A la limite de la légende, l'histoire parfois romancée de Sambucucciu
reste une période obscure et controversée de l'histoire de la Corse
du moyen âge que la tradition orale nous a rapporté.
Il n'existe malheureusement pas beaucoup d'éléments sur Sambucucciu
dont on ne connaît l'existence qu'à travers les récits des célèbres
historiens de la Corse que sont Giovanni Della Grossa
et Pietro Cirnéo.
Probablement notable et gros propriétaire terrien, Sambucucciu est
originaire du village d'Àlandu dans la piève du Boziu, mais on
ignore s'il y est né et à quelle date puisque certains historiens
n'en parlent même pas et d'autres le font
apparaître d'abord au XIème siècle puis au XIVème siècle. On
retrouve cependant la trace du personnage dans les documents administratifs de
Gênes datant de 1370. On pense, sans en être certain, qu'il serait mort de la peste cette année là.
Il en fut de Sambucucciu comme de la plupart des législateurs. Sa mort
porta soudain un coup funeste à ses institutions. Les seigneurs,
sortant de leurs châteaux, semèrent partout la guerre et la
discorde, et le peuple chercha son salut dans la protection de
l'étranger. Il implora l'appui de Malaspina, marquis
de Toscane, qui vint à son secours avec un corps de troupes,
vainquit les barons et rétablit la tranquillité. Les Malaspina semblent avoir
continué à régir la Terre de la Commune, pendant que les barons
dominaient le reste du pays. Le pape, qui faisait remonter aux rois
francs ses droits sur la Corse, se mêla à son tour aux affaires de
l'île et fit de Malaspina un comte de Corse. Ce furent les six
évêchés que l'on avait fondés successivement à Aleria, Ajaccio,
Accia, Mariana, dans le Nebbio et à Sagona qui lui fournirent le
premier prétexte de conquête...
En cette période trouble, la Corse n'offre plus que le sanglant spectacle de
la tyrannie des barons et de leurs luttes intestines. Les habitants
désertent les côtes. Les antiques villes d'Aleria et de Mariana sont
peu à peu abandonnées. Par crainte des Sarrasins, les populations du
littoral fuient pour se réfugier plus haut dans les montagnes où ils
bâtissent des villages fortifiés destinés à les protéger contre les
corsaires et contre les barons. Il est peu de contrées où la
noblesse ait pu être aussi barbare et aussi cruelle qu'en Corse où
la population est alors misérable et à moitié sauvage.
Les barons étaient continuellement en guerre
avec les habitants des villages, qu'ils opprimaient et se
disputaient entre eux les lambeaux du pouvoir. Ils furent vaincus par le seigneur de Cinarca, qui
songea alors à s'ériger en tyran de l'île. Quelque rares que soient
les documents sur l'histoire de cette époque, ils nous permettent
cependant de penser que les populations de l'intérieur opposèrent
aux barons une très vive résistance. Sur le point de succomber sous
les coups de Cinarca, elles convoquèrent une assemblée à
Morosaglia, le premier parlement populaire dont l'histoire de la
Corse fasse mention. On choisit pour chef un homme valeureux,
Sambucuccio d'Alando, et avec lui commença une longue série de héros
corses, aussi grands par leur amour pour la liberté que par leur
énergie et leur courage indomptable.
Sambucuccio battit le seigneur de Cinarca,
et le rejeta dans son fief. Pour assurer les fruits de sa victoire,
il forma une ligue. Tout le pays compris entre Aleria, Calvi et
Brando se réunit en une libre commune et prit le nom de Terra
di u Comunu, nom qui lui est resté jusqu'à ces derniers temps.
