Personnage
très souvent contesté de l'histoire insulaire du XVIème siècle,
Sampiero était un mercenaire des armées françaises qui fit fortune
en guerroyant parmi les pays de l'occident avant de revenir dans son
île en 1564 pour faire la guerre sous son propre nom contre
l'oppresseur génois. C'est ainsi qu'il acquit, après sa mort, son
auréole plus ou moins justifiée.
Sanpiero (Gian Pietro) est né à Bastelica (Bastega
en ce temps là) en 1498 d'une famille de roturiers, un clan en
pleine ascension sociale à la fin du XVème siècle. Comme la plupart
des Corses de son époque, à l'exception de quelques familles
seigneuriales et des Génois établis dans l'île, il n'a pas de nom
patronymique et dès son arrivée sur le continent on fera suivre son prénom du nom de son pays d'origine
: "Corso". Ça n'est
que bien plus tard qu'il deviendra Sampiero d'Ornano, un nom qui est
celui de la piève dans laquelle sa famille possède de
nombreuses terres.
Attiré très tôt par l'aventure des armes, Sampiero,
à peine âgé de 14 ans, quitte Bastelica
en 1512, pour aller rejoindre à Florence son oncle paternel le capitaine Tristano Corso
auprès duquel il combattra comme écuyer dès 1516.
Personnage controversé, moins insulaire qu'on
ne le croit, Sampiero était un mercenaire au service des Médicis, de l'Empereur
puis des Valois. En 1536, il entre définitivement au service du roi de France.
Ses exploits se multiplient sur les champs de bataille de l'Europe
et son courage lui vaut de gravir rapidement les échelons de la
hiérarchie militaire.
Depuis qu'il a quitté son village en 1512, Sampiero est un Corse du
continent qui se partage entre Florence, Rome Marseille, Paris, la
Cour et les champs de bataille. C'est la brouille du Dauphin avec son
père François 1er, qui explique en partie le départ momentané de Sampiero, privé
d'emploi ; D'ailleurs, il est surtout grand temps pour lui de rentrer en
Corse pour y célébrer son mariage avec Vanina, conclu depuis 1528.
C'est donc au mois de juin 1545, au cours d'un retour dans son
île après 33 ans d'absence, qu'il épouse à l'âge de 47
ans la jeune Vanina âgée de 18 ans, issue de la noblesse Corse (même
si un peu de sang génois coule dans ses veines), fille unique de Franceschetta d'Istria et de Francesco d'Ornano qui la lui avait
promise au berceau. Vannina d'Ornano appartient à une lignée qui a fait acte
d'allégeance envers la Sérénissime République de Gênes. Son père,
pour entretenir son rang, n'a jamais cessé de courtiser Gênes et se
signale par l'aide qu'il apporte dans les pires moments aux
représentants de l'Office menacés par les rebelles corses.
Un mois plus tard, après avoir levé une troupe de 150 hommes pour
aller combattre en Angleterre, Sampiero débarque à l'île de Wight.
Moins de deux mois après la signature d'un traité de paix, il est de
retour à Bastelica où il va entreprendre sa reconversion : la
conquête du pouvoir local car, il est permis de le penser, son
ambition est de gouverner l'île avec l'appui armé du roi de France.
Par ses origines et par les liens qu'il a toujours gardé avec son pays,
Sampiero, sujet de la Sérénissime République de Gênes et plus
exactement de l'Office de Saint-Georges, s'est toujours senti
concerné par les affaires de la Corse et il n'hésite pas à prendre
le parti de ses compatriotes opprimés. A plusieurs reprises il se
rendra en Corse où ses exploits l'ont rendu célèbre et où l'on voit en
lui un protecteur influent.
En 1547, alors que Vanina vient de donner naissance à son premier
enfant, Alfonso, futur maréchal de France, Sampiero,
fidèle des Médicis depuis toujours, est nommé Colonel général de
l'infanterie Corse au service du roi par François 1er et il reprend
le chemin de l'Italie.
Le 25 décembre 1547, de retour de
Rome à bord d'une frégate pontificale, il débarque à Bastia où il est
aussitôt incarcéré par l'autorité génoise, représentée par
le gouverneur Spinola, qui le soupçonne de comploter contre la
République. Gênes n'apprécie pas l'intervention de Sampiero pour
prendre la défense de certains colons récalcitrants de Bastelica et
de Porto-Vecchio. Elle le suspecte de comploter avec des "bannisnnis"
et de vouloir s'emparer de Bonifacio.
