du soleil
puis se mit en route pour regagner sa maisonnette en
sautillant de joie... Malgré la lumière, une
chauve-souris voletait au-dessus de lui... Chiara, la
Fée de Brandu avait fait justice...
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