Honoré Gabriel Riqueti,
dit Mirabeau, est né le 09 mars 1749 à Le Bignon dans le Loiret.
Il est le descendant direct des familles Lenche et Porrata de
Morsiglia établis à Marseille au XVIème siècle.
Comme Dumouriez, Mirabeau fit aussi
l'expédition en Corse en tant que sous-lieutenant de l'armée du Roi.
Joueur, criblé de dettes, coureur,
indiscipliné, déserteur, son père, le marquis de Mirabeau, le fait
enfermer à l'île de Ré. C'est son premier apprentissage de
prisonnier d'État.
Au mois de mars 1769, le sous-lieutenant de
Pierre-Buffière (son père lui a donné le nom d'une commune de la
Haute-Vienne, une baronnie dont il est le dernier descendant) est autorisé par son père qui y voit là une occasion
inespérée de se débarrasser de lui, à se porter volontaire pour l'expédition de Corse.
Il n'a derrière lui que douze mois de vie militaire dont cinq passés
en prison. Son père dira de lui : "Je ne puis tenir plus
longtemps M. de Pierre-Buffière en cage, ni manquer l'occasion de la
Corse". Le 18 avril, celui qu'il appelle son pestiféré de fils est embarqué avec la
légion de Lorraine et son père est satisfait : "j'espère qu'il
crèvera ou deviendra honnête homme".
En Corse, Mirabeau n'eut pas lieu d'exercer
beaucoup sa bravoure, car son unité ne fut pas engagée dans des
combats d'envergure. Le seul engagement sérieux auquel il participa
fut le passage à gué du Golo sous le feu nourri des corses. Il fut
jugé par ses chefs comme un officier de mérite.
Bien que Victor Hugo ait dit en parlant de lui qu'il
était d'une "laideur grandiose et fulgurante", Mirabeau s'est
cependant aussi vaillamment conduit en amour si
l'on en croit ses cahiers manuscrits qui font état de ses conquêtes
en Corse : seize femmes en un an, la plupart dans la Casinca,
où après la guerre il fut l'hôte de Buttafoco. C'est à
Vescovato qu'il entreprit la rédaction d'une histoire de la Corse
dont le manuscrit, inachevé, fut détruit par son père qui continuait
à le détester.
Mirabeau eut aussi pour le peuple corse une
solide sympathie, ce qui était rare dans l'armée des conquérants. "A
l'état major, rapporte Dumouriez, paradaient de jeunes
étourdis qui prétendaient soumettre la Corse ; pour eux, les
Corses n'étaient que des canailles en peau de bique. Quant aux
officiers, ils regardaient les Corses comme des ramassis de paysans
qui devraient trembler et s'humilier lorsqu'ils ont l'honneur de
parler à un officier français".
L'attitude du jeune Mirabeau (il a vingt ans)
tranche sur cet amas de préjugés. Savait-il à ce moment que par son
"quadrisaîeul" Honoré Riqueti, du sang corse coulait dans ses veines
? En tout cas, il se mêlait à la population, essayant de parler
quelques mots de leur langue, étudiant et observant.
Le
26 juin 1769, il adresse une lettre à son ami le baron de Vioménil,
dont le texte va être publié en 1865 dans les colonnes de L’Aigle
Corse, un bimensuel édité à Bastia :
"Oui, la Corse, et ce sera toujours là mon opinion, est au nombre
de ces contrées qu’on ne peut parcourir avec indifférence ni étudier
sans intérêt (…)Tout ici rappelle ces longues luttes extérieures,
ces violents déchirements au-dedans, le caractère fortement empreint
d’une teinte de stoïcisme antique, et cet esprit de famille, qui se
confond avec le dévouement au pays, si bien qu’en défendant le sol
envahi, le Corse croit défendre en même temps son propre foyer,
tandis que dans d’autres contrées les habitants demeurent indécis et
irrésolus, dans l’espoir que le torrent de l’invasion n’arrivera pas
jusqu’à eux, jusqu’au comptoir, à la boutique, à la ferme, au
château, et que l’orage ira éclater ailleurs. Il n’en est pas de
même ici.
Le Corse grâce à une habile impulsion que Paoli lui avait imprimée
et à une fusion plus générale, plus sincère ne sépare plus sa cause
personnelle de celle du pays. Il se croirait considérablement
amoindri, si la patrie était moins forte ou moins respectée....
...
Quand je réfléchis que ce petit peuple, souvent écrasé, jamais
soumis, se redressait fièrement, même sous le joug
qu’appesantissaient sur lui la ruse et la force, je me demande s’il
n’aurait pas pu résister avec bien plus de facilité et de succès
contre l’agression étrangère. Qu’aurait-il fallu pour cela ? Qu’au
lieu d’être divisé en factions ennemies, il eût combattu comme un
seul homme ! (…) En définitive, toutes ces luttes insensées tournent
à l’avantage des tyrans étrangers. Heureusement Paoli y avait mis
bon ordre. Depuis sept ans, il n’y avait plus qu’un intérêt, qu’une
bannière, qu’un cri de ralliement, qu’un ennemi, qu’une aspiration :
l’indépendance ; qu’un malheur : la servitude"...
Le 30 novembre 1789, à la tribune de la
Constituante, la question Corse cristallise l'assemblée. Après la lettre des
Ajacciens et de celle des Bastiais, Christophe Saliceti se lève et
prend la parole : "Je demande qu'il soit rendu sur le champ un
décret par lequel il sera déclaré que la Corse fait partie de
l'Empire Français ; que ses habitants doivent être régis par la même
constitution que les autres Français et que dès à présent le Roi
sera supplié d'y faire parvenir et exécuter tous les décrets de
l'Assemblée nationale".
