Giacomo Pietro (Jacques Pierre) Abbatucci est né à Zicavo le
07 septembre 1723. Il est le père de Jean-Charles Abbatucci
(1770-1796) dont la statue, exécutée par Dubray, orne la place
éponyme à Ajaccio.
A l'âge de dix ans, G-P. Abba.tucci est
amené par son frère aîné, déjà capitaine à 28 ans, à Brescia où son
père est gouverneur. Il entre au collège des nobles, dirigé par
des jésuites et y fait de brillantes études ; Il poursuit ensuite
ses études à la faculté de médecine de Padoue. Reçu docteur à 23 ans, il quitte
l'Italie à la mort de son père en 1750.
Arrivé à Zicavo, il entre de plain-pied dans
les revendications politiques défendues par sa famille qui se compose
d'opposants farouches aux génois. Un de ses cousins, le prévôt Bucchini, prêtre fanatique et principal soutien de Théodore, a été
roué de coups à Ajaccio du temps de Maillebois.
Après l'installation de Cursey en Corse en
remplacement de Maillebois, le clan Abbatucci, en partie décimé, a
tendance à se rapprocher de la France, d'autant plus que le père de
Giacomo-Pietro a été nommé commissaire commandant de la piève
de Tallano par Cursey.
Au lendemain de l'assassinat de Gaffori,
Abbatucci est élu lieutenant-général des milices des quatre pievi de
l'Ornano, d'Istria, de la Rocca et du Talavo à la consulta de
Petreto (1753), tandis que Paoli est élu général de la nation Corse au
couvent de Saint-Antoine de Casabianca le 14 juillet 1755.
La guerre de sept ans débute
à l'été 1756 par une nouvelle occupation des troupes françaises en
Corse. La flotte de Louis XV s'installe
dans tous les présides génois tandis que les "rebelles" s'emparent de
l'île de Capense à Centuri, de Rogliano et de Macinaghju.
Lors d'une consulta tenue au couvent d'Ornano en
1763, Abbatucci est élu lieutenant-général. Paoli, qui a
l'air d'approuver cette élection, la voit pourtant d'un mauvais oeil.
Craignant sa montée en puissance et sa popularité croissante, il le
fait arrêter et enfermer au Palazzu Naziunale de Corti en novembre
1763. Pour donner le change aux populations furieuses, Paoli
leur affirma que leur général avait été envoyé en mission.
Après plusieurs tractations, Paoli accepte de le libérer en mai 1764
à condition qu'il quitte la Corse dans un délai de dix jours et pour
trois ans ; mais aussitôt libéré et peu enclin à obéir aux ordre de
son compatriote, Abbatucci retourne à Zicavo qu'il acceptera pourtant de
quitter pour la Toscane, après quelques affrontements, en mars 1765.
Alors qu Boswell quitte la Corse en novembre, Abbatucci, de retour en Corse, débarque en secret à Solenzara, non pour fomenter
contre Paoli mais pour vivre tranquillement à Zicavo sa vie de
Médecin, laissant vaines les inquiétude de ce dernier qui acceptera même,
le 06 décembre 1766, d'être le parrain de son fils et de le nommer
commandant des provinces du Sud.
Gênes qui voyait avec terreur le caractère grave que prenait la résistance
en Corse et se sentant menacée dans ses possessions, a de nouveau
recours à Louis XV.
A la suite du traité de Versailles, le 30
juillet 1768 les troupes de Marbeuf marchent en direction du col de
Teghime et s'emparent le lendemain de Patrimonio.
Pour faire face à
cette agression, le 18 septembre à la consulte de Corti, Paoli nomme
comme lieutenants Abbatucci et Francesco Gaffori.
Le 09 octobre, Abbatucci remporte l'éclatante victoire de Borgo face à Chauvelin et
contraint Narbonne à se retirer.
A la consulta de Saint-Antoine de Casabianca
Paoli tente de mobiliser ses troupes pour s'opposer au comte de Vaux
nommé commandant en chef en remplacement de Chauvelin.
Le 08 mai, à la désastreuse et sanglante bataille de Ponte-Novu, les
troupes indisciplinées des Corses sont écrasées par les Français.
G-P. Abbatucci accomplit encore quelques brillants faits d'armes
contre l'armée du comte de Narbonne mais il se rend bien compte que
la lutte est devenue impossible. Il se rend alors dans le Fiumorbu
près de Paoli puis il protège sa retraite en l'accompagnant jusqu'à
Portu-Vecchiu où Paoli s'embarque le 13 juin sur une frégate anglaise.
Abbatucci voulut suivre le général en chef des Corses dans son exil
volontaire mais Paoli s'y opposa en lui disant : "Vous avez une
famille, des petits-enfants, restez ; vous pouvez être utile à la
patrie, même en vous soumettant au roi de France ; il nous faut des
hommes fermes et loyaux pour combattre les traîtres qui nous ont
abandonnés lâchement".
Après avoir quitté Paoli, Abbatucci se rend à
Ajaccio pour faire allégeance, en son nom et en celui de sa piève,
aux représentants du Roi. Peu après, Marbeuf, qui voit en lui un
chef de clan à l'influence locale assez grande pour attirer leurs
partisans, écrit à Choiseul : "Abbatucci a de l'esprit et du crédit. Je ne le connais pas trop, mais il faut
quelqu'un d'Au Delà des monts qui ait prépondérance ; il a tenu tête à
Paoli avec cette partie [...]. Je
m'applique à le connaître et à le gagner". Le 1er septembre
1770, Louis XV nomme Abbatucci capitaine de dragons à la nouvelle
légion Corse, avec rang de lieutenant-colonel.
