Au XIXe siècle, après avoir découvert la Côte d'Azur, les Britanniques
débarquent à Ajaccio, dans les années 1860.
Après avoir vécu jusqu'en 1867 au château de
Moniack en Ecosse, une riche rentière, Mademoiselle Thomasina
Mary-Anne-Elisa Campbell visite la Corse qu'elle parcourt du Sud au
Nord, tombe amoureuse de ses paysages grandiose et décide d'y vivre.
En 1868, installée à l'hôtel de France à Ajaccio,
elle écrit et fait éditer par l'imprimerie Pompéani, un livre intitulé:
" Notes sur l'île de Corse, dédiées à ceux qui sont à la
recherche de la santé et du plaisir". C'est ainsi que, grâce à
elle et surtout à travers la propagande faite dans son ouvrage, les
Anglais, lassés de la Côte d'Azur, de la hausse des prix et des
mauvaises odeurs, vont découvrir notre pays et une nouvelle station
d'hiver, bien différente de la Riviera : Ajaccio.
Rapidement la ville progresse. Des constructions
voient le jour avec de beaux appartements offerts à la location aux
visiteurs. Après l'hôtel Germania ouvert en 1869, C'est autour d'un
Grand Hôtel de voir le jour car les hivernants sont de plus en plus
nombreux.
Les remarques concernant Miss Campbell sont
tantôt élogieuses : "Miss Campbell a créé à
Ajaccio la colonie anglaise. Elle a contribué à éviter aux nouveaux
arrivants, les mille ennuis et désagréments inhérents aux débuts d'une
station. Elle pilote ses concitoyens, les introduits dans la société
Ajaccienne et appelle en Corse tous ceux qui cherchent la santé et le
plaisir" ; "Miss Campbell est une personne que l'on gagne à
fréquenter assidûment. Elle s'intéresse vivement à la Corse et à ce
qu'elle renferme [...] Un être qui allie curiosité intellectuelle,
énergie physique, jugement assorti d'un goût certain, désir de
promouvoir la Corse auprès d'une clientèle anglaise avide de soleil,
cette femme donc, contribuerait activement à réformer Ajaccio";
Tantôt très critiques et iront en s'amplifiant dès 1885 : La presse
locale qui la surnomme la reine Thomasina, lui reproche
son autoritarisme grandissant et son intrusion dans les affaire
: "Il faut enlever à Miss Campbell, cette croyance que toute terre
baignée par l'eau salée est, où est appelée à devenir anglaise". La rumeur en rajoute en colportant qu'elle est
intimement proche de Bernard Bradshaw, personnage douteux
et équivoque qui
partage avec elle la villa des Pans depuis son arrivée en 1870.
On le dit son neveu... On dit aussi que la Miss fut la maîtresse
de Napoléon III.
En 1873,
Miss Campbell achète un terrain proche du Casone
sur lequel elle fait bâtir une somptueuse demeure de plus de 1800 m2,
toute en pierres de taille, "la villa des Paons" qui sera dénommée plus tard "la tour
d'Albion" et dans laquelle elle vivra en alternance durant une
douzaine d'années en compagnie de ses amis et "associés" Bernard
Bradshaw de nationalité Anglaise et Strasser-Ensté d'origine
Allemande qui les rejoint en 1882. Ces deux personnages très controversés vont former avec Miss
Campbell un trio inséparable qui alimentera au rythme des ragots,
des faits divers et des procès, les critiques et les chroniques de la
vie Ajaccienne.
Ajaccio est devenu une station
balnéaire à la mode avec ses somptueuses villas, ses hôtels palaces et son
casino. Toujours soucieuse du bien être de ses compatriotes, la riche
écossaise achète en 1874 à la ville d'Ajaccio, dans cet endroit que l'on
nomme déjà "le quartier des étrangers", un terrain de 750 m2 pour
y faire construire une église Anglicane (the holy trinity church) en granit du pays.
L'église sera ouverte au culte en 1878.
En 1880, Bernard Bradshaw achète le domaine de la
Carosaccia. Il participe activement à la vie de la cité aux
côtés de Miss Campbell jusqu'à la venue de Strasser-Ensté en 1882.
Bradshaw est membre d'honneur de la section ajaccienne du Syndicat
d'Initiative de la Corse tandis que Stasser-Ensté y figure en tant
que membre.