C'et grâce à l'intervention directe du Roi Henri II qui n'a pas oublié
que Sampiero lui a sauvé la vie en 1542 devant Perpignan, que
Sampiero est libéré le 19 avril et peut enfin rentrer chez lui à
Bastelica. Cet épisode va développer chez Sampiero
un esprit de rébellion qui va en faire un héros national.
En novembre 1549, Sampiero est de nouveau appelé à
servir en Toscane
puis dans les troupes françaises.
En Corse, en 1553, à la tête d'une escadre Franco-Turque,
il brandit
l'étendard de la révolte et remporte quelques succès sur les Génois
commandés par Andrea Doria mais il est rappelé en France en 1555.
Le 03 avril 1559, le
traité de Cateau-Cambresis restitue la Corse aux Génois. Cette
nouvelle est un coup terrible pour tous les insulaires qui avaient
embrassé le parti français. Cependant Sampiero ne se décourage
point, et espère encore d'arracher la Corse des mains de ses
ennemis.
Le 28 juin 1562, malade et affaibli par une
profonde blessure à sa jambe
gauche qui n'a jamais cicatrisé, Sampiero, décide de se rendre à Constantinople
pour obtenir l'aide du Grand Turc. Il
règle ses affaires et fait son testament auprès du notaire
Champorcin de Marseille en instituant comme héritiers ses fils
Alfonso (qui deviendra plus tard Maréchal de France) et Antò
Francesco et laisse l'usufruit de tous ses biens à son épouse Vannina qui pourra en
jouir de son vivant.
Cependant les directeurs de l'Office de Saint-Georges, instruits des
desseins de Sampiero, songent à s'emparer de sa femme, qui habite
Marseille. Des pressions, faites d'alternances de promesses et de
menaces, s'exercent sur Vannina par l'intermédiaire d'Ombrone, précepteur de
ses enfants, en relation étroite avec Gênes qui a conçu le projet de
porter un coup à Sampiero en ralliant à sa cause sa propre épouse.
On la persuade de ne pas attendre le retour hypothétique de son mari
pour venir se réfugier à Gênes et se placer sous la protection
rassurante de la sérénissime.
En septembre 1562, Vannina cède à ces
pressions, vend à la hâte quelques effets personnels et de
l'argenterie puis munie d'un sauf-conduit qu'on lui a fait parvenir
de Gênes, elle s'embarque pour la Ligurie en emportant ses biens et
en amenant avec elle son jeune fils aîné Alfonso, le précepteur
Ombrone et un fidèle serviteur.
Sampiero, qui est encore à Alger où il a dû rester alité à cause de
sa vilaine blessure, apprend la "trahison" de Vannina. Fou de rage,
à peu près rétabli et au service du Roi avant tout, il décide
poursuivre son voyage jusqu'à Constantinople, non sans avoir écrit
ses recommandations dans deux lettres qu'il confie à Antonio di
San-Fiurenzo, ami dévoué et fidèle, avec la mission de surveiller son épouse et de lui retirer
la procuration qu'il lui avait donné avant de partir pour gérer ses
affaires.
A Marseille, après s'être acquitté de sa mission, San-Fiurenzo se lance à la poursuite de Vannina
qui s'est embarquée pour Gênes en compagnie d'Ombrone dans la nuit
du 20 au 21 septembre 1562. Les fugitifs sont
rattrapés à la hauteur du petit port d'Antibes et arraisonnée.
Vannina, accusée de comploter contre le Roi de France pour le
compte de Gênes est arrêtée et emprisonnée au fort d'Antibes et
Ombrone est transféré à Marseille puis relaxé. Vannina est
jugée par le parlement d'Aix en Provence qui l'absout sur la base
d'accusations qui sont sans fondement et Antonio di San-Fiurenzo est
condamné aux dépens ; mais Sampiero, de retour en juillet
1563, exige du parlement que sa femme,qui est assignée à résidence dans la
maison de l'huissier et qu'il n'a pas revu depuis plus d'un an, lui soit rendue.
Vannina connaissait la haine mortelle que son mari
vouait dès
les premiers jours de leur mariage aux Génois. Elle avait vu couler
son sang et elle avait pansé ses blessures. Elle savait que son mari
avait été déclaré traître et rebelle à Gênes et que sa tête avait été mise au prix. Elle n'ignorait pas
toutes les misères dont sa Patrie était accablée; elle savait aussi
que son mari, privé de l'appui de la nation pour laquelle il avait
combattu, errait dans des contrées lointaines, cherchant des armes
et des secours afin de briser le joug qui opprimait son pays.
