Ce matin Simonè s’était levé avant
son heure habituelle.
Tout le monde dormait encore. Dans
la maison silencieuse, ses pas faisaient craquer les
marches de l’escalier de bois qu’il descendait
lentement. La bonne odeur du café qu’il préparait près
de la cheminée, apaisait un peu son angoisse mais ne le
libérait pas pour autant du poids de cette
indéfinissable douleur qui le tourmentait.
Il tourna doucement la clé dans la
serrure. Dehors, le jour se levait sur l’un de
ces derniers matins d’automne un peu frileux qui annonçaient l’hiver
prochain.
Sur le chemin de terre qui
serpentait sous les châtaigniers, Simonè laissait ses
pas le guider.
Derrière lui, le village avait maintenant
disparu. L’odeur du maquis était emprunte de nostalgie,
tous les parfums de son île s'éveillaient tandis que les premiers
rayons de soleil perçaient à travers les branches des
arbres aux silhouettes décharnées.
Au bout d’une longue marche, il
s’assit sur une pierre. Ses yeux fixant un point
imaginaire, il laissa ses pensées s’envoler à travers le
silence profond de l'apaisante nature qui l’entourait.
« A quoi rêves-tu, toi qui
semble si triste ? ». La voix douce et calme, était
celle d’une dame qui s’avançait vers lui, auréolée d’un
léger nuage de brume ; c’était Stella, une fée dont tous
les habitants du village ont parlé sans l’avoir jamais
vue. Sans s’émouvoir, comme s’il l’attendait, Simonè lui
sourit et lui répondit : « Je ne sais pas à quoi je
pense, je ne sais pas ce que je fuis, mais parfois, je
voudrais être ailleurs, pour n’être plus ce que je suis ».
« Ecoute, tu n’a jamais cessé
de croire en moi » dit Stella, « pour te
remercier de ta fidélité, je voudrais aujourd’hui
exaucer tes vœux les plus secrets, quels sont-ils ?
»
Simonè, après avoir un instant
réfléchi répondit : « Souvent la nuit, je rêve que je
vole, je voudrais être un oiseau ».
« Quel genre d’oiseau ?»
demanda-t-elle. Il répondit aussitôt: « un’ agula »!
Aussitôt, il se vit s’élevant au
dessus des arbres, montant vers le soleil frémissant,
tournoyant avec une liberté enivrante au dessus des
châtaigniers. De son regard perçant il scrutait le
village qui se réveillait lentement. Son ombre
silencieuse planait au dessus des toits des maisons et
il pouvait entendre tous les bruits et les voix. Il
voyait les hommes si minuscules depuis l’immensité du
ciel, qu’il trouva inutile et ridiculement vain de les
voir autant gesticuler ; il vit sortir de la maison son
frère, il l’entendait discuter avec ses sœurs… ils
étaient inquiets, ils se demandaient où il avait bien pu
aller, puis ils cessèrent de s’inquiéter et se prirent à
en rire.
Et puis, l’enchantement prit fin.
Il retourna à son point de départ et se posa avec un
léger bruissement d’ailes.
Stella lui offrit de réaliser un
second vœu : « je voudrais être le vent »
« Quel genre de vent ? »
demanda-t-elle. Il dit: « Le Libecciu »!
Aussitôt, son souffle devint
puissant, les feuilles des arbres se mirent à trembler
et les branches pliaient sous ses accès de colère. Il
poussa les nuages qui s’amoncelaient dans le ciel et
dirigea son souffle vers le village, passant en rafales
au dessus des maisons faisant claquer les volets,
emportant le linge qui séchait encore dans les jardins,
ôtant aux hommes leur « baretta » et soulevant,
espiègle, les robes des filles. Il s’amusait de voir
combien la nature humaine était fragile et impuissante
malgré son orgueil démesuré. Il vit son frère et ses
sœurs se mettre à l’abri et emporta leurs rires dans un
tourbillon.
Et puis, le vent devint murmure et
se calma.
Simonè regarda Stella. Elle posa
la main sur son épaule et lui offrit de réaliser un
dernier vœu mais il refusa car il était épuisé par tout
ce qu’il avait ressenti à travers ces deux expériences.
Alors la fée, n’insista pas et le raccompagna jusqu'à l’entrée
du village puis elle lui prit la main avant de
disparaître.
Au fil des jours, Simonè devenait
de plus en plus silencieux. Il passait par de longs moments de
solitude, faisait de longues promenades dans la nature,
restait de longues heures immobiles derrière la fenêtre
de sa chambre, perdu dans ses pensées, ne s’intéressait plus à rien et
n'avait plus d'appétit. Son frère et ses sœurs étaient tristes car
ils étaient devenus pour lui des étrangers qui ont
toujours refusé de le comprendre.
Un matin, sans aucune explication,
aux premières lueurs de l’aube, il s’en alla .
Il se souvenait de cette tour
Génoise qui surplombait la mer et il marcha vers elle de
longues heures, à travers des chemins escarpés, à travers
la montagne, sous le soleil d’avril de ce nouveau
printemps. Quand il arriva, Stella était là qui
l’attendait, souriante et lumineuse de beauté. Il lui
prit la main et avec elle, il grimpa tout en haut de la
tour, tandis que le « libecciu » soufflait sans
discontinuer.
Debout sur un créneau, touchant le
ciel et dominant la mer dont les vagues se brisaient
avec fracas sur les rochers au pied de l’édifice, Simonè
était heureux. Il entendit la voix de Stella lui
chuchoter : « Tu es un’agula, tu peux voler ».
Alors, sans hésiter, il ferma les yeux pour la dernière
fois et bascula dans le vide pour s’en
aller rejoindre au bout de sa chute cet ailleurs dont il avait tant rêvé. |