L'organisation de cette commune était
simple, tout à fait démocratique; elle est basée sur la
configuration naturelle des pays, dont les vallées sont séparées
entre elles par les montagnes. Tous les hameaux réunis dans une
vallée formaient une paroisse qui prit en italien le nom de
pieve. Chaque piève comprenait ainsi un certain nombre de
communes ou de hameaux (paesi). La commune choisissait, dans une
assemblée populaire tenue sur la place de l'église, un chef ou
podestà, et deux ou plusieurs Pères de la commune qui étaient élus
pour un an. Les Pères de la Commune devaient veiller à établir la
paix et à protéger les faibles. Ils se réunissaient pour nommer un
Caporale qui devait défendre les droits du peuple en
toutes circonstances. De leur côté, les podestà s'assemblaient pour
élire les Douze qui formaient le conseil législatif
suprême de la confédération. Ainsi, déjà à cette époque si reculée,
les Corses parvinrent, avec leurs seuls moyens, à créer une
république démocratique. Ainsi que Diodore l'a dit à leur louange,
les Corses possédaient ce sentiment de la justice mais les troubles
dont leur île fut le théâtre et la domination étrangère à laquelle
leur position et leur petit nombre les empêchaient de se soustraire,
arrêtèrent chez eux tout progrès.
Sans qu'il soit vraiment
possible de faire la part du vrai et du faux, on sait cependant
qu'une crise profonde frappe la société Corse du XIVème siècle.
La puissante domination des seigneurs féodaux écrase les gens du
peuple. Exploités, opprimés, spoliés sans vergogne, ces derniers se
réunissent en assemblée et élisent pour chef un certain Sambucucciu
qui prendra en 1357 la tête de la révolte anti-féodale qui arme les
Corses du Sud contre les seigneurs de la Cinarca qui ont multiplié
et alourdi les impôts.
Cette révolte, commencée dans l'Al di quà dei monti,
fut si soudaine et la population entraînée par Sambucucciu si déterminée, que bientôt la
quasi totalité de l'île, à l'exception des présides de Bonifacio et
de Calvi, fut occupée et que les châteaux des seigneurs furent
totalement détruits.
Cette période que l'on appela "tempu di a terra di u cumunu", fut en fait une révolte des notables ruraux contre les seigneurs
féodaux et eut d'ailleurs pour conséquences la reddition volontaire de
la Corse à Gênes et la première pacification de l'île.
Mais la guerre civile
recommença avec une rébellion anti génoise des féodaux; les
seigneurs déchus tentèrent par tous les moyens de retrouver leur
seigneurie. L'instabilité politique, aggravée par la famine et la
peste noire qui n'épargnait pas notre île força Sambucucciu à
continuer de se battre pour faire triompher la paix et la justice.
Il fit à nouveau appel à Gênes car, aux dires de Pietro
Cirnéo, les corses, fatigués de ces interminables luttes, prièrent les
génois de venir gouverner leur île... Quelques citoyens de Gênes
fort riches se réunirent pour envoyer des troupes en Corse. La
société qu'ils formèrent s'appelait La Maona. Avec elle ce fut à nouveau la pacification définitive et brutale.
Les Corses se donnèrent
donc à Gênes à la condition de n'être pas obligés de payer plus de
vingt sous par feu chaque année et de n'avoir pas à supporter
d'autres impôts. En échange, Gênes promettait de leur apporter son
aide et sa protection. Pour maintenir l'ordre, elle créa des statuts
de bon sens en veillant à ce que les mesures édictées ne soient pas
contraires aux coutumes locale ancestrales.
Le rôle de Sambucucciu qui incarne la révolte populaire Corse a été amplifié par les historiens modernes qui
ont vu en lui le libérateur du peuple et un législateur; mais, il
n'existe ni tradition, ni document qui appuie cette opinion, née au
XVIIIème siècle. Le peuple l'avait choisi pour le diriger contre les seigneurs ; par
deux fois, Sambocuccio négocia avec la République l'envoi d'un
gouverneur, et représenta très probablement le parti populaire à
Gênes où des actes notariés signalent sa présence. En Corse, il
semble n'avoir exercé que les fonctions de conseiller du gouverneur
qu'il partageait avec six autres insulaires". C'est cependant grâce à la révolte du peuple mené par Sambucuccio que la Corse devient
génoise et que la paix put s'installer durablement.
En cela, il est considéré comme le premier révolutionnaire et le
premier héros de l'histoire de la Corse.
|