En août 1563, comprenant ce qui allait arriver, Vannina avait rédigé
son testament. Une quinzaine de jours plus tard, le 18 août, la sentence privée
fut exécutée. D'abord Sampiero tua les deux servantes de Vannina
parce qu'elles étaient dans le secret de leur maîtresse.
Contrairement à la légende de la photo, c'est Sampiero
qui s'agenouilla devant Vannina, demanda pardon à sa malheureuse épouse
pour l'acte qu'il allait commettre puis l'étrangla de
ses propres mains, châtiant ainsi une trahison qui n'en était pas
une; Vannina s'était seulement rendue coupable d'avoir voulu essayer
d'arrêter la guerre qui se préparait. Elle avait pensé qu'en se
donnant en otage à Gênes, Sampiero déposerait les armes et que la
guerre pourrait être ainsi évitée. Sampiero, qui semble n'avoir été que le bras
séculier d'un ordre émanant du sommet de l'état français, fit ensevelir son épouse après un
office qui eut lieu en grande pompe puis il prit le deuil en
déclarant partout qu'il n'avait fait que justice. Protégé par Catherine
de Médicis qui fut très probablement l'instigatrice d'un crime qui
risquait de l'éclabousser elle-même, Sampiero
ne fut pas inquiété malgré que sa tête fut mise à prix (2000 ducats)
par la famille d’Ornano et par Gênes (4000 ducats).
La lutte qui dura trente mois (du 15 juin 1564 au 17 janvier 1567)
dépassa en atrocités toutes les précédentes.
Les ennemis ne connaissaient plus aucun ménagement. Sampiero jetait les
prisonniers en pâture à ses chiens. Les Génois torturaient les
Corses tombés entre leurs mains avant de les pendre. Les femmes
elles-mêmes, se livraient sur les prisonniers à de monstrueuses
cruautés. L'exaspération était à son comble. Les Ornano brûlaient
des villages entiers. Les maisons du village de Pozzo-di-Borgo
furent incendiées par les Génois et Sampiero qui soupçonnait
ses habitants d'espionnage les fit dévorer par ses chiens. A
Vescovato, il jeta dans le feu les prisonniers Génois et poignarda
de sa propre main les capitaines Corses qui servaient dans leurs
rangs. C'était un échange d'horribles représailles. Le caractère autoritaire barbare et violent de Sampiero fut en partie
la cause de sa perte. Déjà, plusieurs de ses compagnons, las de son
despotisme et de sa cruauté, l'avaient abandonné.
A l'automne 1566, le vent de la révolte semble s'être
apaisé et les rapports adressés à Gênes par le
nouveau commissaire Fornari sont optimistes
; Cependant, au début de l'année 1567, les derniers
partisans de Sampiero lui font savoir qu'il y a encore de nombreuses communautés
qui ont sollicité le pardon de Gênes et qu'il serait bon qu'il vienne se
rendre compte sur place de la situation pour y mettre bon ordre.
Ce devait être la dernière
chevauchée du Condottiere dont les moindres déplacements étaient suivis
par Fornari.
Sampiero accompagné de son fils Alfonso, 19
ans, se met en route aussitôt avec une escorte de 15 cavaliers. Il
prend la direction de Cauro où les traîtres achetés par
Gênes ne manquent pas... Ercole d'Istria, Giustiniani, les frères
Michelangelo, Giovan Antone et Giovan Francesco Ornano, cousins
de Vannina, et d'autres qui, comme Vittolo, l'écuyer dont la
collusion avec les génois semble acquise, arment leurs bras
contre Sampiero en se
mettant aux ordres du capitaine Raffaelle Giustiniani.
Sampiero établi son camp à
Ciglio au moment où Giustiniani avec ses cavaliers et une escouade de
fantassins quitte Ajaccio pour se porter à sa rencontre. La colonne
génoise commandée par Giustiniani, franchit le Prunelli le 17 janvier au matin et elle
avance jusqu'à Suarella où vont s'engager sur le terrain sa
vingtaine d'arquebusiers. Un simulacre de combat orchestré sans doute
par Vittolo qui ne prend pas d'ailleurs part au combat final, a pour but d'attirer Sampiero dans un piège.