En 1883, Miss Campbell achète au comte Multedo une
parcelle de terre de 19 ares dont Bradshaw héritera à sa mort cinq ans
plus tard.
Un nouveau espace urbanisé qui deviendra le
quartier des étrangers, est créé. Une nouvelle voie de
désenclavement est ouverte (aujourd'hui le boulevard Sylvestre Marcaggi)
et plusieurs cottages sont construits par Baciocchi puis par Bertin.
Un peu plus tard, Strasser-Ensté fera l'acquisition
d'un terrain au Casone pour y construire le luxueux
Cyrnos Palace Hôtel qui accueillera ses premiers clients en décembre
1896.
La ville d'Ajaccio se dotera ainsi
de tous les atouts pour être enfin consacrée officiellement station
climatique par un décret du 10 juin 1912.
Tantôt aimée, (on l'appelle alors Zia Tumasgina)
Miss Campbell devient parfois pour certain qui l'accusent d'être une
manipulatrice habile cherchant à trop
s'immiscer dans les affaires locales, la reine Thomasina ou
encore, de manière plus méprisante, la Campbell, comme la désigne
le vice-consul d'Angleterre Joseph Susini qui écrit à son sujet le 23
novembre 1873 : [...] la campbell est la peste et la disgrâce d'Ajaccio
[...].
Quand Miss Campbell décède subitement à
Genève le 09 septembre 1888, le Journal de la Corse écrit
dans son édition du 14 : "Nous apprenons la mort de Miss
Campbell, qui s'est éteinte en Suisse, dans une extrême vieillesse. On vient de mettre les scellés à son
petit château du Casone, et l’on ne sait pas encore si son corps sera
transféré à Ajaccio ou en Angleterre. Rendons justice à la mémoire de cette
noble étrangère. Elle s’était attachée à notre ville et elle a
fait les plus grands efforts pour favoriser notre station
d’hiver. Elle est morte à la peine, sans avoir pu couronner son
oeuvre d’un plein succès. Miss Campbell possède à Ajaccio des
immeubles de valeur, et nous ignorons le quelle manière elle en a
disposé dans tes volontés testamentaires".
A sa mort Bernard Bradshaw hérite de tous ses biens.
Il décède à son tour en janvier 1906 en laissant sa fortune à Strasser-Ensté qui met aussitôt en vente
aux enchères publiques une grande partie de son
héritage et notamment la Tour d'Albion qui sera rachetée par le célèbre
parfumeur François Coty pour y créer une école de commerce.
Le 28 juillet 1896, un procès retentissant à lieu. Strasser-Ensté est
traduit devant le tribunal de première instance d'Ajaccio. Il est accusé d'avoir spolié
Bernard Bradshaw et de posséder la plus grande partie de
l'héritage d'une vieille dame anglaise (Miss Cambell était alors âgée de 71 ans).
L'avocat, Maître Casabianca, ne se montrera pas tendre avec l'accusé, ni
avec Bradshaw d'ailleurs : "Et vous, qui êtes-vous ? Allemand
?, Juif ?, d'où venez-vous ? Nous n'en savons rien non plus. [...] Ce
que nous savons seulement, c'est que vous avez construit un hôtel que
vous louez à l'un de vos compatriotes; c'est que vous vivez avec un
vieil anglais, M.Bradshaw qui n'est ni votre parent ni votre compatriote
et dont pourtant vous avez toutes les affaires en main; c'est que vous
possédez la plus grande partie de l'héritage d'une vieille anglaise,
Miss Campbell [...] Vous vous dites propriétaire de la Carosaccia mais
l'enregistrement n'en porte aucune trace....
Puis l'avocat rappelle que : "Stasser-Ensté vit avec Bradshaw une vie
commune sous le même toit [...] Nous ne pouvons pas, pour faire plaisir à
Staser-Ensté, adopter les moeurs d'Oscar Wilde [...] Nous trouvons
peu à notre goût les conversations intimes au crépuscule avec des cochers
de fiacre [...] Ces moeurs de l'ancienne Athènes ne sont pas faites pour
nous et nous aimons à croire le sieur Strasser-Ensté qu'il les abhorre
autant que nous"....
|
|
|
|
Cliquer sur une photo pour l'agrandi |
|