Puis Mirabeau monte à la tribune : "
Messieurs,après avoir rendu ce décret il s'en présente un autre qui
en est la suite nécessaire, et que j'oppose en ces termes :
l'Assemblée nationale décrète que ceux des Corses qui, après avoir
combattu pour la liberté, se sont expatriés, par l'effet et la suite
de la conquête de leur île, et qui cependant ne sont coupables
d'aucun délits légaux, auront dès ce moment la faculté de rentrer
dans leur pays pour y exercer tous leurs droits de citoyens
français, et que le roi sera supplié de donner sans délai tous les
ordres nécessaires pour cet objet".
Ceux qui tentent d'amender le texte pour en atténuer la portée se
voient cloués par la célèbre réplique du tribun : "J'avoue,
Messieurs, que ma première jeunesse a été souillée par une
participation à la conquête de la Corse ; mais je ne m'en crois que
plus étroitement obligé à réparer envers ce peuple généreux ce que
ma raison me présente comme une injustice... on dirait, Messieurs,
que le mot de liberté fait ici sur quelques hommes la même
impression que l'eau sur les hydrophobes...".
Les deux projets sont adoptés, déchaînant en Corse, un courant
général de fêtes et de manifestations populaires.
Dans une de ses lettres à Sophie, sa
maîtresse (de plus de cinquante ans son aînée), Mirabeau écrit avoir
rencontré le légendaire curé de Gagno, Circinellu (*) et
aurait même eu une aventure avec une de ses nièces.
Voici son récit : "La plus singulière
aventure que j'eus dans ce voyage ce fut avec le célèbre curé de Gagno retiré à ce qu'on appelle La Munia avec deux de ses nièces et
soixante paroissiens, parce qu'il n'avait pas voulu prêter serment
de fidélité au roi. Il attendait l'occasion de passer à Livourne, ce
qu'il ne pouvait en ce moment parce que nos chebecks couraient sur
la côte et il m'expliquait tout cela très noblement et très
raisonnablement. Il était fort brave et fort intelligent ; il avait
battu deux ou trois de nos détachements et délivré quelques
prisonniers qu'on avait la barbarie de faire dans les familles dont
quelques membres avaient disparu, afin de répondre de la conduite
des fugitifs. il se maintint longtemps dans cette situation bizarre.
Ses nièces étaient fort jolies, habillées en hommes comme le reste
de la troupe.
J'errais dans le Fiumorbo par un temps
d'Orage ; un de mes Corses me propose de chercher le curé de Gagno
dont il connaissait le poste actuel dans le canton; je ne demandais
pas mieux, ne fut-ce que par la singularité du fait. Nous le
trouvâmes bien posté, faisant bonne garde. Il nous donna à souper
très frugalement, mais avec du bon vin et à coucher sur du feuillage
dans sa cabane où il était seul, lui et ses nièces à passer la nuit.
J'y fut admis seul aussi. Le curé que je trouvais homme de coeur et
d'esprit avait ouï parler de moi, car il entretenait une
correspondance très étroite dans le pays et ce sont ces liaisons ,
immanquables dans une île où tout est parent, qui nous donnaient
tant de peine à réduire ce que nous appelions les bandits. il me
parla avec beaucoup de confiance, il me trouva le coeur corse, c'est
à dire très plein de l'amour de la liberté..."
Mirabeau meurt à Paris, le 2 Avril 1791 à la
suite d'une maladie que certains attribuent à un empoisonnement,
d'autres à sa vie de débauché. Le 4 avril, après une cérémonie
religieuse dans l'église Saint-Eustache, son corps
est transporté en grande pompe au Panthéon.; mais en novembre 1792,
éclate l'affaire de l'armoire de fer. La découverte d'une
correspondance secrète de Louis XVI révèle que Mirabeau avait pris clandestinement contact avec le
roi et sa cour. Espérant être ministre de la monarchie
constitutionnelle, il avait prodigué ses conseils et donné des
informations. Un comité est chargé d'examiner l'accusation. La
Convention décide d'exclure sa dépouille du Panthéon et le 12 septembre
1794, elle y est remplacée par celle de Marat. Son corps est transporté au dépôt mortuaire du grand
cimetière de Saint-Étienne-du-Mont, très voisin du
Panthéon, pour y être inhumé. En 1798,
sa sœur fit procéder à son exhumation et à une nouvelle inhumation
au cimetière de Clamart de manière anonyme.
Malgré des recherches entreprises en 1889 son corps ne sera pas retrouvé.
A
Ajaccio, on n'apprend la mort de Mirabeau que le 19 avril. La
Société du club patriotique des Jacobins (à laquelle sont affiliés
les Bonaparte, les Peraldi, les Pozzo di Borgo), conjointement à la
municipalité, fait célébrer un service à la cathédrale. Le procureur
de la commune prononce une longue oraison funèbre. Les officiers de
la garde nationale, ainsi que ceux du régiment du Limousin et des
autres corps de la garnison y assistent et prennent le deuil pendant
dix jours tout comme la plupart des habitants d'Ajaccio.
(*) Circinellu, de son vrai nom
Dominique Leca est né à Guagno en 1702 où il fut prêtre. Partisan de
Pascal Paoli et de l'indépendance de l'île, après Pontenovu, il avait poursuivi la résistance
en se réfugiant dans le Fiumorbu.
Plutôt que de se soumettre et de
prêter serment d'obéissance aux tyrans de sa patrie, il préféra se
laisser mourir de faim. Il fut retrouvé mort dans une grotte du
hameau d'Ania, un hameau de Serra Di Fiumorbu,
en 1771. Il tenait dans une main un crucifix et dans l'autre son
pistolet.
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