Encerclé,
perdu, Sampiero, ne pensant qu'à protéger la vie de son fils et
celle de ses compagnons, résiste en arrière garde pour donner aux
siens le temps de se mettre à l'abri et seul, il fait face à ses
ennemis en livrant ainsi son ultime combat. Atteint au visage par
deux coups de lance portés par Michel'Angelo d'Ornano et poignardé à
plusieurs reprises par Giovan Francesco d'Ornano, il est encore
vivant quand les Ornano le jettent à terre tandis que tous ses
assaillants le transpercent de coups de lances. Battista Bastelica se
contente de lui couper une jambe et l'emporte avec sa botte à
Ajaccio, Santo de Santa Maria d'Ornano lui tranche la tête et
l'offre à son beau frère Michel'Angelo d'Ornano qui se flattera d'avoir tué Sampiero de sa propre main et
revendiquera la récompense de 2000 écus qui sera finalement partagée
entre les trois frères Ornano.
Le commissaire Francesco Fornari exposa la
tête de Sampiero sur une pique à la porte de la ville et une jambe sur
le bastion. Il ne pu réunir les restes du corps car les soldats en
voulurent garder chacun un morceau pour mettre à leur lance en guise
de trophée. Des réjouissances solennelles furent organisées et le 1er avril, le crâne de Sampiero était encore exposé
à la porte de la ville d'Ajaccio. Alfonso d'Ornano fit de l'enlèvement de ce
macabre trophée, la première condition de la paix. (*)
Combattant d'un autre temps, Sampiero est mort en soldat, sur son cheval, les armes à la main.
Il était âgé de soixante-dix ans et depuis l'âge de vingt ans, il
avait risqué sa vie sur les champs de bataille. Condottiere,
mercenaire
valeureux et ambitieux, il servit successivement plusieurs maîtres avec fidélité,
mais il n'embrassa qu'une cause à laquelle il consacra ses dernières
années : secouer le joug de l'oppresseur génois et devenir le roi
des cinarcais.. Il n'oublia
pas cependant de défendre ses propres intérêts en se faisant
concéder en 1558 les terres et la Tour de Capitello ainsi que la
reconnaissance de 80 vassaux soumis au paiement de la taille,
démontrant ainsi qu'il était le procureur des pauvres avec des
prétentions féodales.
Personnage controversé, despote
et barbare sanguinaire
(n'hésitant pas à tuer de ses propres mains amis, parents, femmes et enfants), souvent
haï, Sampiero a entretenu en Corse une guerre avec les génois qui a
ravagé
le pays (récoltes détruites, populations affamées, villages
incendiés ou entièrement rasés) et fait le malheur des populations.
Il a suscité l'admiration, le respect et la
crainte auprès des siens mais
finalement abandonné de tous, il n'a pu échapper
ni à la jalousie ni à la trahison.
(*) - Muré dans une parois de l'église
Sainte Barbe de Cauro, on a découvert un crâne humain qui serait
celui du célèbre Sampiero. Le marbrier était en train de poser sur
l'église une plaque portant le nom des paroissiens morts pour la
patrie, lorsque le crampon de fer destiné à la supporter céda
laissant découvrir une cavité renfermant un crâne. On sait en effet
qu'après avoir été assassiné Sampiero fut décapité et sa tête
exposée au bout d'une pique sur les murs d'Ajaccio. Le sénat de
Gênes, à la requête de l'évêque de Sagone aurait ordonné au
gouverneur Fornari, de retirer le chef sanglant de l'endroit où il
était et de le déposer à l'église pour le cas où un ami ou un parent
le réclamerait. Les habitants de Cauro auraient enlevé, soit obtenu,
l'illustre relique et l'auraient murée dans l'église paroissiale.
Une autre version expose que le crâne de
Sampiero aurait été emporté par une crue car on l'aurait déposé, une
année de sécheresse, dans le lit d'un ruisseau, afin d'invoquer la
pluie. C'était en effet l'usage à Cauro, pour faire cesser la
sécheresse, d'aller déposer en procession, un crâne dans un ruisseau
asséché ; un enfant de coeur aurait, par erreur, pris celui de
Sampiero. Cette version est contredite : Le crâne disparu durant la
crue, n'était pas celui de Sampiero, car il avait été pris dans l'arca,
la fosse commune de l'église.
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