Louis Marie Julien VIAUD est né le 14 janvier 1850
à Rochefort. Le surnom de Loti, du nom d'une fleur tropicale, lui
a été donné en 1871 à Tahiti. Tenu à une obligation de réserve du fait
de sa qualité d'officier de marine, il se fera connaître sous ce nom à
partir de 1876. C'est dès l'âge de 14 ans que lui vient la vocation
d'être marin.
Des extraits d'un journal datant de la première
année d'école navale de Loti nous le montrent à bord du Bougainville. Au
sortir de l'Ecole navale, il fait sur le Jean
Bart dans la Méditerranée son voyage d'aspirant. Enfin, en qualité
d'aspirant de Ire classe, il part de Lorient pour rejoindre la Flore,
bâtiment mixte naviguant la plupart du temps à la voile. Au cours des
nombreux voyages de sa vie de marin, il fixe par le crayon ou par la plume des
impressions qui lui serviront à écrire ses romans en grande partie
autobiographiques.
Un de ses camarades le décrit ainsi : "C'était
un garçon assez froid, renfermé plutôt
par excès de timidité. Petit de taille, presque imberbe,
il avait l'air d'un adolescent et cet air de
grande jeunesse était encore augmenté par les petites
vestes de « midship » anglais qu'il avait
l'habitude de porter. Dans nos déjeuners au carré,
déjeuners toujours gais, aux propos plutôt lestes,
Viaud prenait peu de part aux conversations, sauf
quand ces conversations portaient sur les îles enchantées
du grand Pacifique. Pendant les deux
années que dura l'embarquement de Viaud a
bord du Gladiateur il ne se lia avec aucun de
ses camarades ; il ne prit part à aucun de leurs
plaisirs. Il descendait toujours seul à terre, et ,
lorsque son service le permettait, il s' absentait
longuement du bord, et l'on s'étonnait de le rencontrer
dans Stamboul, costumé à la Turque, en
compagnie de gens du peuple. Certains le jugeaient
peu intelligent et d' esprit obtus. Je protestais
à l'occasion contre ces appréciations aussi peu charitables
que mal fondées; plusieurs fois, en allant
à bord, j'avais trouvé Viaud seul , retenu par son
tour de service, et lui , si réservé en présence de
ses camarades, devenait un très intéressant causeur,
presque expansif avec moi, en qui il sentait un auditeur
sympathique, épris comme lui d'exotisme,
de couleur et de vie lointaine. Je me rappelle nos
longues causeries du soir, à bord , dans la baie de
Thérapia, sous les merveilleux clairs de lune du
Bosphore, je l'écoutais me contant les féeries de
Tahiti, la nouvelle Cythère ; remémorant ses
souvenirs, son oeil se voilait, sa voix devenait plus
lente, et, subitement, s' arrêtait ; puis après un silence,
il reprenait son récit sans lien apparent
avec le point où il l'avait laissé ... Il me laissait
charmé, avec l'impression mélancolique que j'ai
toujours trouvée depuis à la lecture de ses ouvrages.
Plus d'une fois , et très discrètement , je l'ai interrogé
sur les impressions causées sur lui par Stamboul,
espérant l'amener à quelques confidences sur le
genre de vie mystérieux qu'on lui attribuait ; mais
il me répondait alors par quelques banalités et je
ne poussais pas plus loin mes questions.
C'est à cette époque évidemment, qu'il vivait
son joli roman d'Azyadé, et la réalité de ce roman
ne fait aucun doute pour moi, quoique, je le répéte,
il ne m'aie jamais fait, de près ou de loin,
aucune confidence à ce sujet ; mais certains détails
du livre se rapportent trop exactement à certains
menus faits contemporains, dont j' ai gardé le souvenir,
pour que je garde un doute sur l'existence
réelle de son héroïne, plus ou moins embellie et
poétisée, d'après le droit des romanciers.
J'ai donc connu Viaud au moment d'Azyadé,
et j'ai eu de lui la primeur de Rarahu. Quand a
paru « le mariage de Loti », j'y ai reconnu des
chapitres entiers des récits de Viaud et j'ai couru
dénoncer le « plagiat » à mon ami Achille de la Librairie
Nouvelle . On m'a rassuré en m'apprenant
que Viaud et Loti ne faisaient qu'un. »
C'est au mois d'avril 1891, que l'officier de
marine et écrivain Français, fait une escale d'une dizaine de jours à Ajaccio
avant de se rendre en Tunisie.