Capitaine d'infanterie au rang de
lieutenant-colonel, élu député de la noblesse aux états de Corse en
1770, Gio-Pietro Abbatucci n'est pas resté longtemps francophile.
Depuis 1774, Marbeuf le craint et lui reproche son manque de
fermeté dans la mission de "pacification" du Fiumorbo qu'il lui a
confié.
Dès la première réunion des états, fidèle aux
institutions de l'île, Abbatucci s'oppose vigoureusement à
l'abrogation des statuts dont Gênes avait doté la Corse et à la
politique d'assimilation voulue par Versailles qu'il trouve
exagérée. Aux état généraux de 1777, parait un pamphlet antifrançais
intitulé "La Corsica ai suoi figli" dont Abbatucci
est fortement soupçonné d'en être l'auteur.
En 1778, le comte de Marbeuf et le comte de Narbonne se disputent
le gouvernement de la Corse. A l'assemblée des trois états,
Abbatucci se déclare pour Narbonne.
Marbeuf, qui espérait être élu à
l'unanimité lui voue dès lors une haine implacable et saisi
l'occasion d'accomplir sa vengeance en se servant comme prétexte
un meurtre commis dans
le Talavo. Il met alors en place une odieuse machination. Abbatucci, accusé de faux témoignages et de subornation de témoins
est arrêté. Emprisonné, soumis à la question,
torturé en place publique, il est condamné le 05 juin 1779 à
neuf mois de galère et à la marque au fer rouge que le bourreau
refusera de lui appliquer.
Les juges étaient au nombre de sept, dont
trois continentaux : bassement soumis à la volonté du comte de Marbeuf et de l'intendant Boucheporn,
ces hommes sans conscience frappèrent en aveugles. Un Corse se
joignit à eux : c'était Massei, dont le fils avait péri comme ayant
tenté d'empoisonner Paoli, et qui, dans cette circonstance, voulut
venger la mort de son enfant contre l'un des plus chauds défenseurs
de la liberté.
Toute la population réunie à Bastia proteste.
Les députés, des états généraux de l'île, les cinq évêques font des
remontrances pour obtenir au moins la suspension de l'exécution de
l'arrêt mais ils n'obtiennent rien. Le jour où la condamnation
doit être exécutée, toutes les boutiques sont fermées. La tension est vive et devant la crainte d'un soulèvement, Marbeuf fait embarquer précipitamment Abbatucci
sur un bateau qui le conduit au bagne de Toulon où il rejoint
Petriconi qui moisi au fond d'un cachot.
Louis XVI fut informé de ce méfait
judiciaire ; son conseil en fut saisi. Après un minutieux examen des
actes de la procédure, il y eut cassation et renvoi devant le
parlement d'Aix, qui reconnut l'innocence d'Abbattucci, et condamna
à mort le fauteur de cette monstrueuse machination. Abbatucci ne sera libéré que le 23 mars 1782 par
arrêt du Conseil du roi. Il ne sera pas cependant autorisé à revenir en Corse
car le Conseil supérieur de Bastia où siègent plus de Français que
de Corse s'y oppose.
Voilà comment la justice était administrée
en Corse sous l'ancien régime. Honneur aux trois magistrats corses
qui ne voulurent point tremper dans une pareille infamie ! Leurs
noms méritent d'être cités : ce furent MM. Stefanini (
François-Marie ), Belgodere de Bagnaja et Pierre Boccheciampe (1)
Le 17 juillet 1786, le parlement d'Aix le
reconnaît définitivement innocent et en septembre, seulement
après la mort de Marbeuf, il peut enfin rentrer en Corse. Réintégré
dans son grade, réaffecté au Provincial Corse, Abbatucci obtient du
Roi Louis XVI une indemnité en compensation de ses années de
détention et reçoit la croix de Saint-Louis.
Âgé de 68 ans, Abbatucci se retire de l'armée
active le 1er mars 1791 avec le grade de maréchal de camp et
continue son combat contre les génois qui menacent l'indépendance de
la Corse. à la tête des gardes de deux cantons corses. Cependant, en 1794, l'insurrection
Anglo-Paolienne qui s'organise fait peur au vieil Abbatucci qui
craint pour l'avenir de ses fils et malgré son long emprisonnement à
Toulon, il ne peut que refuser à Paoli son ralliement au Royaume
Anglo-Corse qui gagne du terrain.
A Zicavo le clan Abbatucci organise la
résistance; mais lorsque les Anglais chassés de Toulon par le jeune
Bonaparte le 19 décembre 1793, débarquent en Corse et bombardent
Bastia, ses partisans l'abandonne pour se rallier à Paoli. Isolé,
Abbatucci, est contraint de quitter Zicavo pour Calvi qu'il
participe à défendre contre les Britanniques pendant que
les partisans Paolistes saccagent et incendient sa maison et le
déclarent "infâme et traître à la patrie."
Après la capitulation de Calvi, Abbatucci rejoint
Marseille où Bonaparte le nomme en décembre 1795 (il a 72 ans)
général de brigade de l'armée d'Italie. Il en fera de même pour son
fils Jean-Charles qui sera lui aussi nommé en 1796 général de
brigade de l'armée du Rhin et qui sera tué à Huningue alors qu'il
n'a que 25 ans.
Mis à la retraite en septembre 1800 en raison
de son âge, Abbatucci se retire définitivement à Zicavo où il meurt
paisiblement le 17 mars 1813.