Il visite longuement la maison
Bonaparte, puis se rend à Bocognano le 19 avril. Dans une
auberge, il rencontre deux jeunes filles habillées de noir qui ne sont
autre que les filles de Bellacoscia. "...Notre longue causerie,
dit-il, était pour arranger une entrevue prochaine avec les bandit
(...) l’une délicieusement jolie m'a tenu sous son
charme, confesse-t-il, je n’aurais pas cru que mon nom
de Pierre Loti m’aurait ouvert ainsi les portes de cette famille de
révoltés..." écrit-il dans son journal intime.
Mais la neige et les nombreux gendarmes qui
parcouraient la région empêchèrent sans doute cette entrevue.
En 1890, l'écrivain s'inspirera de la Corse
pour écrire le livre le plus émouvant de son oeuvre : le
livre de la pitié et de la mort.
En 1892 il devient membre de l'Académie Française.
Atteint d'hémiplégie en 1921, il meurt à 73 ans, le 10 juin 1923 à
Hendaye. Après des funérailles nationales, il est enterré dans la
maison maison familiale qu'il avait baptisé "la maison des
Aïeules"», à Saint-Pierre-d'Oléron. La vieille maison,
agrandi par l'achat d'immeubles voisins et enrichi de
trésors artistiques rapportés de tous les coins du monde, est devenue un
musée. De nombreux visiteurs ont décrit la mosquée, le salon turc , le
salon chinois, la salle moyen-âge, dans lesquelles la fantaisie de Loti
s' est complue à faire revivre toutes les époques et tous les pays. Le
site est inscrit depuis 2006 sur la liste des monuments historiques.
Extrait du journal intime de Pierre Loti
Rencontre avec les deux filles du bandit Bellacoscia
Dimanche 19 avril 1891,
Bocognano,
Vers dix heures du soir, quand notre petit
conciliabule à voix basse fut terminé, dans la chambre haute
de l’inénarrable auberge, le vieux Corse et les deux jeunes filles
pareillement vêtues de noir, voilées de noir, gantées de noir,
me tendirent la main et s’en allèrent. Alors j’ouvris la fenêtre
pour regarder au dehors.
Une rue noire, dans un hameau perdu et
endormi; deux ou trois vieilles maisons sinistres, sombres et
indécises sous la lune; un brouillard lunaire éclairant faiblement;
un silence farouche, avec un murmure lointain de torrents
et de cascades. Et de la neige, là tout près ; de la neige
quand ailleurs on est en plein avril. Des cimes très rapprochées
nous surplombent, grimpent dans le ciel vague, avec
leurs dentelures noires et leurs plaques neigeuses
invraisemblablement blanches; leur voisinage et l’air vif
qu’on respire donnent l’impression qu’on est très
haut et, en effet, ce village isolé est dans les montagnes
intérieures de la Corse.
La porte de l’auberge s’ouvre au-dessous
de moi et je vois sortir les deux jeunes filles en
noir, mes nouvelles amies, filles du bandit Beila Cascia,
dont l'une délicieusement jolie m’a tenu sous son charme,
celle qui l’an dernier se jeta aux pieds de M. Carnot
pour demander la grâce de son père.
Notre longue causerie était pour arranger
mon entrevue prochaine avec les bandits, chose bien difficile
en ce moment, à cause de la fonte des neiges, à cause surtout
d’une imbécile brigade de gendarmes qui bat la campagne
en tous sens. Je n’aurais pas cru que mon nom de Pierre Loti
m’aurait ouvert ainsi les portes de cette famille de révoltés.
Et, tandis que je regarde ces deux étranges
jeunes filles en robe noire s’éloigner dans ce chemin
confus, au pied de ces cimes fantastiques, je songe aux
lettres reçues au moment du départ, que le changement
brusque du voyage m’a presque fait oublier : le petit
crayonnage de maman, me disant que la pauvre vieille
voisine Eugénie se meurt, la lettre de Léo m’annonçant qu’il
embarque sur un transatlantique et que notre séparation, hélas !
est bien accomplie. Que je me sens loin et isolé dans
cette auberge, depuis que la fille de Beila Cascia
qui m’avait un instant charmé est partie....
Samedi 25 avril. — Nous quittons la Corse le matin,
par gros temps sombre. Après une dizaine de jours passés
à Ajaccio, nous allons à Tunis...